À la faveur de l’exposition du quai Branly et de Parcours des mondes, les arts du Nigeria arrivent en force sur le marché. Ce qu’il faut savoir avant d’acheter….
L' exposition sur les arts de la vallée de la Benoué au Nigeria, inaugurée par le Musée Fowler de Los Angeles en 2011 et qui arrive au Musée du quai Branly en novembre après deux étapes américaines, a le mérite de faire découvrir des arts mal connus. Et pour cause, hormis les régions côtières qui furent colonisées par les Anglais, les territoires plus au nord, où se trouvent différentes ethnies aux croyances animistes, furent tardivement visités. Et comme à chaque fois qu’une grande exposition internationale d’arts premiers est organisée, le marché de l’art se met au diapason : nombre d’objets de qualités diverses apparaissent chez les marchands et dans les ventes publiques. Qu’il faut cependant chiner avec prudence.
La statuaire Mumuyé, caractéristique d’un art très moderne, libre et rythmé avec ses grandes figures stylisées à la tête expressive et aux bras en mouvement, nous est familière. Mais il faut rappeler qu’elle n’est connue que depuis les années 1970. Beaucoup de sculptures sont alors sorties du territoire Mumuyé. Ce commerce lucratif a poussé les sculpteurs locaux à en reproduire. D’où l’abondance en Europe de copies tardives sans grand intérêt, sans compter les faux actuels. Au final, « il existe peu de bonnes sculptures faites par les autochtones pour les autochtones dans un but rituel », constate l’antiquaire parisien spécialisé Bernard Dulon, présent en septembre à Parcours des mondes.
Sur le plan stylistique, il apparaît une parenté entre les arts des ethnies Montol, Mumuyé, Chamba, Jukun, Wurkum, à tel point qu’il est fréquent de les confondre. Ce sont tous des objets forts et architecturés, avec une nette tendance à la stylisation géométrique et à l’abstraction, pour arriver parfois à une épure totale. « En revanche, les objets Mambila sont d’un groupe bien distinct, avec un réalisme vigoureux expressif qui évoque plus la grande sculpture du Cameroun », souligne le spécialiste Pierre Amrouche.
Par leur style fort et vigoureux, les objets de la Benoué séduisent les collectionneurs d’art moderne et contemporain. Mais l’ascension des prix des statues et des masques attire aussi les faussaires. Les bons objets demeurent rares, et il est difficile d’acheter sans connaître. « Les arts d’Afrique sont un marché qui demande une éducation. Car ils ne sont ni signés, ni datés », prévient Bernard Dulon. Pour ne pas se tromper, un amateur doit pour cela préférer des objets référencés, exposés et à pedigree.
Les Mumuyé
En pays Mumuyé, existait à l’intérieur des enclos familiaux une case réservée aux statues représentant des esprits tutélaires. Elles étaient utilisées par un homme de grand pouvoir à des fins de guérison, de divination et pour la maîtrise de la pluie et du tonnerre. La grande liberté attribuée aux sculpteurs Mumuyé n’exclut pas pour les meilleurs d’entre eux une rigueur très classique. Cette statuette de la collection Rasmussen allie ainsi de grandes inventions sculpturales, notamment dans le traitement des jambes, la projection arrière des bras et la stylisation du visage, à une construction architecturale drastique et épurée. Sa superbe patine d’usage est le témoin de sa grande ancienneté et de la vénération dont elle était l’objet.
Effigie d’ancêtre Mumuyé, Nigeria, fin XIXe–début XXe siècle, bois à patine noire et de terre, kaolin, hauteur : 51 cm. Provenance : René Rasmussen, Paris ; puis collection privée suisse (acquis en 1963). Exposition : « L’Art d’Afrique noire dans les collections privées suisses », Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds, Suisse, 1972 (illustrée au catalogue).
Prix : autour de 50 000 euros, Galerie Bernard Dulon (Paris), Biennale des antiquaires 2012.
La force des masques
Symbolisant un esprit de brousse, ce masque à mâchoires de crocodile et cornes de buffle est lié à des forces dangereuses. Il servait à célébrer des rites de passage comme la circoncision, l’installation de nouveaux chefs et les funérailles. Le dôme hémisphérique du masque Chamba est lié à la mort, car assimilé à un crâne, une relique ancestrale extraite de la tombe d’un ancien. Les amateurs apprécient la puissance magistrale de l’esthétisme de tels masques.
