La cour d’appel de renvoi de Versailles a confirmé l’absence de responsabilité de l’auteur d’un catalogue raisonné qui refuse d’insérer une œuvre considérée par ses soins comme non authentique.
VERSAILLES - L’arrêt de la Cour de cassation du 22 janvier 2014 avait fait grand bruit, en raison du revirement opéré par la haute juridiction sur la question controversée d’une possible obtention, par la voie judiciaire, d’une insertion au sein du catalogue raisonné d’une œuvre, insertion allant à l’encontre de l’avis de l’auteur de l’ouvrage. Le litige opposait un collectionneur et un marchand à l’auteur d’un catalogue raisonné, également titulaire du droit moral de l’artiste, sur l’attribution d’une toile intitulée Maison blanche au peintre Jean Metzinger (1883-1956). Face au refus de Mme Nikiel, experte, de délivrer un certificat d’authenticité et d’intégrer l’œuvre à son ouvrage, le collectionneur assigna l’experte en justice pour la contraindre à insérer le tableau, après avoir obtenu une expertise judiciaire favorable. L’enjeu résidait également dans la réparation du dommage subi, sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, dommage qui résultait de la dévalorisation marchande corrélative de la toile.
Les juges du fond avaient alors condamné l’auteur du catalogue à payer des dommages-intérêts ou à prendre l’engagement d’insérer le tableau dans son ouvrage, tableau dont l’authenticité avait été judiciairement consacrée. La décision de la cour d’appel de Paris du 12 octobre 2012 était fort contestable, l’experte se trouvant confrontée à un choix cornélien : soit se dédire publiquement, soit accepter de compenser le préjudice né de l’absence d’insertion de l’œuvre. La Cour de cassation, dans un arrêt revêtant la forme d’un arrêt de principe, sanctionnait le 22 janvier 2014 le raisonnement de la cour d’appel de Paris au visa de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. En effet, selon la Cour, « la liberté d’expression est un droit dont l’exercice ne revêt un caractère abusif que dans les cas spécialement déterminés par la loi » et « le refus de l’auteur d’un catalogue raisonné d’y insérer une œuvre, fût-elle authentique, ne peut, à défaut de texte spécial, être considéré comme fautif ». La solution nouvelle dégagée par la Cour de cassation s’inscrit dans un mouvement engagé par la première chambre civile depuis le début de l’année 2013, la Cour acceptant de restreindre la liberté d’expression seulement si un texte spécial le permet. Or, en matière de catalogue raisonné, aucun texte légal ou réglementaire n’entourant sa rédaction, la restriction de la liberté d’expression de l’auteur de l’ouvrage ne peut être ainsi limitée. L’applicabilité de l’article 1382 du Code civil, dans sa fonction complétive, se voit ainsi niée au nom de la liberté d’expression.
Totale liberté de sélection
La cour d’appel de renvoi de Versailles, saisie à la suite de la cassation partielle prononcée, fait sienne la position de la Cour de cassation au terme d’un arrêt daté du 29 octobre 2015. Reprenant l’attendu de principe de la décision de 2014, la cour d’appel lui adjoint une précision, retenue depuis par la haute juridiction, selon laquelle la liberté d’expression peut également revêtir un caractère fautif en cas de « dénigrement de produits ou services ». Par ailleurs, la cour d’appel précise que « les catalogues raisonnés écrits par des spécialistes d’un artiste ne sont régis par aucun texte et leur autorité, parfois déterminante sur le marché de l’art, ne tient qu’à la compétence reconnue de leurs auteurs. Ces derniers bénéficient par conséquent d’une totale liberté d’expression et d’opinion ». Faute de texte spécial, la liberté d’expression de l’auteur d’un catalogue raisonné serait ainsi absolue. Le raisonnement de la cour se poursuit en énonçant que « même si le mot “catalogue” contient une idée d’énumération exhaustive, il a toujours été admis que l’auteur d’un “catalogue raisonné” avait une totale liberté dans la sélection des œuvres qu’il y intégrait, en fonction de son opinion sur leur authenticité ou leurs qualités ». Or, auparavant, la Cour de cassation tentait de parvenir à un équilibre entre les droits de l’auteur du catalogue – droit à faire valoir ses convictions et conceptions, voire droit au doute –, et l’impératif d’objectivité qui s’imposait sur un ouvrage prétendant à l’impartialité et à l’exhaustivité. Le principe de proportionnalité entre ces droits, qui avait autrefois offert la possibilité d’une insertion judiciaire marquée comme telle de l’œuvre dans le catalogue, semble définitivement abandonné.
L’argument de la mauvaise foi
Il semble pourtant qu’une porte demeure entrouverte au profit du collectionneur dont l’œuvre se serait vu refuser l’entrée dans un catalogue, ouvrage établissant et légitimant le corpus complet d’une œuvre ou d’une période délimitée d’un artiste. En effet, en reprenant la solution affinée et désormais retenue par la Cour de cassation, selon laquelle l’exercice de la liberté d’expression peut revêtir un caractère abusif en cas de « dénigrement de produits ou services », la cour d’appel précise que le refus opposé par l’experte « ne constitue pas un acte de dénigrement, qui supposerait une démarche positive de Mme Nikiel, et ne saurait donc engager sa responsabilité ». De là à percevoir un timide retour à la solution de la Cour de cassation du 10 novembre 2005, qui reconnaissait la possibilité d’une mise en cause de la responsabilité de l’auteur d’un catalogue à condition de constater sa mauvaise foi ou sa légèreté blâmable, le pas à franchir est grand. Un dernier point de rattachement de la présente décision aux solutions antérieurement retenues se dégage. La cour retient, certes surabondamment, qu’il « ne peut qu’être observé qu’en restant totalement taisant sur l’évaluation du tableau et ses possibilités de vente, après expertise et jugement définitif le considérant comme authentique, M. Alexandre prive la cour de toute possibilité d’apprécier l’existence même d’un préjudice, lequel ne serait en outre qu’hypothétique, puisque le catalogue raisonné annoncé par Mme Nikiel n’est pas encore achevé ». Les derniers termes attirent l’attention en ce qu’ils renvoient explicitement aux décisions du 13 mars 2008 et du 1er décembre 2011 de la Cour de cassation, laquelle avait refusé de retenir la responsabilité de l’auteur d’un catalogue non encore réédité. Le seul refus annoncé de l’auteur, à défaut de matérialisation concrète, ne pouvait caractériser à lui seul une abstention fautive.
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Affaire Metzinger, suite et fin
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°447 du 11 décembre 2015, avec le titre suivant : Affaire Metzinger, suite et fin