PARIS
Il restera, pour beaucoup, l’artiste d’une seule œuvre : le remake du Déjeuner sur l’herbe de Manet (1963).Alain Jacquet réalise cette sérigraphie tirée à 95 exemplaires en 1964 au bord d’une piscine, en mettant en scène ses amis (la galeriste Jeannine de Goldschmidt, le peintre Mario Schifano et le théoricien du Nouveau Réalisme Pierre Restany). Le plasticien détourne depuis plusieurs mois, déjà, les chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art dans une optique proche du pop art – dans la série des Camouflages, l’artiste superpose La Naissance de Vénus de Botticelli à une pompe à essence. Dans son Déjeuner sur l’herbe, il adopte toutefois un effet d’impression tramée en quadrichromie (procédé d’imprimerie à quatre couleurs : rouge, bleu, jaune et noir) qui deviendra sa « signature » esthétique : le mec art. Parmi les éléments du pique-nique, au premier plan, figure un paquet de pain de mie de la marque Jacquet, qui fait office de signature.
Contraction de Mechanical Art (art mécanique), le mec art consiste à limiter l’intervention de l’artiste au choix d’une œuvre ou d’une image préexistante (Le Déjeuner sur l’herbe, par exemple) et à son report sur un support, par la peinture ou la sérigraphie, de manière mécanique. Ce courant fait l’objet d’une exposition à la Galerie J de Jeannine de Goldschmidt en 1965, « Hommage à Nicéphore Nièpce » (Nièpce étant considéré comme l’inventeur de la photographie), où sont présentées des œuvres de Mimmo Rotella, Pol Bury, Gianni Bertini et Alain Jacquet, et est théorisé par le critique Pierre Restany. À la différence du pop art américain de Warhol ou Lichtenstein, qui cherche à s’approprier les images, le mec art dissimule, pour Catherine Millet, « des intentions perfides ». « Jacquet pulvérise la reproduction photographique, en faisant simplement apparaître sa structure […]. Dans cette interprétation de la peinture et de la photographie, Jacquet s’amuse à corrompre autant l’une que l’autre. Lui-même se compromet. À quel stade intervient-il en tant qu’artiste ? », interroge ainsi la fondatrice d’art press.
Le 2 mars 2021, un communiqué de presse annonçait que la Galerie Perrotin représentait désormais « l’estate de l’artiste français Alain Jacquet (1939-2008) », et que, à cette occasion, « une grande exposition dédiée à l’artiste se [tiendrait] du 10 avril au 29 mai à la galerie de Paris », promettant que cette exposition couvrirait plusieurs décennies de l’artiste parti tenter l’aventure aux États-Unis. Ce n’est pas le premier estate (notion juridique anglo-saxonne qui désigne l’ensemble de l’actif et du passif de la succession d’un artiste) représenté par le galeriste français, qui compte déjà ceux de Hans Hartung, Georges Mathieu et Jesús-Rafael Soto. Ce choix stratégique peut trancher avec l’image ultra-contemporaine de la galerie, qui représente les « vivants » Maurizio Cattelan, Takashi Murakami ou JR, mais confirme la volonté d’Emmanuel Perrotin de s’ancrer dans l’histoire de l’art tout en assurant l’économie de sa galerie implantée sur trois continents. C’est une bonne nouvelle, en tout cas, pour l’œuvre d’Alain Jacquet, mais aussi pour l’art des années 1960 en France qui pourrait bien profiter de cela pour voir sa cote monter.
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Alain Jacquet
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°743 du 1 avril 2021, avec le titre suivant : Alain Jacquet