Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les lois de 1791 et 1793 sur la propriété littéraire et artistique ne répondaient plus aux exigences des moyens modernes de création et d’exploitation des œuvres d’art.
En outre, la France avait adhéré aux deux principales conventions internationales sur le droit d’auteur, sans pour autant que son droit national permît leur pleine application. C’est à la jurisprudence que revint le rôle d’affiner une législation fort laconique, qui ne comprenait que quelques maigres articles.
L’élaboration de la loi de 1957
En 1936, fut déposé un projet de loi sur le droit d’auteur, qui ne fut débattu que partiellement à partir de 1939. La Commission du droit d’auteur, créée au sein de la Société d’études législatives qui était à l’initiative du projet, fut chargée de son examen et remit par la suite un rapport à la Commission de la propriété intellectuelle (apparue à la faveur d’un décret du 28 août 1944). Il fallut neuf ans de débats pour aboutir à un nouveau « projet de loi sur la propriété littéraire et artistique », adopté par le Parlement le 11 mars 1957. Cette loi visait expressément, aux termes de son exposé des motifs, à « codifier la jurisprudence », à « fixer le dernier état de la doctrine » et à « répondre également aux besoins qu’ont éprouvés les créateurs intellectuels d’être protégés en tenant compte des conditions techniques et économiques nouvelles et aussi des formes d’art surgies depuis la législation révolutionnaire ».
De l’avis même des commentateurs doctrinaux, « il s’agit plus d’une codification (aménagée) que d’un bouleversement véritable de la matière ». Cette loi reste en effet bien en deçà des espérances qu’elle avait suscitées. Elle comporte plusieurs imprécisions, et son interprétation soulève aujourd’hui encore de nombreuses interrogations, auxquelles une pratique prétorienne de près de cinquante ans n’a pas toujours apporté de réponse. L’importance de la jurisprudence en la matière – et, dans une moindre mesure, de la doctrine – demeure donc entière.
Les principes généraux de la loi du 11 mars 1957
Un rapide panorama des dispositions de la loi de 1957 – aujourd’hui codifiées au sein du code la propriété intellectuelle (CPI) – permet de dégager les principes qui, dans l’appréhension juridique des œuvres d’art, régissent le droit d’auteur depuis cinq décennies.
Le créateur jouit des droits sur son œuvre sans aucune formalité – notamment de dépôt – et sans qu’il soit besoin de publication. Et « la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée ». Les critères de protection des œuvres par le biais de la propriété littéraire et artistique n’ont pas été expressément inscrits dans la loi de 1957. Il n’en demeure pas moins que, selon les tribunaux, les œuvres ne sont protégées qu’à la condition d’être originales. De même, la propriété littéraire et artistique ne couvre que les créations de forme, à l’exclusion des simples idées. Cependant, peu à peu, des décisions éparses sont apparues dans le sens contraire, qui ont été approuvées par des commentateurs des plus autorisés. Avec le développement de nouvelles formes d’art (installations, performances, Body Art, etc.), sans compter l’influence de la publicité et de la télévision, la tendance est en effet à une reconnaissance de la protection des simples concepts et des idées. Là où le droit d’auteur stricto sensu reste inapplicable, l’action en concurrence déloyale, issue d’une interprétation jurisprudentielle des règles du droit civil classique de la responsabilité, s’est imposée comme un système moderne de protection. En outre, nombre de procès en matière d’art contemporain reposent désormais sur la notion de parasitisme, dérivée de la concurrence déloyale, qui permet de sanctionner les emprunts au travail d’autrui ne présentant pas d’originalité suffisante pour une protection par le droit d’auteur. Par ailleurs, ne peuvent être retenus comme critères « le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination ».
Le législateur de 1957 a ainsi établi une liste indicative des œuvres protégeables : y sont notamment recensés, pour ce qui concerne l’art, les « œuvres de dessin, de peinture, d’architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie », « les écrits […] artistiques », les « œuvres graphiques et typographiques », les « œuvres photographiques », les « illustrations, cartes géographiques » et les « plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l’architecture et aux sciences ». Suivent les œuvres dites dérivées, telles que « adaptations, […] et recueils ».
