Galerie

ART CONTEMPORAIN

Au-delà du décor

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 2 mars 2022 - 530 mots

PARIS

Le style Cottagecore vante les vertus du retour à la ruralité. L’art contemporain s’est emparé de cette notion à la mode dont la galerie Sultana se fait l’écho.

Paris. Le Cottagecore ? Le phénomène nous avait échappé. La notion, en passe de devenir commune, agrège sous forme de hashtag toutes les aspirations comprises dans le cliché du retour à la campagne idéalisé. Prenant pour prétexte ce néologisme générationnel au succès viral, popularisé dans les années 2010 sur les réseaux sociaux, la galerie Sultana a imaginé des rapprochements entre des réflexions passées et actuelles, et entre des artistes qu’elle expose pour la première fois – à l’exception de Jesse Darling. Ainsi d’Edie Fake (né en 1980), dont les compositions géométriques sur fond noir captivent par l’intensité de leurs couleurs et le scintillement des références suggérées, de l’univers de la nuit au mysticisme, de l’architecture à la parure, de la lithothérapie aux motifs vernaculaires mexicains. L’artiste, installé en Californie, revendique la référence au mouvement américain « Pattern & Decoration » [motif et décoration] des années 1970. Il l’associe dans ses visions illuminées au clignotement fluorescent des façades de bar de Chicago autant qu’aux recherches sur les liens entre sexualité et environnement bâti développées, notamment, par l’architecte et théoricien Olivier Vallerand.

Le corps dans l’espace

Cette remise en question des « approches identitaires de l’espace » est également à l’arrière-plan des photographies de Robin Plus, qui met en scène ses amis dans des paysages urbains dont ils soulignent par leur présence les conventions normatives, coulées dans le béton. L’influence de Wolfgang Tillmans, dont Robin Plus a été l’élève, est perceptible dans ses tirages où sont cependant abordées des thématiques plus actuelles liées au corps et au genre.

Au centre de l’exposition, le Paravent de Benoît Piéron (2022) – nommé pour le prix de la Fondation Pernod Ricard 2022 – capte et oriente le regard. À partir de matériel d’hôpital – structure métallique en accordéon et draps recyclés de différentes couleurs –, l’artiste (né en 1983), dont la biographie est marquée par l’expérience de la maladie, transfigure la réalité dans ce qu’elle a de plus trivial, en la parant d’un manteau d’Arlequin en patchwork cousu main. Sur le fil, ses œuvres aux teintes douces peuvent contenir une violence subtile, telles ses Peluches psychopompes [voir ill.], créatures de compagnie en forme de chauve-souris si mignonnes qu’elles font craindre – ou éveillent – un réflexe de brutalité, ou encore ce Rouge à lèvres (2019) dégoupillé qui doit son pigment vermeil à la propre hémoglobine de l’artiste.

En devanture, son papier peint Baldosas Immaculadas (2012-2022), dans une veine apparemment très Arts & Crafts [arts et artisanats], reprend dans ses enchevêtrements optiques des éléments de l’univers médical détournés en motifs floraux graphiques. Quant à cet épi de maïs confectionné avec du savon, il évoque autant une nécessaire purification du corps qu’un attribut viril suspendu à la façon d’un trophée, ou d’un accessoire. Au sol, les pieds d’argile fichés sur des tiges de fer de Jesse Darling (née en 1981), We tried (2019) concentrent l’anxiété et la fragilité de l’attente. Sculpture, peinture, installation, photographie : en quelques œuvres (de 650 à 17 000 euros), « Cottagecore » dresse, plus qu’un décor, un état des lieux stimulant.

Cottagecore,
jusqu’au 26 mars, Galerie Sultana, 10, rue Ramponeau, 75020, Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°584 du 4 mars 2022, avec le titre suivant : Au-delà du décor

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