Justice

Affaire Braque : nouvel épisode

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · Le Journal des Arts

Le 6 avril 2018 - 1183 mots

PARIS

Le litige relatif à la sculpture « Hermès » de Georges Braque vient de connaître un rebondissement judiciaire. La cour d’appel de Paris reconnaît désormais la qualité d’exemplaires originaux aux fontes réalisées à partir de la sculpture originale, faute d’opposition du titulaire du droit moral, et avant 2006.

Georges Braque et Heger de Löwenfeld broche et Sculpture Hermès
A gauche : Heger de Löwenfeld, Broche Hermès, or, h. 9,8 cm, 8 ex. 1962 © Lempert. A droite : Sculpture Hermès, bronze doré et granit rose, h. 173 cm, 5/8, 2002 © DR

Si les défauts de paiement en matière de vente aux enchères publiques sont monnaie courante, l’hypothèse qu’un tel contentieux vienne interroger les contours du caractère original des fontes posthumes est bien plus rare. Elle devient même inédite lorsque la détermination des modalités de contrôle par le titulaire du droit moral de tels exemplaires entre en jeu.

Cette histoire a déjà été racontrée dans nos colonnes (JdA n° 451 du 19 février 2016). Une première sculpture en laiton fut réalisée par le lapidaire Heger de Löwenfeld à partir d’une gouache réalisée par ses soins, inspirée de l’œuvre des « Métamorphoses », gouache alors signée par Georges Braque avec la mention manuscrite contresignée « j’autorise H. M. Heger de Löwenfeld à reproduire l’œuvre ci-dessus. 6 août 1962 ». Cette sculpture est-elle une œuvre de Braque ou de Löwenfeld ? Et les exemplaires réalisés à partir de cette sculpture peuvent-ils bénéficier du précieux sésame de la mention d’originaux ? Des réponses avaient déjà été apportées par la cour d’appel de Paris en 2016 avant que la Cour de cassation ne rebatte les cartes et n’offre à la cour d’appel de renvoi la possibilité d’adopter une tout autre position le 27 février 2018.

La sculpture « Hermès » en laiton de 1963, un original

Sur la première interrogation, la cour d’appel conforte ici la décision rendue en 2016 selon laquelle l’exemplaire unique, de dimension quinze fois plus grande que le bijou, « peut également être considéré comme une œuvre originale ». Le seul fait que Braque n’ait pas matériellement participé à la création de la sculpture ne suffit pas à interdire de considérer celle-ci comme originale si elle a été réalisée selon ses instructions et sous son contrôle, de telle sorte que, dans son exécution même, ce support matériel de l’œuvre porte la marque de la personnalité de son créateur et se distingue d’une simple reproduction. Cette analyse demeure, une fois encore, conforme à la jurisprudence dite Guino-Renoir détachant, en la matière, la réalisation intellectuelle de l’exécution matérielle pour la reconnaissance de la qualité d’auteur. La sculpture ayant reçu « l’aval du maître Georges Braque » et ayant été « présentée à l’exposition de 1963 », sa qualité d’original ne peut être remise en question, un faisceau d’éléments établissant que l’œuvre a été exposée du vivant de l’artiste et avec son consentement. L’arrêt retient que la première sculpture Hermès qui a servi de modèle à la sculpture litigieuse, a ainsi été réalisée du vivant de Georges Braque dans le respect des dispositions prévues par le contrat du 6 juin 1962.

Mais la suite du raisonnement opéré par la cour suscite quelques réserves. L’exemplaire unique divulgué du vivant de l’artiste était en laiton ou bronze. Les exemplaires numérotés et tirés à partir de 2001 ont été réalisés à partir de l’œuvre originale, dans des dimensions sensiblement différentes donc, et dans un matériau distinct, en bronze doré. L’identité entre l’exemplaire de 1963 et ceux de 2001 n’existe donc pas. Or, au regard de la jurisprudence dite de la Vague– en référence à la sculpture de Camille Claudel –, « seules constituent des exemplaires originaux les épreuves en bronze à tirage limité, coulées à partir du modèle en plâtre ou en terre cuite réalisé par le sculpteur personnellement ». Cette décision de la Cour de cassation du 4 mai 2012 distingue bien l’originalité de l’œuvre au sens de la conception intellectuelle de l’originalité du support au sens de la conception matérielle. Comme en 2016, la décision de la cour d’appel fait ici abstraction de ce débat central.

