La fin du monopole des commissaires-priseurs, datant de quatre siècles, interviendra le 1er janvier 1998. Cette réforme fondamentale, qui ouvrira le territoire français aux maisons de ventes étrangères, aura des conséquences majeures pour le marché de l’art. Chaque mois, avant la date fatidique du 1er janvier, le Journal des Arts vous tiendra informé dans cette nouvelle rubrique des initiatives prises par les professionnels et les pouvoirs publics, tout en rendant compte de leurs points de vue. Voici un premier tour d’horizon des positions, un an avant le grand bond.
PARIS - À douze mois de l’ouverture du marché, les travaux vont bon train. De la fenêtre de son bureau sur le faubourg Saint-Honoré, la princesse Laure de Beauvau Craon, présidente de Sotheby’s France, peut presque apercevoir la galerie Charpentier, actuellement en cours de réfection, en face du palais de l’Élysée. Jusqu’aux années soixante, c’était un lieu légendaire de la vie artistique parisienne, où se tenaient concerts et expositions, où Mes Étienne Ader et Maurice Rheims organisaient deux fois l’an les ventes publiques les plus prestigieuses. Ce célèbre hôtel particulier abritera, d’ici la fin de l’année, la plus grande et la plus puissante des sociétés américano-britanniques de ventes publiques. "Tout est maintenant dans la main de l’État français, déclare sereinement Laure de Beauvau Craon. Il faut maintenant que la loi sur la fin du monopole des commissaires-priseurs soit votée au printemps. Les travaux de la galerie Charpentier devront être finis à la fin de l’été, et nous déménagerons en novembre et décembre." L’équipe de Sotheby’s Paris, forte d’une petite quarantaine d’employés, sera vite appelée à doubler en nombre, l’antenne française passant du statut de bureau de représentation à celui de bureau tout court. Le premier département mis sur pied sera celui des livres, placé sous la responsabilité de Jean-Baptiste de Proyart qui travaille actuellement à Londres. Il ne faudra pas s’attendre pour autant à plus de quelques ventes en 1998. "Je perçois une grande attente et beaucoup d’espoir de la part de nos clients, qui aiment venir à Paris et pour qui acheter dans des endroits secondaires, comme Monte-Carlo, est bien moins attrayant, poursuit Laure de Beauvau Craon. Il y a un potentiel énorme à Paris."
Christie’s parie sur la France
Rue Paul-Baudry, chez Christie’s, qui, à l’inverse de Sotheby’s, n’a jamais entrepris de démarche européenne pour exiger l’ouverture du marché, on affiche un grand calme, tout en se refusant au moindre commentaire sur d’éventuels changements dans le bureau parisien, les dates des premières ventes, ou le lieu où celles-ci pourraient se tenir. "Nous parions sur la France, déclare, diplomate, Bertrand du Vignaud, vice-président de Christie’s France. L’ouverture est une très bonne chose et nous nous réjouissons que ce virage important ait été pris. Nous serons, en tout cas, très fiers de faire des ventes à Paris."
Le Grand Drouot
Président de Drouot, Me Joël-Marie Millon croit encore à l’efficacité du projet qu’il a lancé, voici quelques années, de fédérer les études de commissaires-priseurs parisiens dans un holding de société de vente, "le Grand Drouot", pour faire face à la concurrence britannique. "Je pense que 75 % des commissaires-priseurs parisiens auront à cœur de bâtir quelque chose ensemble, estime-t-il. Il faut maintenant que les pouvoirs publics aillent très vite, pour que nous ayons les structures juridiques nécessaires, que nous considérions dorénavant les experts comme de véritables partenaires, et que d’autres regroupements de commissaires-priseurs comme PIASA émergent." Président depuis quatre ans de la Chambre nationale des commissaires-priseurs, Me Gérard Champin a toujours défendu vaille que vaille le statut typiquement français du commissaire-priseur contre celui, commercial et anglo-saxon, de l’auctioneer. À douze mois d’une réforme qui mettra un terme à quatre cents ans d’histoire, il croit néanmoins que le commissaire-priseur a encore de beaux jours devant lui. "Peu d’entre eux choisiront de partir à la retraite avec leurs indemnités pour l’excellente raison qu’ils sont, dans leur majorité, relativement jeunes – plus de 50 % des commissaires-priseurs ont moins de dix ans d’exercice", explique-t-il.
