Les collectionneurs américains devancent gaillardement leurs homologues européens dans l’achat de céramiques contemporaines. Si la France fut jusqu’aux années 1950 le pays de référence, les céramistes britanniques et américains ont depuis pris le relais. La tradition est mieux ancrée en terre anglo-saxonne. La céramique jouit d’un véritable enseignement, de subventions et surtout de visibilité institutionnelle. Ainsi, les prix sont soutenus, bien loin des 3 000 à 6 000 euros que les collectionneurs français consentent à débourser pour les grands maîtres nationaux comme Robert Deblander ou Claude Champy. L’énergique Clara Scremini relève de ces galeristes militantes qui, malgré l’étroitesse du marché, ne s’avouent pas vaincues. Comme le précise Elena Ortilles Fourcat, « on entre en céramique comme on entre en religion ». Cette galeriste, qui a dû fermer boutique l’an dernier, évoque avec amertume sa difficulté à céder les superbes pièces d’Enrique Mestre, proche dans l’esprit d’un Eduardo Chillida, ou le subtil travail en rouge et noir d’Angel Garraza qu’elle proposait à partir de 1 500/3 000 euros. « Lorsque je présentais des sculptures, j’avais du mal à
les vendre. Par contre les bols, les contenants, trouvaient preneur plus facilement », rappelle-t-elle.
Le décalage est aigu entre le grand nombre de céramistes en activité et la faible quantité de lieux de diffusion. Une apparente atonie qui n’a pas empêché la galerie Pierre de s’installer avec succès dans le Marais depuis quatre ans.
Les galeries américaines
Le hiatus entre la France et les États-Unis est abyssal. « Dans toutes les villes américaines de moyenne importance, on trouve deux ou trois galeries de céramique. À New York, il y en a cinq très bonnes, comme Garth Clark qui fait la pluie et le beau temps, et une vingtaine de moyennes », précise le galeriste Pierre Staudenmeyer. Un des papes de la céramique contemporaine, Peter Voulkos, décédé en 2002, vaut entre 30 000 et 60 000 dollars pour des pièces des années 1960, mais autour de 250 000 dollars pour des créations postérieures. Dans certaines ventes de Christie’s, on peut toutefois rencontrer des pièces autour de 7 000 dollars. À la fin des années 1970, la mode américaine est au funk. Cette tendance baroque et kitsch, proche du Pop Art, se cristallise chez Robert Arneson.
Ses lavabos ou machines à écrire en céramique, dans l’esprit du plasticien Robert Gober, se vendent outre-Atlantique dans les 150 000 dollars. Le créateur se complaît aujourd’hui dans les multiples variantes de sa propre figure. Une « belle » tête se négocie dans les 40 000/50 000 dollars. Les pièces en trompe l’œil réalisées par Richard Shaw dans les années 1980 sont particulièrement prisées, autour de 15 000 dollars pour une petite figurine.
Certains des plus grands céramistes de la seconde moitié du xxe siècle sont britanniques. Les pièces de Hans Coper se négocient en galerie entre 20 000 et 60 000 livres sterling. En juin 2002, un vase à glaçure noire obtient 26 290 euros chez Christie’s Amsterdam. Dame Lucie Rie se négocie entre 10 000 et 15 000 livres sterling. La galerie Pierre présente des pièces séduisantes et fragiles d’Ursula Morley Price entre 600 et 4 000 euros. Lors de sa dernière exposition, la galerie Pierre a facilement vendu quarante-cinq œuvres. La céramique est tellement assimilée à un art à part entière que le Turner Prize a été décerné l’an dernier au céramiste Grayson Perry. La galeriste Clara Scremini, qui fut la première à l’introniser en France en 1995, se rappelle de l’indifférence ambiante. « Je proposais [ses créations] péniblement entre 3 000 et 5 000 francs. Aujourd’hui je reçois des appels pour en acheter entre 5 000 et 7 000 livres sterling. Les gens qui n’ont pas su acheter à cette époque ont raté un rendez-vous important. » Le Mexicain Gustavo Perez est le créateur le plus plébiscité actuellement. Les prix de ses céramiques naviguent entre 5 000 et 12 000 euros aux États-Unis alors que la galerie Pierre en propose entre 1 900 et 2 100 euros.
« Les céramistes étrangers acceptent toujours de baisser leurs tarifs en France pour entrer dans des collections hexagonales. Du coup, certains amateurs britanniques ou américains viennent les acheter ici », précise Pierre Staudenmeyer. Dans la foulée de l’intérêt pour le design scandinave, les céramistes danois ont aussi le vent en poupe.
Les créateurs français ont un long chemin à rattraper.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Céramique contemporaine, la toute-puissance étrangère
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°557 du 1 avril 2004, avec le titre suivant : Céramique contemporaine, la toute-puissance étrangère