Un principe inédit sur l’absence d’opposition du titulaire du droit moral

La décision de la cour d’appel de Paris du 26 janvier 2016, ayant considéré que l’exemplaire posthume numéroté 5/8 d’une sculpture attribuée à Georges Braque était une simple reproduction, avait été censurée par la Cour de cassation. La décision du 11 mai 2017 de la Haute Cour avait considéré que l’arrêt rendu violait le principe du contradictoire, posé par l’article 16 du code de procédure civile. La cour d’appel aurait ainsi relevé d’office le moyen selon lequel le tirage effectué à partir du moule de la sculpture Hermès, sans que les ayants droit de Georges Braque aient été consultés et aient agréé lesdits tirages, ne peut pas recevoir la qualification d’original, sans pour autant mettre les parties en mesure de faire valoir leurs observations préalables sur la nécessité d’un tel contrôle.

Au-delà de la nécessité d’un tel contrôle, la décision de 2018 emporte également une précision sur ses modalités. Cette problématique semble inédite. Pour la première fois, à notre connaissance, une juridiction vient poser un principe bien délicat : l’absence d’opposition publique de la part de l’ayant droit d’un auteur, soit du titulaire du droit moral sur ses œuvres, vaudrait acceptation des exemplaires réalisés par le titulaire des droits patrimoniaux. Qui ne dit mot consentirait. Une telle solution nous semble contraire à l’esprit du droit d’auteur et plus précisément au droit au respect de l’intégrité d’une œuvre.

La cour retient ainsi que « M. Israël bénéficiait en 2002, pour le moins de la présomption de titularité des droits patrimoniaux d’auteur sur les “Bijoux de Braque”, exploitant publiquement, sans équivoque et de façon constante, sous son nom, les œuvres intitulées “Bijoux de Braque”, les tiers intéressés par leur reproduction sollicitant de lui seul les autorisations nécessaires à cette fin sans que jamais M. Quentin Laurens, titulaire du droit moral sur le reste de l’œuvre de Braque, ou quiconque, apparaisse s’y être opposé ». Si le droit moral est imprescriptible et perpétuel, l’action visant à faire reconnaître une potentielle atteinte à ce droit demeure enfermée dans les délais de la prescription de droit commun de l’article 2224 du code civil. Dès lors, si le titulaire du droit moral n’agit pas dans les cinq années suivant la connaissance d’une éventuelle atteinte, son action est prescrite. Mais il ne nous semble pas pouvoir être soutenu que l’absence de mise en œuvre d’une telle action puisse permettre de considérer que l’ayant droit offre un blanc-seing et que l’exemplaire réalisé puisse être qualifié nécessairement d’original.

Sur cette dernière question, la cour retient de manière lapidaire que « les fontes posthumes d’une sculpture, exécutées à tirage limité à huit exemplaires et contrôlées par l’artiste ou ses ayants droit, étaient considérées comme des originaux ». La temporalité retenue dans l’emploi du verbe impose donc un marqueur dans la qualification des fontes posthumes comme originaux ou non. Cette distinction temporelle, autour de la date pivot du 1er août 2006, avait déjà été retenue par la cour d’appel en 2016. Les fontes posthumes tirées avant cette date, à l’image de l’exemplaire litigieux, peuvent être considérées comme des exemplaires originaux. Tirés après 2006, ils perdent nécessairement cette qualité. L’œuvre objet du présent litige était donc, selon la cour, « conforme à la description qui en était donnée dans le catalogue de la vente aux enchères du 19 novembre 2006 » et la vente ne peut être annulée.

LEGENDES PHOTOS

A gauche : Broche Hermès en or de 9,8 cm de hauteur, conçue en 1962 d’après une gouache de Georges Braque (décédé en 1963) et créée par Heger de Löwenfeld (décédé en 2000) dans une édition de huit exemplaires. © Lempert

A droite : Sculpture Hermès en bronze doré et granit rose de 173 cm de hauteur, fonte posthume de 2002, numérotée « 5/8 » d’après une sculpture en laiton de 1963.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°498 du 30 mars 2018, avec le titre suivant : Affaire Braque : nouvel épisode

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