Petits formats et larges installations de l’artiste invitent au rêve et au vertige à la galerie Chez Valentin.
PARIS - Elles ont beau être indépendantes les unes des autres et d’une grande diversité formelle, aussi bien du point de vue du format que de la discipline (peinture, sculpture, installation), les œuvres de Pierre Ardouvin ont en commun cette formidable capacité à instaurer d’emblée un dialogue avec le spectateur, pour le renvoyer à ses souvenirs, à ses rêves, à ses vertiges. Elles sont immédiatement évocatrices. Et ce tout simplement parce que l’artiste (né en 1955) convoque des éléments liés à l’enfance, au quotidien, aux utopies, qui sont universels.
Les œuvres récentes rassemblées à la galerie Chez Valentin sous le titre « Brain Damage », en référence à Pink Floyd (et à cette phrase, « il y a quelqu’un dans ma tête et ce n’est pas moi »), en apportent une nouvelle fois la preuve, avec dès l’entrée la présentation d’un tout petit manège. Jusque-là tout va bien. Sauf que le jouet est repeint en noir et, surtout, le museau du cheval est recouvert d’une tête de mort, blanche, elle. Le manège désenchanté !
Juste à côté, histoire de rappeler les grands écarts de taille dont Ardouvin est capable, se déploie une importante installation. Il s’agit là de la reconstitution quasi-grandeur nature d’une salle d’attente, avec tous ses attributs réjouissants : les deux chaises dans un coin qui font face à une autre, en grande solitude ; la table basse avec un vieux numéro du magazine Jours de France (d’où le titre de l’œuvre) recouvert de résine et donc jauni. Pour égayer le tout, des coulées de résine dégoulinent sur les murs et des gouttes sont collées au plafond. C’est moche, froid, glauque et il suffit de s’y asseoir un instant pour revivre l’attente, l’inquiétude, le frisson que chacun ressent souvent dans ce type d’endroit. Froid dans le dos garanti !
On enchaîne avec une série de six œuvres regroupées sous le titre « Les Poux ». Dans les parois en « V » de vieux porte-revues en fer forgé, Ardouvin a fait glisser des formes en verre soufflé noir qui évoquent de drôles de bêtes. Pour accentuer l’effet poil à gratter, l’équipage en question est royalement posé sur des socles cylindriques (comme au cirque) recouverts d’une fausse fourrure blanche. À la fois drôles et troublants, kitsch et très réussis plastiquement, ces gros poux prennent la tête et parasitent volontairement l’ensemble.
Après la démangeaison, Ardouvin nous fait tourner la tête avec J’entends, j’entends, soit une tente de camping, type canadienne, ouverte sur un intérieur entièrement tapissé de miroirs. Avec l’effet kaléidoscope, la perte de repères, la mise du monde à l’envers (le dehors étant placé dedans et l’extérieur reflété à l’intérieur), l’abri donne un vrai vertige.
Humour grinçant
Tout autour sur les murs sont accrochés six tableaux, comme autant de fenêtres ironiquement ouvertes sur de faux paysages. Et pour cause puisque, pour les réaliser, Ardouvin a, au départ, juxtaposé des cartes postales (deux ou trois pour chacun d’entre eux) qu’il a ensuite scannées, agrandies, imprimées numériquement sur toile. Le tout tendu sur châssis et ponctué au final de taches et coulures de résine et de paillettes. Grâce à ces télescopages, le reflet d’un lac dans le désert s’écoule sur une plage surpeuplée, une hirondelle a installé son nid dans le couloir cossu d’un château, les clochettes du muguet, détournées, évoquent des têtes de mort et voisinent avec un échangeur routier.
On l’aura compris, dans les œuvres de Pierre Ardouvin tout est ludique mais rien n’est gai, tout est grinçant mais rien n’est aigre. Et ce tout simplement parce qu’avec sa pratique subtile du décalage, du glissement, de la perturbation, du déplacement, il trouve l’équilibre et le ton juste pour secouer l’intérieur de nos têtes, réveiller l’inconscient, la mémoire, et nous rappeler nos peurs, nos inhibitions, nos désillusions, nos attentes. Avec humour et distance, et donc sans déprime au programme.
Compte tenu de l’éclectisme et de la taille des œuvres, leurs prix ont une belle amplitude et vont de 6 000 euros pour le plus petit des tableaux à 60 000 euros pour l’installation Jours de France.
Jusqu’au 20 octobre, galerie Chez Valentin, 9, rue Saint-Gilles, 75003 Paris, 01 48 87 42 55, mar.-sam. 11h-13h, 14h-19h, www.galeriechezvalentin.com
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Ardouvin tourne la tête
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°375 du 21 septembre 2012, avec le titre suivant : Ardouvin tourne la tête