Art moderne

Un Degas magistral

Le nu vu par Degas

Le Musée d’Orsay lève le voile sur un sujet qui a accompagné Degas tout à long de sa carrière : le nu féminin

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 10 avril 2012 - 722 mots

Associé au Museum of Fine Arts de Boston, le Musée d’Orsay à Paris réalise avec « Degas et le nu » une démonstration envoûtante. Dans une rétrospective originale, l’œuvre du peintre des danseuses est vu à travers le prisme du nu. Académique, libertin, voyeur ou sauvagement expressif, le nu constitue la colonne vertébrale de l’art d’Edgar Degas.

PARIS - Tout a commencé avec un dessin. Vue de dos, une Femme nue debout, penchée en avant, cheveux défaits, datant au plus tard de 1865. À partir de son dos courbé, tout s’imbrique : sa nuque offerte, ses cheveux défaits, ses jambes fléchies, ses bras repliés en un geste défensif. Edgar Degas (1834-1917) est en pleine préparation de Scène de guerre au Moyen Âge, un tableau d’histoire conçu pour le Salon et son goût académique. Quarante ans plus tard, le peintre des danseuses, affaibli par l’âge, opte pour le pastel, moins fatigant à manipuler que l’huile tout en offrant des couleurs aussi chatoyantes. Son sujet de prédilection devient la femme à peine sortie de son bain. Assise sur le rebord de sa baignoire pour se sécher à l’aide d’une serviette, celle-ci adopte la même posture que notre victime médiévale – dos courbé, bras levés vers la tête, chevelure projetée en avant, jambes fléchies. Frappé par ces échos visuels, George Shackelford, spécialiste d’Edgar Degas, s’est lancé dans l’étude d’un aspect essentiel de l’œuvre du peintre, le nu, alors qu’il était encore conservateur d’art européen au Museum of Fine Arts de Boston.

Après Boston à l’automne dernier, le Musée d’Orsay présente le fruit de ses recherches au fil d’une démonstration remarquable, à laquelle a contribué un conservateur de la maison, le jeune Xavier Rey. Car d’un dessin à l’autre, beaucoup de choses changent. Le nu est au cœur du processus créatif de l’artiste qui, en bon élève des Beaux-Arts, prépare ses compositions en dessinant chaque figure d’abord dénudée puis habillée, avant de les assembler. Scènes de guerre au Moyen Âge est un tableau clé pour saisir au mieux ce principe – le parcours de l’exposition lui consacre une place méritée, avec une présentation accompagnée de multiples dessins préparatoires. S’enclenche par la suite une série de ruptures. Le trait de Degas s’émancipe des préceptes académiques et se dirige vers une traduction plus naturaliste de la chair. Les corps ne représentent plus un idéal, ceux des prostituées qu’il choisit d’illustrer dans ses scènes de maisons closes sont même caricaturaux – replets et impudiques, ils transpirent la vulgarité. Plus tard, le pastel et la souplesse de sa matière lui permet une approche plus directe, plus charnelle du corps. Les femmes se baignent, s’essuient, se coiffent… les gestes sont répétés ad libitum au point d’être désincarnés.

Puissance et intégrité
Entre les premières académies au crayon, exécutées dans l’esprit ingresque, et les derniers fusains monomaniaques, le chemin parcouru est époustouflant, sur le plan tant plastique qu’émotionnel. Pour rehausser le propos, une dizaine d’œuvres d’artistes contemporains et pour la plupart proches de Degas sont parsemées dans les salles, et font mouche à chaque fois – efficace, l’érotique Rolla (1878) d’Henri Gervex met en scène deux amants dont la femme, nue, endormie sur un lit défait, donne une vision d’un corps féminin désiré et désirable située à l’extrême opposé de celle recherchée par Degas. Ce dernier ne se refuse pas une certaine sensualité, mais le regard masculin n’est pas sous-entendu. Toulouse-Lautrec, Manet, Rodin et Bonnard apportent eux aussi leur pierre à l’édifice.
En fin de parcours, la sculpturale Carmelina (1903) d’Henri Matisse, prêtée par Boston, incarne l’héritage laissé par Degas : le corps humain possède aussi puissance et intégrité. En témoigne la surprise majeure de l’exposition, Petites paysannes se baignant à la mer vers le soir (1869-1875), échappée à titre exceptionnel d’une collection privée anglaise. Les corps des jeunes femmes exécutés de manière sommaire, tendus par les flots que l’on imagine glacés, sont tout droit sortis d’une toile d’Emil Nolde. Devant ce tableau, plus aucun doute ne subsiste : Degas faisait fi de sa formation classique pour se diriger vers des terres inconnues

DEGAS ET LE NU

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jusqu’au 1er juillet, Musée d’Orsay, 1, rue de la Légion-d’Honneur, 75007 Paris, tél. 01 40 49 48 14, www.musee-orsay.fr, tlj sauf lundi, 9h30-18h, 9h30-21h45 le jeudi. Catalogue, coéd. Musée Orsay/Hazan, 286 p., 39,95 €, ISBN 978-2-7541-0613-9.

DEGAS ET LE NU

- Commissaires : George T. M. Shackelford, directeur adjoint du Kimbell Art Museum, Fort Worth (Texas) ; Xavier Rey, conservateur au Musée d’Orsay

- Mécène : The Annenberg Foundation, GRoW Project

- Scénographie : Nicolas Groult et Sylvain Roca

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°367 du 13 avril 2012, avec le titre suivant : Le nu vu par Degas

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