Génie angélique

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 18 octobre 2011 - 811 mots

Bénéficiant de prêts exceptionnels, le Musée Jacquemart-André, à Paris, présente la première monographie française consacrée à Fra Angelico.

« Un talent rare et parfait. » Tels étaient les mots de Vasari pour qualifier le peintre Fra Angelico (vers 1400-1455). De son nom d’origine Guido di Piero, il devient « Fra Giovanni Da Fiesole » en rejoignant l’ordre dominicain. Quelques années après sa mort, le poète Domenico da Corella lui donnera le patronyme de « frère angélique ». Considéré comme le peintre religieux par excellence, l’artiste n’a pas échappé aux bouleversements artistiques que connaît Florence en ce début de XVe siècle. Démonstration est aujourd’hui faite au Musée Jacquemart-André. Bénéficiant de prêts d’exception, l’institution parisienne, qui possède elle-même une très belle collection italienne, présente la première monographie française consacrée au maître italien. Plutôt qu’une impossible rétrospective de son œuvre, dont les grands ensembles décoratifs et fresques sont visibles in situ à Rome et Florence, l’exposition propose « un résumé en forme de synthèse de ce qui rend le peintre irremplaçable ». Elle entend montrer, quelle que soit la part des influences possibles, « l’originalité du peintre, ce en quoi il est irréductible », précise dans le catalogue Nicolas Sainte Fare Garnot, conservateur à la tête du musée, et commissaire de la manifestation avec Giovanna Damiani, surintendante du pôle muséal de Venise.

Style éclectique
L’événement s’inscrit dans la lignée des expositions organisées à New York (2005) et Rome (2009) ou de la publication en 2010 de la monographie signée Diane Cole Ahl (2010). Ces travaux ont renouvelé l’approche de Fra Angelico et anéanti le point de vue réducteur qui prévalait jusqu’alors. Ils soulignent la richesse d’un style résolument éclectique, empreint à la fois de tradition et de modernité.

Le parcours suit l’évolution du peintre dans le climat artistique florentin de la première moitié du XVe siècle. Est évoquée d’abord l’importance de l’enluminure dans la formation de sa personnalité artistique et le rôle de son maître, le peintre Lorenzo Monaco, moine de la communauté des frères camaldules dont est présenté le panneau de prédelle Saint Nicolas sauvant les marins – celui-ci serait l’ultime œuvre de l’artiste disparu en 1424. Puis le visiteur est immergé dans la scène artistique florentine de la première moitié du Quattrocento avec Masolino Da Panicale, le Scheggia ou Paolo Uccello, sans oublier Filippo Lippi… Comment réagit Fra Angelico à ce climat d’effervescence créative et d’innovations artistiques ? Les chefs-d’œuvre réunis à Paris apportent quelques éléments de réponse. Ainsi du Couronnement de la Vierge (v. 1434-1435), provenant de la Galerie des Offices (Florence), panneau baigné de lumière dont la subtilité chromatique le dispute à la rigueur de sa construction spatiale. Avec son fond doré, l’œuvre s’inscrit dans la tradition du style gothique tout en intégrant les innovations de la Renaissance telles que la représentation de la figure humaine et la recherche de la perspective. Dans la Vierge à l’Enfant (v. 1450) de Turin (Galleria Sabauda), l’artiste joue avec l’ombre et la lumière pour donner forme aux figures et renforcer la profondeur du tableau.

Une œuvre tel Le Martyre des saints Côme et Damien (v. 1438-1443) témoigne de sa maîtrise sans égal de la narration, dont font preuve également les petits formats des prédelles. Dans ce panneau du Louvre, Fra Angelico fixe le moment de la décapitation des saints médecins, connus pour dispenser leurs soins gratuitement. Il faudrait encore mentionner la présence d’un des trois panneaux qui formaient les volets de l’armoire dite « des ex-voto d’argent », chef-d’œuvre de Fra Angelico exécuté à la tempera vers 1450-1452. Le panneau ici exposé comprend onze compartiments illustrant des épisodes de la vie du Christ, accompagnés de cartouches qui reproduisent le texte évangélique. Nombre d’historiens de l’art le considèrent comme le testament florentin du peintre, preuve de son éclectisme : des scènes sur fond d’or sont rapprochées de séquences plus réalistes incluses dans un paysage, des architectures gothiques sont associées à des bâtiments typiques de la Renaissance… Les artistes qui ont admiré ou imité Fra Angelico concluent ce beau parcours, en référence directe à Vasari, qui, lorsqu’il achève son récit sur Fra Angelico, cite quelques artistes ayant collaboré avec lui. Ainsi de Zanobi Strozzi, considéré par les historiens comme son premier élève, qui adopte sa manière et diffuse son style, ou de Benozzo Gozzoli, artiste le plus proche de Fra Angelico qu’il suit à Rome pour décorer la chapelle de saint Pierre au Vatican. Tous ont cherché à saisir l’infinie délicatesse qui émane de l’œuvre du « frère angélique ».

FRA ANGELICO

Commissaires : Giovanna Damiani, surintendante du pôle muséal de Venise ; Nicolas Sainte Fare Garnot, conservateur du Musée Jacquemart-André
Nombre d’œuvres : 47 (dont 25 Fra Angelico)
Scénographie : Hubert Le Gall

Jusqu’au 16 janvier 2012, Musée Jacquemart-André, 158, bd Haussmann, 75008 Paris, tél. 01 45 62 11 59, www.musee-jacquemart-andre.com, tlj 10h-18h et 21h30 les lundis et samedis. Catalogue.

À lire aussi : Neville Rowley, Fra Angelico. Peintre de la lumière, éd. Gallimard (coll. « Découvertes »), 128 p., 13,20 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°355 du 21 octobre 2011, avec le titre suivant : Génie angélique

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