Art moderne

L’Espagne entre deux maîtres

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 18 octobre 2011 - 757 mots

Le tournant du XXe siècle est une époque charnière pour les peintres espagnols - Le Musée de l’Orangerie donne un éclairage sur ces artistes méconnus, attachés à leurs racines mais aspirant à un renouveau esthétique.

Privé, pour cause d’annulation de l’Année du Mexique, de l’exposition « Frida Kahlo et Diego Rivera, l’art en fusion », repoussée à octobre 2013, le Musée de l’Orangerie se console avec une plongée dans la peinture espagnole du tournant du XXe siècle. La nouvelle directrice des lieux, Marie-Paule Vial, a concrétisé en quelques mois un projet encore vague il y a un an. Y a été associé dès le départ Pablo Jiménez Burillo, directeur de la Fondation Mapfre à Madrid.

Sur les traces d’« El modernismo », qui s’est tenue au début de l’année à la Fondation de l’Hermitage, à Lausanne, l’exposition aborde une époque charnière pour les artistes ibériques de la fin du XIXe siècle, soucieux de conserver leur particularisme national tout en épousant les formes du modernisme pictural. Contestant l’idée communément admise selon laquelle, « durant une longue période, aucune personnalité digne de reconnaissance n’avait émergé entre Goya et Picasso », l’étude porte sur la « génération de 1898 », marquée par la misère et le mal-être provoqués par d’incessantes guerres intestines et le déclin irrémédiable de l’empire colonial. Des artistes négligés par l’histoire de l’art parce qu’ils n’ont pas « bousculé les codes de la représentation ».

Le parcours est organisé sur un axe, aux contours incertains, opposant l’Espagne noire (qui redécouvre la tradition héritée du Greco, de Goya et Vélasquez, avec Zuloaga, Rusiñol…) à l’Espagne blanche (à la recherche d’un nouveau souffle, menée par Sorolla, Sunyer, Mir…). Il met en avant ces artistes arrivés en masse à Paris dès les années 1880, et plus précisément à Montmartre, attirés par la « nouvelle peinture » et vite intégrés dans le circuit critique et commercial des salons et des galeries. Le Retour de la pêche, le halage de la barque (1894) de Joaquín Sorolla, tableau acquis par l’État pour le Musée du Luxembourg en 1895 et depuis affecté au Musée d’Orsay, en est un exemple. Les amitiés entretenues avec des artistes français (Degas, Toulouse-Lautrec, Matisse, Gauguin…) percent sciemment : loin d’avoir coupé les ponts avec l’Espagne, ces artistes voulaient que ces avancées plastiques impulsent un nouvel élan créatif dans leur pays. Ainsi les salles de l’Orangerie regorgent-elles de toiles ayant absorbé les techniques et l’esprit de l’impressionnisme, du postimpressionnisme ou encore du pointillisme. Plus minoritaires dans l’exposition, les peintres qui renouvellent la tradition réaliste de « l’Espagne noire », tel Ignacio Zuloaga avec La Naine Dona Mercedes (1899) ou L’Anachorète (1907), vision réactualisée d’un Greco. Concluant le parcours, les œuvres de Picasso apparaissent comme ayant opéré la synthèse entre les deux mouvances : retenant à la fois la leçon des Anciens (L’Enterrement de Casagemas, v. 1901) et celle des Modernes (Le Moulin Rouge).

La modernité n’est pas qu’une question de formes. Les scènes intimistes où l’on reconnaît la manière discrète de Degas, comme chez Ramón Casas et son élégante allongée sur un lit (La Paresse, 1898), attestent l’abandon des sujets de la « grande peinture ». Mais lorsque le même peintre représente sa Madeleine (1892) seule au café, un cigare à la main, ou une jeune femme attablée à la terrasse d’un restaurant (Plein air, 1890), il choisit un sujet d’autant plus moderne qu’il illustre l’indépendance progressive de la gent féminine. Idem chez Hermen Anglada Camarasa, dont la Granadina (v. 1914) évoque tant Klimt que Van Dongen, et dont les petits formats empruntent à Toulouse-Lautrec ; instants de la nuit parisienne, ou plutôt instants de vie de la Parisienne. Certains artistes sont moins convaincants tels Joaquín Sunyer, apôtre du retour à l’ordre, ou Juan de Echevarría et sa Métisse dénudée (1923), déclinaison ratée de l’Olympia de Manet revisitée par Gauguin. Il faut cependant saluer les commissaires pour leur capacité à faire sortir quelques joyaux de collections particulières à l’instar de La Buveuse d’absinthe de Picasso, ou du somptueux Ermitage de Sant Blai (1910) de Joaquín Mir i Trinxet, paysage préfigurant la peinture all over.

L’ESPAGNE ENTRE DEUX SIÈCLES. DE ZULOAGA À PICASSO, 1890-1920

Commissaires : Marie-Paule Vial, directrice du Musée de l’Orangerie ; Pablo Jiménez Burillo, directeur général de l’Instituto de Cultura, Fundación Mafpre
Nombre d’œuvres : environ 70
Scénographie : Virginia Fienga, architecte, chef du département de la muséographie et des travaux au Musée d’Orsay

Jusqu’au 9 janvier 2012, Musée national de l’Orangerie, jardin des Tuileries, place de la Concorde, 75001 Paris, tél. 01 44 77 80 07,  » www.musee-orangerie.com, tlj sauf mardi 9h-18h.

Catalogue, coéd. Musée d’Orsay/RMN-Grand Palais, 160 p., 100 ill., 35 euros, ISBN 978-2-7118-5932-0.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°355 du 21 octobre 2011, avec le titre suivant : L’Espagne entre deux maîtres

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