ENTRETIEN

Carlo Orsi, antiquaire à Milan : « La participation à de grands événements est indispensable »

Par Olivier Tosseri, correspondant en Italie · Le Journal des Arts

Le 18 septembre 2019 - 850 mots

Spécialisé dans l’art ancien, en particulier italien, Carlo Orsi, qui participe à la prochaine Biennale des antiquaires de Florence, commente l’évolution du marché, en Italie et dans le monde.

Qu’est-ce qui fait la particularité de votre galerie ?

J’ai repris en 1986 la galerie fondée en 1952 par mon père [Alessandro Orsi] à Milan. J’ai été l’un des premiers à anticiper l’évolution du métier en abandonnant l’approche généraliste pour me concentrer sur peu d’œuvres mais d’une très grande qualité avec un travail de recherche scientifique pointu autour de chacun de mes achats. Je suis à la recherche de pièces uniques et d’exception. C’est ce qui explique mon absence de stock et le fait que je n’effectue qu’une dizaine d’opérations importantes par an. Je n’achète jamais en salle des ventes. J’approfondis le réseau de grands collectionneurs et de familles aristocratiques constitué au cours des plus de soixante-cinq années d’histoire de notre galerie. J’ai vendu des œuvres à de nombreux musées parmi lesquels le Met [Metropolitan Museum of Art] et le MoMA à New York, la Galleria dell’Accademia de Venise et le Palazzo Barberini à Rome, mais aussi la National Gallery du Canada. Mes clients sont essentiellement anglo-saxons, d’où l’importance de la décision de reprendre en 2016 la prestigieuse galerie londonienne Trinity Fine Art.

Le Brexit aura-t-il des conséquences sur le marché de l’art ?

Londres demeure la capitale du marché mondial même s’il perd ces derniers temps du terrain par rapport à l’autre grande place par excellence qu’est New York. Même si certains collectionneurs ou galeristes ont transféré une partie de leurs œuvres sur le continent en prévision du Brexit, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ne devrait pas bouleverser le marché. Celui-ci l’a été par l’évolution du goût qui a nui au secteur des antiquités. Les antiquités ne constituent plus en Occident un symbole de statut social comme ce fut longtemps le cas. On ne décore plus sa maison avec des meubles Louis XV ou une nature morte flamande du XVIIe siècle, mais avec des œuvres de designers. À cela s’ajoute la crise de la classe moyenne en Europe qui représentait auparavant un bassin important d’acheteurs. Mais la bulle des super-riches, ceux qui continuent à acheter, existera toujours.

Comment la clientèle a-t-elle évolué et que recherche-t-elle ?

Les très beaux tableaux et sculptures sont encore demandés, l’argenterie et les porcelaines moins ; quant aux meubles, ils doivent être d’une très grande qualité. En Europe on assiste également à un manque de jeunes collectionneurs, ce qui est moins le cas dans les pays émergents. Le marché est de toute façon international aujourd’hui. Il faut se confronter à des clients qui viennent du monde entier : Russie, Chine, Japon, pays arabes. Les clients asiatiques achetaient auparavant essentiellement des œuvres de leur pays d’origine. Ils s’ouvrent désormais de plus en plus à l’art occidental. On doit ainsi rechercher des œuvres iconiques qu’ils pourront reconnaître, mais toujours avec le souci d’une très grande qualité et un travail de recherche et d’explication de l’histoire de l’objet que je mène avec un important réseau de collaborateurs.

Dans ce contexte, quelle importance revêtent les foires internationales ?

Le métier d’antiquaire a profondément évolué ces dernières années. La galerie n’est plus le cœur des affaires. La participation aux grands événements comme les Tefaf de Maastricht et de New York ou la Biennale des antiquaires de Florence est indispensable. Ils sont des points de référence pour tous les acteurs du marché en réunissant les grands collectionneurs, les directeurs de musée, les conservateurs... C’est le meilleur moment pour présenter les œuvres. Je participerai à la soixantième édition de la Biennale des antiquaires de Florence du 21 au 29 septembre avec une toile de Domenico Beccafumi, Sainte Famillle avec saint Jean ; un buste en bronze du Bernin représentant le pape Urbain VIII en provenance de la Collection Corsini et un portrait de Giovan Battista Moroni que l’on pensait disparu et que nous avons retrouvé.

Vous avez été président de l’Association des antiquaires italiens ; quelle est la situation en Italie pour la profession ?

Le grand problème que nous devons affronter est la législation restrictive en matière d’exportation des œuvres, car celle-ci nous pénalise. Elle remonte à Mussolini, en 1939, et a un caractère protectionniste. Les normes en vigueur interdisent d’acheter une œuvre cinquante ans après sa réalisation, ou si son auteur est décédé, à moins d’être en possession d’une licence d’exportation délivrée par les autorités avec des pratiques bureaucratiques d’un autre temps. 80 % des œuvres qui sortent du territoire italien sont des œuvres d’art contemporain. Sous ma présidence de l’Association des antiquaires, nous avions soutenu avec les professionnels le projet « Apollo » visant à assouplir ce carcan. Il prévoyait notamment que toute œuvre, quelle que soit son époque, dont la valeur ne dépasse pas les 13 500 euros pouvait ne pas être soumise à contrôle. Une somme dérisoire. À cela s’ajoute le fait qu’à la différence de la France ou de l’Angleterre, l’État entrave la vente des objets mais ne les achète pas. Ils demeurent bloqués dans les collections ou dans des caveaux. C’est suicidaire pour le marché Italien.

31e Biennale internationale des antiquaires (BIAF),
du 21 au 29 septembre, palais Corsini, via del Parone, Florence, Italie, www.biaf.it

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°529 du 20 septembre 2019, avec le titre suivant : Carlo Orsi, Antiquaire à Milan : « La participation à de grands événements est indispensable »

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