PARIS - Il est parfois des thèmes tirés par les cheveux ou des associations poussives. Tel n’est pas le cas de l’exposition « Victor Brauner et les arts primitifs », organisée conjointement à Paris à la galerie Samy Kinge jusqu’au 23 décembre et chez Schoffel-Valluet jusqu’au 18 décembre.
Brauner fut confronté très tôt à la « pensée sauvage » [Cl. Lévi-Strauss], dès 1924 à Bucarest à l’occasion d’une exposition à laquelle il participa, et qui mêlait les courants de l’avant-garde avec des pièces d’art océanien. Dès 1934, il se serait inspiré du corps trapu d’une idole polynésienne pour la Force de concentration de M. K. L’historien de l’art Didier Semin estime toutefois dans l’excellent catalogue publié par les galeries Schoffel-Valluet et Samy Kinge que ces similitudes relèveraient à cette époque de la pure coïncidence. Elles deviendront autrement plus conscientes après la guerre. En se liant avec les artistes surréalistes, Brauner découvre leurs collections d’arts primitifs et rencontre des antiquaires spécialisés. Léguée en 1987 par la veuve de l’artiste au Musée d’art moderne de Saint-Étienne, sa collection est inégale, lestée d’objets médiocres. Brauner n’a jamais eu beaucoup d’argent, et son ensemble est plutôt le fruit d’échanges. Aussi la galerie Schoffel-Valluet, qui s’est chargée du volet « arts primitifs » de cette double exposition, n’a pas cherché des pendants aux pièces que possédait Brauner. Elle a plutôt trouvé des pièces dont l’esprit et la forme rappellent certaines œuvres sur papier de l’artiste. Chez Samy Kinge, un parallèle se dessine entre un dessin baptisé Forme mère s’auto-fécondant de 1961 et un reliquaire Kota. De même, la rondeur des yeux de Superjanus (1964) n’est pas sans rappeler les orbites d’une statue Ihambe du nord-est du Nigeria. Chez Schoffel-Valluet, un dessin de 1962 saute aux yeux des visiteurs, par sa forme zoomorphe proche de celle d’un Wifredo Lam. La galerie l’a associé à une massue de guerre de Nouvelle-Calédonie dont le sommet figure une tête d’oiseau. Mais le visage aperçu dans le dessin évoque plutôt un masque anthropomorphe en écorce battue que les galeristes ont découvert dans le legs fait au Musée de Saint-Étienne et dont ils ont reproduit les traits pour le logo du catalogue. Le travail du plein et du vide dans une Étude pour les Vases communicants renvoie enfin à une planche Gope du Sepik.
Déterminisme mystérieux
Mais Brauner ne s’intéresse pas aux arts primitifs uniquement pour leurs répertoires de formes. Lecteur assidu de textes ésotériques, il est sensible à la charge qu’irradient ces objets. Comme le souligne Didier Semin, « il s’y est reconnu tout entier, dans une communauté de pensée, de souffrance, d’exaltation, avec les magiciens des civilisations lointaines ou disparues… Sa mythologie personnelle faisait, comme les pensées magiques, une grande place aux déterminismes mystérieux, au surnaturel et à la divination ». N’oublions pas que, pour André Breton, Brauner était l’artiste magique par excellence.
Jusqu’au 23 décembre, Galerie Samy Kinge, 54, rue de Verneuil, 75007 Paris, tél. 01 42 61 19 07, du mardi au samedi 14h30-19h ; jusqu’au 18 décembre, Galerie Schoffel-Valluet, 14, rue Guénégaud, 75006 Paris, tél. 01 43 26 83 38, du mardi au samedi 11h-13h, 14h30-19h.
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Artistes magiques
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°337 du 16 décembre 2010, avec le titre suivant : Artistes magiques