Masque Chamba, Nigeria, bois, hauteur : 63 cm.
Prix : 18 000 euros, Galerie Joaquin Pecci, Bruxelles.
L’art côtier
Cette statue représente l’ancêtre à la longue barbe tressée (portée par les notables), à la mode du XVIIIe au début du XXe siècle dans les régions côtières du Nigeria. Vestige d’un ancien culte d’ancêtres aujourd‘hui disparu, ce type de statue devait être placé sur un autel. L’usure des pieds témoigne d’un usage rituel. Toutes ces statues avaient été récoltées par le Britannique par K. Murray en 1950 et rassemblées dans un dépôt. Les événements politiques liés à l’indépendance du pays et aux guerres du Biafra ont fait qu’elles se sont perdues et sont devenues très rares.
Statue ancêtre Oron, région de Calabar, Nigeria, bois, hauteur : 98 cm.
Prix : autour de 100 000 euros, Galerie Pierre Dartevelle (Bruxelles), Parcours des mondes 2012.
Les Vere
Installés à l’est de la Benoué, les Vere partagent des croyances religieuses associant étroitement les êtres, la nature ou l’au-delà. Leurs œuvres d’art se font l’écho de ces liens spirituels, comme ce couple de statuettes. D’aspect primitif, la grande figure masculine, à petite tête et corps massif constellé de discrètes marques circulaires, affiche une expression vivante avec son visage rond, ses petits yeux, son nez et sa bouche à peine esquissés. Plusieurs parties sont enduites de résine (cheveux frisés, ceinture, coudes et poignées). L’autre statuette représentant une femme a indiscutablement été réalisée de la même main. Il existe peu d’informations sur leur signification.
Couple de statuettes Vere, Nigeria, bois, résine, cire, bois, métal, résine, cire, hauteur : 56 et 43 cm. Provenance : collectées in situ par Martial Bronsin en 1970. Publication : Empreintes d’Afrique : L’art tribal au fil des fleuves, Bettina von Lintig, 5 Continents Éditions, 2011 (illustré en couverture et p. 193).
Prix : plus de 100 000 euros, Galerie Didier Claes (Bruxelles), Biennale des antiquaires 2012.
Que faut-il savoir sur les Mumuyé ?
Les Mumuyé sont aujourd’hui les objets les plus falsifiés, sans doute parce qu’ils sont à la mode et que la demande crée l’offre. Les faux sont très biens faits sur place et au Cameroun, le haut lieu de tous les faux. La dernière invention des faussaires est la création d’objets qui n’ont jamais existé, soit des Mumuyé en fer et en cuivre, avec une belle patine oxydée, réalisée au feu. Ces charmants objets, mais complètement faux, ont inondé le marché. Il en est même passé dans de grandes maisons de ventes. Les faux en bois sont redoutables, car ce sont souvent des copies de modèles connus comme la célèbre statue de la Fondation Beyeler, collectée par Philippe Guimiot vers 1968.
Comment éviter de se faire abuser ?
Quelques pistes : la patine doit être attachée à l’objet et ne pas laisser de marques quand on le manipule. Un objet ancien ne doit pas avoir d’odeur de fumée : les faux sont tous noircis dans les fumoirs et en conservent une odeur forte. L’usure des pieds est très importante : ils doivent être usés de l’arrière vers l’avant, ce qui correspond à la façon dont les statues sont basculées pendant les rituels. Les percements du nez et des oreilles (traces d’anneaux) sont aussi des signes d’usage à inspecter.
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Arts du Nigeria - La force de l'Afrique
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Abonnez-vous dès 1 €Parcours des mondes, du 11 au 16 septembre à Saint-Germain-des-Prés, Paris-VIe, expositions dans les galeries situées le long des rues des Beaux-Arts, Bonaparte, de Seine, Jacques-Callot, Mazarine, Guénégaud, Visconti, Jacob et de l’Échaudé,
www.parcours-paris.eu
XXVIe Biennale des antiquaires, du 14 au 23 septembre, de 11 h à 20 h (nocturne jusqu’à 23 h les 18, 20 et 22 septembre/fermeture à 16 h le 23 septembre) au Grand Palais, avenue Winston-Churchill, Paris-VIIIe, www.sna-france.com
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°649 du 1 septembre 2012, avec le titre suivant : Arts du Nigeria - La force de l'Afrique