Une décision récente confirme l’exigence d’un acte notarié pour conclure une cession de droits d’auteur à titre gratuit. Non sans soulever des questions.
Paris. La cession « gratuite » de droits d’auteur est une pratique fréquente dans les milieux artistiques. Toutefois la gratuité ne doit pas faire oublier le respect d’un certain formalisme contractuel prévu par l’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle. Selon ce dernier, chaque cession de droits d’auteur doit faire l’objet d’un écrit précisant la nature de chaque droit cédé (reproduction, représentation, etc.), l’étendue des droits cédés (supports, formats, etc.), leur destination (domaine d’activité), le territoire couvert par la cession et la durée de la cession.
Or, depuis quelques années, la jurisprudence estime que la cession à titre gratuit s’analyse comme une donation qui est l’« acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte » (article 894 du Code civil). De fait, doit s’appliquer la règle de l’article 931 du Code civil selon laquelle « tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires dans la forme ordinaire des contrats ; et il en restera minute, sous peine de nullité ». Il s’en déduit pour les juges que les cessions de droits de propriété intellectuelle à titre gratuit doivent être passées devant notaire ! Après avoir confirmé cette solution pour les marques, les dessins et modèles et les brevets, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris vient de la confirmer pour les droits d’auteur par une récente ordonnance du 11 septembre 2024.
En l’espèce, des marionnettistes, coauteurs de marionnettes représentant des personnalités des mondes politique, économique et médiatique, reprochaient à un média en ligne d’avoir exploité leurs créations dans des vidéos [de l’émission satirique « Les Marioles », ndlr] sans leur autorisation. Si un accord de principe avait été trouvé entre les parties, selon lequel une exploitation gratuite des marionnettes était autorisée en contrepartie d’un partenariat dans le cadre des vidéos litigieuses, les juges ont estimé que, cette autorisation n’ayant pas été passée devant notaire, celle-ci était nulle et ne pouvait être opposée aux marionnettistes.
Fort malheureusement cette vision, désormais bien ancrée auprès des juridictions du fond, gagnerait à être nuancée. En effet, la qualification de « donation » impose de constater, outre le caractère gratuit, l’intention libérale (animus donandi) qui justifie l’acte, c’est-à-dire la volonté de l’artiste-donateur de gratifier le bénéficiaire-donataire sans attendre ni recevoir de contrepartie. Il y a fort à parier que cette intention libérale ne soit que rarement présente puisque la contrepartie est généralement le gain de notoriété engendré par une reproduction ou une représentation gratuite dans un magazine ou sur Internet. C’est ainsi que, le 1er juillet 1998, la cour d’appel de Paris avait exclu l’intention libérale de Pablo Picasso sur la reproduction des dessins de l’ouvrage Torosy toreros (1961), car ce dernier espérait à l’époque de sa publication un gain futur lié à la diffusion internationale du livre qui lui permettait d’accroître sa notoriété et celle de ses dessins – et ce n’est qu’en raison de la violation de l’article L. 131-3 précité que la Cour de cassation avait finalement prononcé la nullité de la cession, le 23 janvier 2001.
On le devine, cette jurisprudence émergente est contestable et contestée par une partie de la doctrine, car sa pérennisation conduirait à une grande incertitude juridique et économique pour les situations passées. Si les artistes peuvent y voir un moyen de reprendre le contrôle sur leurs droits et écarter les abus lors de négociations susceptibles d’entraîner des cessions gratuites non réellement consenties, les professionnels qui usent de ces cessions gratuites risquent de voir leur modèle économique s’effondrer alors qu’ils participent de la diffusion de la création.
Dans l’attente d’une clarification souhaitée par la Cour de cassation, la prudence est de mise lors de la rédaction d’un acte de cession à titre gratuit, notamment afin de préciser le cadre dans lequel elle s’inscrit. Bien entendu, si l’intention libérale est patente, le passage devant le notaire semblerait s’imposer. Affaire à suivre !
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Faudra-t-il passer devant le notaire pour céder gratuitement ses droits d’auteur ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°645 du 13 décembre 2024, avec le titre suivant : Faudra-t-il passer devant le notaire pour céder gratuitement ses droits d’auteur ?