Relevant que des regroupements commencent à se former entre études dans les régions, Me Champin affirme : "De toute façon, les commissaires-priseurs ne sont pas inquiets. Ils savent que leurs clients ont confiance en eux et qu’il existera toujours le besoin d’un service de proximité qu’une grande entreprise ne pourrait fournir. Ils constatent également que Sotheby’s et Christie’s ont beaucoup de mal à s’implanter. Ceci dit, les Britanniques vont essayer de grappiller de plus en plus sur le marché provincial."
Les antiquaires
De l’avis de la plupart des antiquaires et des galeristes, des ventes organisées par Sotheby’s et Christie’s en France ne pourront que ranimer un marché engourdi par bientôt sept ans de récession. Même si certaines distorsions fiscales, déplorées par les marchands et dont le gouvernement français n’a pas l’air de vouloir se préoccuper, risquent de nuire gravement à la future compétitivité du marché français. "La fiscalité est le nœud du problème, se plaint le libraire et expert Claude Blaizot, président à la fois de la Compagnie nationale des experts et du Syndicat national des antiquaires. Puisque les commissaires-priseurs seront, d’ici un an, des sociétés commerciales, il faudrait que les taxes soient harmonisées. Or, actuellement, celle sur la plus-value pour le client vendeur est de 7,5 % en galerie, et de 4,5 % en vente publique. L’autre grand problème reste la distorsion fiscale entre les États-Unis et l’Europe. À moins que celle-ci soit supprimée, les grandes ventes resteront outre-Atlantique."
Il faut aller vite
À la tête de la plus importante étude de France, Me Jacques Tajan redoute la lenteur des réformes. Tout comme Claude Blaizot, il critique la fiscalité, qu’il qualifie de "discriminatoire et coercitive". Surtout, il souhaite que le gouvernement se presse de faire voter la réforme du marché, afin d’avoir le temps de mettre en place ses propres projets : un bureau à Milan, pour lequel le lieu, le correspondant et le financier italien ont déjà été trouvés, une vitrine d’exposition à New York, des bureaux à Londres et à Munich, l’investissement dans d’autres locaux, peut-être, à Paris. "Les moyens considérables déjà mis en œuvre par les Britanniques me font peur, avoue Me Tajan. En France, on perd son temps à discuter. Si le vote de la réforme ne devait avoir lieu que peu avant les vacances d’été, ou si tout était retardé par un remaniement ministériel, par exemple, je ne disposerais que de très peu de temps pour tout mettre en œuvre."
Et les experts ?
Le futur rôle des experts dans un marché ouvert est une autre question. Exerçant aussi, dans bien des cas, les métiers d’antiquaire ou de galeriste, rémunérés au pourcentage dans les ventes et jaloux de leur indépendance vis-à-vis des commissaires-priseurs, ils voient avec inquiétude l’arrivée d’experts salariés chez Sotheby’s et Christie’s. "Il serait très dommageable que les experts français deviennent à leur tour salariés – ils pourraient être tentés de mieux défendre l’intérêt de leur maison que celui du client, affirme Claude Blaizot. Il y aura, de toute façon, une grande mise en cause de la profession. Les meilleurs experts trouveront du travail, les moins compétents et les moins connus auront du mal. Mais je pense que le rôle de l’expert sortira renforcé de l’ouverture du marché."
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Certitudes et inquiétudes des professionnels
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°32 du 1 janvier 1997, avec le titre suivant : Certitudes et inquiétudes des professionnels