PARIS
Le salon Parcours des mondes, comme les belles ventes aux enchères de collection, prouvent l’attractivité de la capitale auprès des collectionneurs internationaux. Reste un challenge de taille : renouveler la clientèle.un marché toujours
Parcours des mondes revient pour la 17e édition à Saint-Germain-des-Prés. Cet événement dédié aux Arts premiers attire un public de connaisseurs. « Certains viennent de très loin (Australie, Brésil, États-Unis) et beaucoup d’Europe. C’est surtout un salon d’initiés, sachant apprécier la qualité des œuvres exposées », estime l’expert et marchand Charles-Wesley Hourdé. « Paris reste la place de référence, elle-même valorisée par le Musée du quai Branly-Jacques-Chirac », constate Loïc Le Chevalier, secrétaire général du Conseil des ventes volontaires (CVV). Ce que confirme le marchand Bernard Dulon : « 2017 a été une très bonne année pour le marché, grâce à la dispersion de belles collections en Europe et aux États-Unis, et les résultats enregistrés ce début d’année lors de ventes parisiennes témoignent de cette vitalité », relève-t-il, évoquant la vente d’un masque yaouré-baoulé et d’un couple d’antilopes tji wara, respectivement des anciennes collections Rockefeller et Maurice Nicaud, par Binoche & Giquello.
On vient de loin pour acheter, mais aussi pour vendre à Paris, ce qui atteste de l’attractivité de la capitale. Fin mai, sur les trois ventes réalisées par Christie’s et Sotheby’s dans cette spécialité, 83 % des lots cédés appartenaient à des collectionneurs non français, loin du ratio de 12 % de pièces mises aux enchères par des étrangers observé pour l’ensemble des adjudications en France en 2017. Et même si la vente de la collection Durand-Dessert par la maison Pinault n’a pas tenu ses promesses, avec les cinq lots phares partis en dessous des estimations basses, 2018 est partie pour être une bonne année avec déjà 23,5 millions d’euros récoltés (prix marteau, sans les frais) ce semestre.Les arts de l’Afrique, de l’Océanie et de l’Amérique du Nord constituent le cœur du marché, auquel s’ajoute l’art précolombien. Les œuvres d’Afrique, majoritairement issues du Gabon, du Congo, du Mali, de Côte d’Ivoire et du Nigeria, représentent la moitié des lots mis aux enchères, contre 25 % pour celles provenant d’Océanie (îles Marquises, îles Cook, Hawaï, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Australie, Nouvelle-Zélande) et autant pour les pièces précolombiennes issues du Mexique, Venezuela, Costa Rica et de diverses cultures (Olmèque, États du Guerrero, Chupicuaro, Maya, Teotihuacan…). Pour autant, les arts premiers sont un marché de niche. Aux enchères, hors frais, ils ont totalisé 34 millions d’euros en 2016 et 38,5 millions en 2017, selon le CVV. « Cinq maisons (Christie’s, Sotheby’s, Binoche & Giquello, Millon et Artcurial) concentrent 96 % du montant des ventes, et les trois premières, 90 % », poursuit Loïc Le Chevalier. À elles cinq, elles écoulent moins de 1 500 lots par an dans cette spécialité. Le produit se joue sur un nombre limité d’œuvres, provenant souvent de collections telles celles de Jacqueline Loudmer chez Christie’s, Viviane Jutheau de Witt et Max Loehr chez Sotheby’s, Madeleine Meunier chez Million et Christie’s, ou la collection américaine d’art précolombien chez Binoche & Giquello.
Si « le regard porté sur cet art a profondément évolué depuis vingt ans, grâce à des artistes et des auteurs du XXe siècle, comme Vlaminck, Breton, Éluard, Derain, Picasso, Matisse, Dubuffet », comme le note encore Loïc Le Chevalier, le renouvellement des collectionneurs reste compliqué. « Si le simple acheteur fonctionne avec une sensibilité plus proche du goût décoratif, le collectionneur développe des connaissances pointues : les pièces proposées, de par leur nature et leur ancienneté, sont non signées, difficiles à dater, ce qui nécessite d’affûter son regard et d’acquérir une expertise proche d’un marchand. Difficile donc de renouveler le panel ! », regrette Bernard Dulon. Le marchand voit néanmoins de nouveaux clients se profiler. « Ils sont collectionneurs d’œuvres modernes et contemporaines et désirent inclure quelques pièces d’art premier dans leur ensemble », explique-t-il. Même constat de la part de Charles-Wesley Hourdé. « Ils ne sont pas très nombreux, mais peuvent changer la donne. Certains sont très actifs et enthousiastes sur les réseaux sociaux, d’autres cherchent à investir ou créer des fondations. »Le spécialiste de l’art océanien Anthony Meyer se montre toutefois plus nuancé. « Le renouvellement de la clientèle est primordial. Le marché à New York a été florissant dans les années 1980-1990, mais est devenu un désert en vingt ans. » Il s’inquiète de voir « le nombre de marchands sur rue diminuer », car « sans accessibilité, les nouveaux collectionneurs ne peuvent même pas savoir que le marché de l’art tribal existe ». Voilà pourquoi il prospecte au-delà des sentiers battus. « Je m’attelle depuis des décennies à décloisonner le marché, en étant présent dans les plus grandes foires et expositions du monde », souligne-t-il.Inquiétant également à ses yeux, « ce marché à deux vitesses apparu depuis trois-quatre ans, avec des prix en galerie stables et une progression spectaculaire de ceux obtenus par deux-trois maisons de vente internationales, détournant ainsi de ces galeries une clientèle habituelle d’art tribal ». « La force du marchand est d’être un découvreur qui, à l’encontre des modes et de la facilité, déniche des pièces d’exception. Si les collectionneurs nous délaissent, il n’y aura tout simplement plus de marché à terme », menace Anthony Meyer.
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Arts premiers, un marché toujours soutenu à Paris
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°715 du 1 septembre 2018, avec le titre suivant : Arts premiers, un marché toujours soutenu à Paris