La loi du 3 juillet 1985 a fait œuvre novatrice en se greffant sur la loi de 1957 : elle a notamment modifié les critères de protection de la photographie pour les rendre semblables à ceux des autres œuvres.
Une disposition est entièrement consacrée aux titres, qui sont protégés expressément d’une part par le droit d’auteur et, à défaut d’originalité, par le biais de la concurrence déloyale. Parallèlement, l’émergence de la bande dessinée et d’un véritable marché des droits dérivés a engendré des contentieux qui ont permis d’étendre la protection aux noms de personnages, à leurs traits de caractère et à leurs caractéristiques physiques.
Le principe d’une dualité des droits patrimoniaux – constitués du droit de reproduction et du droit de représentation – est repris des lois révolutionnaires. Mais il existe également depuis quelques années un droit de suite, qui permet aux auteurs d’œuvres d’art de percevoir un pourcentage du prix de vente de leurs œuvres aux enchères. Les droits moraux sont enfin inscrits dans le corps du texte législatif. Ils sont au nombre de quatre : droit au respect du nom, droit au respect de l’œuvre, droit de divulgation et droit de retrait ou de repentir.
Le principe de l’indépendance des propriétés matérielle et intellectuelle est mis en exergue. En clair, le détenteur d’un tableau n’en possède pas les droits d’exploitation (reproduction, exposition publique, etc.).
La loi distingue les œuvres collectives, composites et de collaboration, ce qui n’est pas sans incidence sur la durée de la protection, la rémunération et les droits des auteurs. L’exercice des droits des auteurs publiant sous pseudonyme ou anonymement est expressément envisagé.
La durée de principe de protection souffre de nombreux aménagements (œuvres de collaboration, œuvre collective, mort de l’auteur pour la France, etc.). Les deux prorogations pour cause de guerre, instituées par les lois du 3 février 1919 et du 21 septembre 1951, restent en vigueur, mais n’ont pas été, dans un premier temps, incorporées à la loi de 1957. Enfin, la directive européenne du 29 octobre 1993 impose aux États membres de l’Union européenne de porter la durée de principe des droits d’auteur à soixante-dix années après la mort de l’auteur. L’accroissement de la durée de vie moyenne des héritiers directs et l’harmonisation européenne justifient un tel allongement. La France l’a mise en œuvre par une loi du 27 mars 1997.
Les dispositions afférentes aux successions ont été très souvent mises à mal par la jurisprudence, en raison de nombreuses imprécisions et incohérences sur les mécanismes de transmission des droits d’auteur et en particulier des droits moraux. La pratique de l’exécuteur testamentaire, généralement chargé par l’auteur de veiller au respect de son œuvre, n’est pas pour simplifier la compréhension de telles dévolutions successorales. Les litiges sont donc fréquents entre les héritiers familiaux et les exécuteurs testamentaires et autres « disciples » de l’artiste. La loi de 1957 a tenu également compte des interactions pouvant exister entre régimes matrimoniaux et droits d’auteur.
Des exceptions sont expressément prévues aux droits de l’auteur et de ses ayants droit. Sont notamment visées « les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective ». Les citations et analyses sont également au nombre des exceptions au droit des auteurs prévues par la loi. La jurisprudence a cependant tendance à les écarter, la plupart du temps, en matière d’œuvres d’art. La loi vise enfin comme exceptions à la propriété littéraire et artistique « la parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre ». Les lois du genre, peu à peu définies par la jurisprudence, imposent d’avoir une intention humoristique et non vindicative, et de ne pas créer de risque de confusion entre l’œuvre parodiée et sa parodie.
« Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause » est en effet sanctionnée par le biais de la contrefaçon. Cette infraction pénale est définie comme l’« édition d’écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs ». La contrefaçon, inscrite jusqu’en 1992 au sein du code pénal et, depuis lors, intégrée au code de la propriété intellectuelle, couvre aussi bien dans son acception moderne les copies quasi industrielles que les plus subtils plagiats, qui donnent de plus en plus lieu à des procès à forte publicité. La procédure même de l’action en contrefaçon est dessinée par la loi, à l’instar de la saisie-contrefaçon. Une nouvelle loi du 5 février 1994 a étendu les pouvoirs des douanes face aux importations d’œuvres contrefaisantes.
Les difficultés de contrôle de l’exploitation des œuvres ont d’ailleurs entraîné l’apparition timide de sociétés de gestion collective des droits. L’ADAGP (arts graphiques et plastiques) et la SAIF (image fixe) se sont positionnées sur ce créneau.
La Spadem, un temps concurrente directe de l’ADAGP, a été liquidée dans les années 1990.
Le code de la propriété intellectuelle
Le 1er juillet 1992, a été adoptée la partie législative du code de la propriété intellectuelle (CPI), élaboré par une récente Commission supérieure de la codification. Une partie réglementaire est venue s’y ajouter par un décret du 10 avril 1995.
Le nouveau code est essentiellement une compilation de l’ensemble des mesures touchant la propriété intellectuelle (droit d’auteur, marques, brevets, etc.). L’ordre des articles de la loi de 1957 (qui changent de numérotation) est légèrement modifié.
L’environnement international
Les conventions internationales sur le droit d’auteur applicables en France restent bien en deçà du droit national, qu’on présente souvent comme le système législatif le plus protecteur au monde pour les auteurs.
C’est la Convention de Berne du 12 septembre 1886 pour la protection des œuvres littéraires et artistiques qui domine les relations transnationales en matière de propriété littéraire et artistique. Elle est en effet, et de loin, la plus ancienne et la plus importante des conventions en nombre d’adhérents, puisqu’elle compte plus d’une centaine de membres.
La Convention de Genève du 6 septembre 1952, élaborée par l’Unesco et dite aussi Convention universelle, est la moins contraignante des conventions internationales. À ce titre, elle avait reçu le soutien des États-Unis, qui avaient refusé d’adhérer à la Convention de Berne. Elle est beaucoup moins d’actualité depuis que les États-Unis ont adhéré à la Convention de Berne, entrée en vigueur pour eux le 1er mars 1989 et qui a entraîné la suppression de la formalité d’enregistrement au Copyright Office pour les publications étrangères. Cette adhésion a été suivie, à partir de 1995, par celle de la quasi-totalité des pays de l’ex-bloc de l’Est.
La loi du 8 juillet 1964 – assortie d’un décret du 6 mars 1967 – a imposé en France le principe de réciprocité, aux termes duquel n’est accordée de protection qu’aux œuvres émanant de pays assurant en retour une protection des œuvres françaises.
L’Arrangement de Vienne de 1973, ratifié par la France à la fin de l’année 1975 – qui n’est toujours pas en vigueur faute du nombre suffisant de ratifications – concerne exclusivement les caractères typographiques.
Enfin, l’influence européenne est désormais majeure en matière de droit d’auteur. Le Livre vert sur le droit d’auteur et le défi technologique, publié en juin 1988, et son complément de décembre 1990 ont dressé un tableau de l’ensemble des directives à adopter pour uniformiser les législations des États membres de l’Union européenne. Depuis 1998, les bases de données bénéficient d’un régime particulier puisque le législateur français a transposé en droit national les prescriptions issues d’une directive communautaire : leur définition englobe aussi bien les collections d’œuvres que les catalogues raisonnés.
En un demi-siècle, l’art est donc devenu un véritable objet de droit. La réalité juridique tend à durcir l’encadrement du marché de l’art, à l’heure où celui-ci se développe sous des formes de plus en plus diverses en bouleversant les frontières établies. Le législateur, s’il ne veut pas scléroser tout un secteur de la création, devra prendre conscience de cette mutation en adaptant notamment les règles de la propriété littéraire et artistique.
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50 ans de droit d’auteur
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°565 du 1 janvier 2005, avec le titre suivant : 50 ans de droit d’auteur