Benoît Piéron transcende le banal de l’hôpital

Paris. C’est son premier solo à la galerie Sultana, mais Benoît Piéron (né en 1983) a déjà beaucoup fait parler de lui. Nominé pour plusieurs prix (dont celui de la Fondation d’entreprise Pernod Ricard 2022), il a pris part en 2023 à l’exposition collective « Exposé.e.s », au Palais de Tokyo, ainsi qu’à la Biennale de Liverpool. Cette même année, il a été accueilli par le programme de résidence de la Collection Pinault, à Lens, et son agenda 2024-2025 s’annonce assez chargé : actuellement dans « Coming soon » présenté par Lafayette Anticipations, il prépare plusieurs expositions, dont une exposition personnelle au centre d’art Les Capucins (Embrun). La galerie Sultana a eu l’occasion de montrer ses œuvres dans des expositions de groupe, notamment ses « Peluches psychopompes » et ses paravents en patchworks, réalisés à partir de linge réformé des hôpitaux. La joliesse habille souvent, chez Benoît Piéron, des situations stériles.

Dans l’exposition « Poudre de riz », l’artiste met en scène un univers où le registre de la maladie se télescope avec celui des désirs tus, ceux de la libido comme ceux de l’imaginaire enfantin confiné. Abordant l’espace comme un cadre domestique, Benoît Piéron parvient à y créer un environnement versatile, entre goûter d’anniversaire et séjour carcéral, soirée pyjama et salle d’attente. Les gyrophares détournés en veilleuses rotatives et les monstres tapis dans les replis textiles [voir ill.] suggèrent des tentatives de travestir la réalité pour mieux s’en évader, en douceur. Quant aux silhouettes de Magic Tree dessinés à même les murs, comme des cadavres exquis graffités, ils invitent chaque visiteur à les compléter sur place.

Usant de beaucoup de délicatesse pour faire passer une gravité dépourvue de pesanteur, les œuvres de Benoît Piéron sont liées à son expérience personnelle de personne « invalidée » – conséquence d’une leucémie contractée dans son plus jeune âge. De ce ressort intime et douloureux, l’artiste fait une œuvre politique. Rappelant que la pulsion de vie palpite malgré tout dans le climat aseptisé des soins intensifs, il habille des bustes de mannequins de harnais sexy en tissus rembourrés, sur lesquels il a cousu des « clitoris-boule à facettes » qui clignotent tendrement.

Récurrente dans son travail, la lumière évoque tantôt une présence rassurante, immanente, tantôt au contraire l’intrusion subie, flashs d’imageries médicales ou speculums obstétriques. Des boules à neige sont disposées ici et là. « Elles ont été inventées à Vienne par un type qui était mécanicien d’instruments chirurgicaux, explique-t-il. C’est encore la même famille qui les fabrique, c’est avec elle que j’ai travaillé. » Sous les globes transparents, des compositions composites, des fleurs en perles funéraires, des personnages en pâte à modeler, des moulages… Autant de techniques artisanales – la broderie, le crochet, le patchwork, les fleurs en tissus, les perles enfilées… – associées au passe-temps des femmes et des enfants malades assignés à la patience. Et qui s’épanouissent ici en sculptures miniatures sous des tempêtes de neige artificielle pailletée.