Ventes aux enchères

Art russe : un marché qui reprend des couleurs

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 12 décembre 2019 - 745 mots

LONDRES / ROYAUME-UNI

Alors qu’il enregistrait depuis une dizaine d’années un ralentissement, le très fluctuant marché de l’art russe est reparti à la hausse.

Fin novembre, à Londres, Sotheby’s et Christie’s organisaient leurs traditionnelles ventes d’automne d’art russe. Balayant deux siècles et demi d’histoire de l’art russe, celles-ci regroupent les arts décoratifs et les tableaux. En tout, elles ont engrangé 30 millions de livres (35 M€), une somme en hausse de plus de 15 % par rapport à 2018. Chez Sotheby’s, qui a réalisé un total de 18,1 millions de livres (21,1 M€), c’est une œuvre d’Ivan Klioune, Suprématisme sphérique, début des années 1920, qui a remporté la plus haute enchère, 4,8 millions de livres (5,6 M€) – et décroché un record mondial. Chez Christie’s, dont le résultat s’est élevé à 11,9 millions de livres (13,9 M€), le tableau La Manucure, portrait de Mademoiselle Girmond, 1917, de Nicolaï Fechin, a obtenu la plus forte adjudication avec 2,3 millions de livres (2,6 M€).

Pour l’année 2019, le chiffre d’affaires cumulé des deux maisons pour leurs vacations spécialisées (printemps et automne) atteint près de 60 millions de livres [70 M€] (contre 45 l’an passé). « La vente ou non d’un tableau peut faire toute la différence. Si, pour un objet d’art à forte valeur, il faut compter 500 000 livres, un tableau peut dépasser les 5 millions de livres », souligne Nicolas Kaenzig, spécialiste chez Christie’s Paris. Ce marché de niche – il représente moins de 5 % du marché global – est néanmoins difficile à quantifier, certains artistes russes pouvant être inclus dans des vacations d’art impressionniste et moderne. Ce fut le cas pour une Composition suprématiste, 1916, de Malevitch, cédée 85,8 millions de dollars (75,5 M€) en mai 2018 chez Christie’s New York. Hormis cette œuvre, c’est une Nature morte aux lilas, 1928, de Kouzma Petrov-Vodkin, adjugée 9,3 millions de livres (10,8 M€) le 3 juin chez Christie’s Londres, qui constitue le record pour un tableau russe cédé lors d’une vente spécialisée.

Du côté des arts décoratifs, l’« œuf Rothschild de Fabergé » avait atteint des sommets avec 8,9 millions de livres (12,5 M€) récoltés en novembre 2007 chez Christie’s Londres.

 

 

Géopolitique du marché

Cette année, Christie’s fête les 50 ans de son département d’art russe, ouvert à Genève en 1969. À l’époque, des émigrés russes s’étaient installés dans cette région à la suite de la révolution d’Octobre. Assez rapidement, Londres a pris le relai et est devenu le fer de lance de la catégorie, bénéficiant ces dernières années d’une vague importante de riches Russes qui s’y installent. Sotheby’s, elle, y organise des ventes depuis 2007 – deux fois par an depuis 2013 –, mais « elle a été la première à organiser une vente à Moscou en 1988 », précise Reto Barmettler, directeur du département art russe chez Sotheby’s Londres.

La France reste pour sa part un grenier formidable : tous les « Russes blancs » qui ont fui dans les années 1920 et sont venus en France tandis que de nombreux artistes russes y ont terminé leur carrière, y laissant leur production.

Ce marché a été extrêmement dynamique au début des années 2000, bénéficiant d’une croissance exponentielle due aux nouvelles fortunes russes. En effet, à la fin des années 1990, à la chute du régime soviétique, les Russes commencent à s’intéresser à leur art et entrent dans les salles de vente ; ils représentent aujourd’hui 75 % des acheteurs. « Ils ont fait croître le marché d’une manière fulgurante. Entre 2002 et 2008, c’est l’âge d’or de ce marché : certains Russes arrivent avec d’énormes moyens et la volonté de se réapproprier leur patrimoine culturel et le conserver », rappelle Nicolas Kaenzig. Si dans un premier temps ils ont surtout collectionné des œuvres du XIXe siècle, ils ont mûri en même temps que le marché et jettent désormais leur dévolu davantage sur les artistes russes du début du XXe, comme Petrov-Vodkin, Valentin Serov, Natalia Gontcharova, Konstantin Somov, Leon Bakst…

Aujourd’hui, l’engouement s’est ralenti. « Il y a eu un réajustement des prix. Les acheteurs, très gourmands les premières années, sont devenus plus sélectifs au fur et à mesure que leurs collections se constituaient. Sans parler de la crise de 2008 qui est passée par là », explique le spécialiste. Cependant, signe de bonne santé et de maturité du marché, « de nombreux records d’artistes ont été établis lors des dernières ventes tandis que les peintures de quelques-uns des plus grands noms de l’art russe, Yuri Annenkov, Ivan Aïvazovski ou Piotr Konchalovski, ont dépassé leurs estimations », souligne Reto Barmettler.

 

 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°535 du 13 décembre 2019, avec le titre suivant : Art russe : un marché qui reprend des couleurs

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