Art impressionniste et moderne, nouveaux records

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 1 janvier 2004 - 908 mots

Les grandes ventes d’art impressionniste et moderne de New York constituent traditionnellement un baromètre pour le marché des œuvres haut de gamme.
Dans un climat d’incertitude où les collectionneurs sont réticents à céder leurs biens, peu d’œuvres étaient proposées en pâture, 44 lots chez Christie’s, 59 chez Sotheby’s.
Peu d’œuvres certes, mais suffisamment désirables pour générer un chapelet de records.

Christie’s a donné le ton le 4 novembre avec un feu d’artifices de prix records pour un total de 117 millions de dollars. Au sommet du Top Ten, figure un Nu couché d’Amedeo Modigliani, une œuvre pas très renversante mais incontestablement commerciale, appartenant au magnat de Las Vegas, Steve Wynn. Ce tableau s’est vendu à son estimation haute de 26,8 millions de dollars, un prix impressionnant au regard d’autres nus moins aguicheurs mais plus beaux. Ainsi La Belle Romaine, cédée pour 6,2 millions d’euros lors de la dispersion de la collection Renand en 1987, s’était revendue pour 15,2 millions de dollars chez Sotheby’s en 1999. L’autre toile très attendue de cette session de vente, Femme en rouge et vert de Fernand Léger (1914), était restée pendant cinquante ans dans les collections du Musée national d’art moderne au titre de MNR (Musées nationaux récupération).
Retirée du marché depuis longtemps, le tableau, d’un goût très européen, n’en était que plus désirable. Il a donc fusé jusqu’à 22,4 millions de dollars, soit le double de son estimation basse.
Ce nouveau record enregistré pour Léger vient détrôner le précédent de 15,2 millions de dollars obtenu par un tableau plus décoratif, le Moteur (1918) lors de la vente René Gaffé chez Christie’s en 2001.
Sotheby’s de son côté devance sa rivale avec un produit de 125 millions de dollars obtenu le 5 novembre. Landhaus am Attersee, un fabuleux paysage de Gustav Klimt, appartenant d’après le magazine américain Vanity Fair à LVMH, reliquat de son alliance avec la maison Phillips, s’est vendu au prix record de 29,12 millions de dollars. Le dernier record en date était détenu par un autre paysage peint en 1909 adjugé pour 21,4 millions de dollars en 1997. Moralité, ou lapalissade : les œuvres de qualité musée trouvent toujours preneur, quel que soit le contexte de crise molle ou dure. Dans l’euphorie ambiante, un bémol notable pour les œuvres impressionnistes, adjugées parfois en dessous de leurs estimations basses. « Le marché est implacable et solide. On constate peu de mauvais choix. Pour les impressionnistes, le marché a envoyé un message clair. Soit vous avez un tableau très décoratif, soit une estimation basse », note Thomas Seydoux, expert chez Christie’s. L’argent est incontestablement là, plutôt du côté américain. Le goût est de plus en plus consensuel, tendant vers une grande uniformité.
La semaine suivante, les ventes d’art contemporain n’étaient pas en reste. Beaucoup d’adjudications ont épousé les fourchettes d’estimation, le Spike’s Folly (1959) de Willem De Kooning restant dans la lisière de l’estimation basse avec 11,2 millions de dollars chez Sotheby’s. Les pièces achetées en vente publique ces deux dernières années et remises fraîchement sur le marché ont naturellement démérité. Ce fut le cas pour un monochrome d’Yves Klein ravalé chez Christie’s sur une estimation d’1,8 million de dollars. Certains collectionneurs ne s’interdisent toutefois pas quelques « culbutes ». Après la Nona Ora de Maurizio Cattelan qui, avec 886 000 dollars chez Christie’s en 2001, avait décuplé son prix d’achat de 1999, le nouveau chouchou des spéculateurs se nomme Takashi Murakami.
Cet artiste japonais est de toutes les expositions jusqu’à la place outrancière occupée au musée Correr lors de la dernière Biennale de Venise. Dans la vente de Christie’s du 11 novembre, on a vu une toile sur fond doré grimper sans ciller jusqu’à 550 000 dollars.
Le lendemain chez Sotheby’s, c’est un Nega Mushroom qui caracolait à 440 000 dollars en quadruplant son estimation. Les achats se sont souvent révélés erratiques. Ainsi une petite sculpture de Franck Stella de 1988 baptisée How the whole diminish, modèle assez fréquent sur le marché, s’est vendue chez Christie’s à 540 000 dollars alors que dans le même temps un très beau relief de 1981 est resté invendu. Encore plus étrange, une toile de Lee Bontecou, artiste américaine honorable-sans-plus des années 1970, a bondi de son estimation de 50 000 dollars pour décrocher 298 700 dollars. Les prix les plus surprenants ont gratifié des jeunes artistes, telle cette adjudication de 50 000 dollars pour la première apparition en vente publique de Thomas Scheibitz, 40 000 dollars pour une peinture de Verne Dawson ou encore 165 000 dollars pour une installation de Jim Hodges. « Ces prix n’ont aucun sens. C’est cinq fois le prix en galerie. C’est une folie très new-yorkaise. Avec 80 % d’acheteurs américains et seulement cinq européens dans la vente du soir, il est clair que le marché américain s’est resserré sur lui-même, ce qui n’est pas très bon. Ce sera difficile à l’avenir d’estimer correctement les pièces », observe avec justesse Caroline Smulders, responsable du département art contemporain de Christie’s.
En deux semaines, Sotheby’s et Christie’s ont totalisé respectivement 244,04 millions et 223,5 millions de dollars. Peut-on pour autant dire que le marché de l’art tourne le dos à la crise ?
Le raccourci est tentant mais sans doute précipité. Reste à voir si les maisons de ventes pourront engranger une marchandise similaire dans leurs prochaines ventes, notamment londoniennes. Une seule chose est sûre : le hiatus entre les gros prix et le reste n’a jamais été aussi béant qu’aujourd’hui.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°554 du 1 janvier 2004, avec le titre suivant : Art impressionniste et moderne, nouveaux records

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