Bibliophilie : Paris multiplie ses atouts

L’expert Claude Blaizot livre son analyse du marché du livre et de ses perspectives

Le Journal des Arts

Le 1 mars 1997 - 954 mots

Le marché mondial du livre va-t-il se centraliser à Paris, où Sotheby’s ouvre un département de bibliophilie avec la nette intention d’y organiser des ventes, tout comme Christie’s ? L’année 1996, en tout cas, a été d’un dynamisme exceptionnel dans ce domaine, et les plus grandes ventes de livres modernes ont eu lieu à Paris. Président de la Compagnie nationale des experts et du Syndicat national des antiquaires, le libraire Claude Blaizot, qui a été l’expert de certaines de ces ventes, nous donne son analyse de la tendance du marché du livre en 1996, et ses perspectives.

PARIS. "L’année 1996 nous a montré que le marché français  du livre reste à Paris, avec une dimension de plus en plus mondiale ", déclare l’expert Claude Blaizot. Il est vrai que les dispersions les plus prestigieuses, comme celle du collectionneur Henri Paricaud ou du libraire de la rue de Seine Alexandre Loewy, ont eu lieu à Drouot, et que les cotes très élevées étaient tout à fait au niveau international. Deux marchés se distinguent, cependant. D’une part, celui des livres "franco-français", qui se vendent bien, avec stabilité, sans spéculation, mais avec des cotes moins importantes. Il y a d’autre part un marché tourné vers les États-Unis, avec notamment les livres de gravures d’artistes, tels Picasso, Chagall, Miró, Dali. "Cette alliance réussie entre un auteur, un artiste illustrateur et un artisan relieur fait de ces livres de véritables œuvres d’art uniques,  explique Claude Blaizot, qui insiste sur la valeur ajoutée par la reliure à une œuvre originale. Écrin supplémentaire qui protège et décore, la reliure justifie l’envolée de l’enchère." Le déploiement des départements de bibliophilie anglo-saxons n’entame pas la confiance de l’héritier de la célèbre librairie fondée en 1850 : "Je préfère que les ventes aient lieu à Paris, car cela dynamisera nos activités."

1. Guillaume Tempel, 65 Maximiliana ou l’Exercice illégal de l’astronomie. Écritures et eaux-fortes de Max Ernst. Paris, Le Degré Quarante et Un, 1964. Estimé 250 000 francs, adjugé 500 000 francs (Mes Poulain-Le Fur, bibliothèque Henri Paricaud, 21 novembre 1996).
Ce très beau livre illustré sur japon ancien des Maximiliana est enrichi de ce que les bibliophiles appellent une "truffe", savoureuse trouvaille relative à l’ouvrage, glanée par le collectionneur – ici une suite de 9 épreuves d’artiste signées de Max Ernst. La reliure de 1971 est considérée d’époque, moins de dix ans après la date d’édition du livre. Il faut en effet tenir compte des temps de création très longs pour les relieurs. La reliure, avec des loupes encastrées, est rarissime dans l’œuvre de Pierre-Lucien Martin. Il existe néanmoins une variante de cette reliure avec des loupes sur un autre exemplaire de cet ouvrage. Mais les Maximiliana d’Henri Paricaud demeurent un exemple particulièrement précieux.

2. Paul Eluard, À toute épreuve. Gravures sur bois de Joan Miró. Genève, Gérald Cramer. Estimé 130 000 francs, adjugé 158 000 francs (Mes Poulain-Le Fur, bibliothèque Henri Paricaud, 21 novem­bre 1996).
C’est un livre magique. Cette reliure "mécanique" d’orbites colorées à combinaisons multiples est un trait de génie du relieur Georges Leroux, qui l’a signée en 1983. Elle fait de ce livre une œuvre unique. À toute épreuve  est considéré comme le plus beau livre d’illustrations de Miró, avec ses 80 compositions en couleurs issues de 233 bois gravés par l’artiste. Même sans la reliure extraordinaire de Georges Leroux, il est déjà très recherché.

3. Blaise Cendrars, La Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France. Couleurs simultanées de Mme Delaunay-Terk. Paris, éditions des Hommes Nou­veaux, 1913. Couverture en couleurs de Sonia Delaunay, peinte à l’huile au pochoir sur chevreau. Adjugé 350 000 francs (Mes Laurin-Guil­loux-Buffetaud, 7 octobre 1996).
La Prose du Trans­sibérien est un livre rarissime et, pourtant, 1996 a été une année florissante qui en a vu passer trois exemplaires en vente. En dépit de cette abondan­ce, les acheteurs sont toujours là. Le cours est stable et les prix élevés. Ce sont des indices très rassurants pour le marché. Il est important de resituer cet ouvrage en 1913. Il s’agit du premier livre "simultané", où texte et illustrations s’ajustent côte à côte dans une abstraction extrêmement novatrice pour l’époque.

4. La Création, les trois premiers livres de la Genèse suivis de La généalogie Adamique, traduit par le Dr. J.-C. Mardrus. Paris, Gonin, 1928. Bois gravés en couleurs de F. L. Schmied, rehaussés d’or et d’argent. Reliure de Schmied avec laque de Jean Dunand. Estimé 14 000 à 16 000 livres, adjugé 19 550 livres (So­theby’s, Londres, 16 mai 1996).
F. L. Schmied est l’artiste du livre le plus connu dans le domaine de l’illustration Art déco. La Création est absolument exemplaire parmi les reliures décorées par Schmied, qui a réalisé ici les illustrations intérieures et l’habillage extérieur de l’ouvrage. Jean Dunand a apporté son savoir-faire, avec une laque élaborée à partir de coquilles d’œuf pilées. La collaboration entre Dunand et Schmied a donné de grandes réussites dans le domaine de la reliure des années 30, et leurs réalisations en duo ne sont pas nombreuses.

5. Longus, Daphnis et Chloé. Lithographies originales de Marc Chagall. Paris, Tériade, 1961. 2 volumes in-folio (430 x 350). 42 lithographies originales en couleurs de Marc Chagall. Estimé 800 000 francs, adjugé 820 000 francs (Me Loudmer, vente Alexan­dre Loewy, 30 mars 1996).
En premier lieu, la provenance de la collection du grand libraire et bibliophile Alexandre Loewy est un atout. Un tel pedigree influe indéniablement sur la cote. Les experts s’attendaient à une telle envolée sur ce livre, car Daphnis et Chloé a une valeur considérable. Il y a de très nombreuses lithographies en couleurs de Chagall, artiste recherché sur le marché international. Ce sont des planches extraordinaires,  de format très grand. La qualité des reliures, en deux volumes, est remarquable, et leur composition, magistrale.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°34 du 1 mars 1997, avec le titre suivant : Bibliophilie : Paris multiplie ses atouts

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