Galerie

Boudin, « roi des ciels »

Un panorama complet et varié à la galerie Schmit

Par Nathalie Jérosme · Le Journal des Arts

Le 24 avril 1998 - 718 mots

La galerie Schmit a rassemblé, au terme de plusieurs années de travail, une cinquantaine d’huiles d’Eugène Boudin et une quinzaine d’œuvres sur papier. Ce vaste ensemble, intégralement proposé à la vente, offre au visiteur une vision assez complète du parcours de l’artiste, avec des pièces importantes, comme Sur la plage de Trouville , la plus grande scène de plage en mains privées. L’exposition éclaire aussi des aspects moins connus de Boudin, à travers deux natures mortes, un Champ de course à Deauville, des vaches à l’herbage et plusieurs huiles inédites.

PARIS - D’Eugène Boudin, sacré “roi des ciels” par Corot, on connaît surtout les vues de port et les scènes de plage. L’exposition de la galerie Schmit, présentée par régions de prédilection de l’artiste – la Bretagne, la Normandie, la Belgique et la Hollande –, ne démentira pas totalement cette impression. La plupart des quelque 70 œuvres accrochées aux cimaises montrent un entremêlement de mâts dressés et de reflets dans l’eau, de jets de vapeur et de nuages sombres, ou d’ombrelles et de crinolines gonflées par le vent. La ligne d’horizon, toujours très basse, dégage un ciel immense et animé, tandis que l’activité humaine, souvent juste esquissée, se concentre dans le tiers inférieur des compositions.

Le très productif précurseur de l’Impressionnisme – on recense plus de 4 500 tableaux peints par lui – a décliné, tout au long de sa carrière, quelques thèmes récurrents dont la galerie offre à chaque fois des exemples : pêcheurs et pêcheuses à marée basse, laveuses, fêtes bretonnes, navires au port et, surtout, scènes de plage.

Ces dernières, réalisées à partir de 1862, ont rendu Boudin célèbre, bien qu’elles représentent moins d’un dixième de son œuvre. Ce sont les pièces les plus recherchées, notamment celles des années 1860, appréciées pour leur minutieuse évocation de la société des stations balnéaires. Cinq huiles sur ce thème et autant d’aquarelles et pastels sont exposés, dont un Trouville, heure du bain, de 1864, qui inverse le point de vue habituel et montre les baigneurs depuis la mer, ainsi que l’exceptionnelle Sur la plage de Trouville. Son grand format – 45 x 75,5 cm – et sa date – 1863 – en font la plus importante scène de plage en mains privées. En vente à 18 millions de francs, elle se situe au sommet de la fourchette de prix proposée par la galerie (entre 2000 000 et 18 millions de francs pour les tableaux, et de 20 000 à 800 000 francs pour les travaux sur papier).

Moins cotées mais plus spontanées, les esquisses et les œuvres des années 1880 et 1890 laissent voir toute la virtuosité de Boudin, qui brosse en quelques vigoureux coups de pinceaux une composition forte et évocatrice. À la très soignée Heure du bain sur la plage de Trouville de 1868, les amateurs préféreront peut-être la petite étude de la Plage de Trouville, datée de 1882, beaucoup plus dynamique et enlevée. L’avant-port du Havre (1894), une paire inédite de Jetée à Trouville (1894, 1895) et le Rivage à Trouville, peint un ou deux ans avant la mort de l’artiste (1896-1897), atteignent une belle maîtrise mêlée de liberté.

Des aspects méconnus
La galerie Schmit expose aussi des œuvres plus originales par leurs dimensions ou leur sujet, comme les grands paysages présentés aux Salons de 1870 et 1885, le très moderne et unique Deauville, le champ de courses en 1866, deux natures mortes de jeunesse d’assez bonne facture, des tableaux de vaches au pré réalisés à l’instigation du marchand Durand-Ruel pour répondre à la demande du public, et une étonnante étude de Bateaux de pêche à Rotterdam, de 1876, presque cubiste.

Enfin, l’exposition recèle un petit joyau : une huile sur panneau de 1865, avec des femmes en crinoline assises dans l’herbe au bord des falaises de Trouville, dont le traitement virtuose de la lumière et du vent préfigure les Femmes au jardin peintes par Monet un an plus tard. “Restée près de quatre-vingts ans dans la même famille, elle nous a été apportée couverte d’une crasse sombre, explique Manuel Schmit. Nul n’aurait pu imaginer qu’un tel trésor se cachait derrière.”

CENTENAIRE EUGÈNE BOUDIN, exposition-vente, 29 avril-8 juillet, puis 15 septembre-27 novembre, Galerie Schmit, 396 rue Saint-Honoré, 75001 Paris, tél. 01 42 60 36 36, du lundi au vendredi 10h-12h30 et 14h-18h30. Catalogue 150 F.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°59 du 24 avril 1998, avec le titre suivant : Boudin, « roi des ciels »

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