Tous les pays européens accusent le coup d’une réduction brutale de leurs budgets culturels… sauf la France, qui dispose d’un arsenal fiscal privilégié, voire laxiste.
Alors que les dettes des pays européens atteignent tous les jours de nouveaux sommets, les arbitrages sanctionnant les dépenses publiques n’épargnent plus la Culture. Dire que le secteur culturel en Europe n’est aujourd’hui pas à la fête est un euphémisme, comme le confirme notre tour d’horizon de six grands pays européens. Après l’Italie, soumise à une diète sévère depuis 2009, puis la Grande-Bretagne, diminuée de 30 % de ses ressources depuis 2010, l’Espagne mais aussi l’Allemagne (longtemps préservée), sont désormais entrées dans le bal de la récession culturelle. Même aux Pays-Bas, pays reconnu pour son dynamisme créatif, dans lequel le secteur culturel représente 3 % du PIB – soit 18 milliards d’euros dont 5 milliards pour le seul secteur subventionné –, le gouvernement a décidé de trancher dans le vif. Or ce mouvement est d’autant plus brutal que les collectivités locales suivent l’exemple de l’État. En Allemagne, pays fortement décentralisé, les Länder (Régions) commencent à se désengager. En 2011, le Schleswig-Holstein a réduit de 15 % ses subventions en faveur de la Culture, et la Saxe-Anhalt, de 14 %. À ce rythme, la cartographie culturelle risque d’être rapidement révisée.
L’oasis français
Dans ce panorama, quelle est la situation en France ? Si d’année en année, malgré des habillages toujours plus séduisants, l’enveloppe globale allouée à la Culture s’étiole progressivement, force est de constater que les crédits n’y ont pas subi une érosion similaire. La France reste encore relativement préservée des coupes claires, elle apparaît presque favorisée. En septembre, alors que le Premier ministre annonçait le gel de la réserve de précaution des ministères, la Rue de Valois a même pu passer pour « le ministère des privilèges » : le président de la République s’était engagé, dès janvier 2011, à débloquer ces précieux 5 % de son enveloppe traditionnellement gelés. Impossible de revenir en arrière… Et, sauf coup de théâtre, les arbitrages pour 2012 ne s’annoncent guère trop sévères. À quelques mois d’une échéance électorale, rogner sur la Culture risquerait de provoquer trop d’émoi pour trop peu d’économies.
Or l’analyse de la situation des autres pays européens est aussi instructive. Alors que Londres et Rome tentent de s’atteler à une réforme de leur administration culturelle, quitte à trancher dans le vif en termes d’emplois, le mirage du recours aux financements privés fonctionne à plein. Et sur ce point encore, la France peut faire des envieux tant elle dispose d’outils fiscaux attractifs : loi sur la dation, loi mécénat, dispositions relatives aux trésors nationaux, défiscalisation des travaux sur les monuments historiques protégés, œuvres d’art exclues de l’impôt de solidarité sur la fortune… Autant d’outils à faire pâlir d’envie même les Britanniques, qui se réveillent aujourd’hui avec un système fiscal finalement peu favorable à l’intervention du privé. De fait, la plupart des pays ayant acté des coupes drastiques se tournent de manière désespérée vers le mécénat. Sans pourtant disposer d’une législation sécurisante et attractive fiscalement pour les donateurs – notamment en Italie où l’évasion fiscale demeure un fléau. Ils n’ont pas non plus prévu de garde-fous préservant les institutions des appétits de leurs financeurs. Faute de ces outils, l’appel au privé sera vain ou risqué, laissant les institutions culturelles désarçonnées. Aux Pays-Bas, le spectre de l’aliénation des œuvres d’art comme alternative a ainsi déjà refait surface.
Une niche fiscale ?
Du fait de ce décalage, la situation française mériterait toutefois d’être examinée dans le détail. Car depuis quelques années, le mécénat privé y a aussi révélé ses fragilités, qu’il s’agisse de sa vulnérabilité au contexte économique, mais aussi de sa recherche de visibilité immédiate, au détriment, parfois, de l’intérêt scientifique des établissements culturels bénéficiaires – comme l’a rappelé récemment la Cour des comptes. Et depuis plusieurs mois, les dispositifs fiscaux sont à leur tour soigneusement analysés par le ministère du Budget, au cas où ils constitueraient des niches fiscales lucratives qu’il conviendrait d’éradiquer. Leur avenir n’est guère assuré. Plus que sur la sanctuarisation de ses dépenses culturelles, la France pourrait désormais donner l’exemple par sa capacité à contractualiser sa relation financière avec le secteur privé. En donnant autant de gages fiscaux pérennes que de garanties déontologiques aux contractants. N’est-ce pas aussi le rôle d’un ministère de la Culture, conscient de la gravité de la crise de la dette des États, que de résoudre cette délicate équation, garante de l’avenir d’un secteur ?
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Tempête sur l’Europe de la culture
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°353 du 23 septembre 2011, avec le titre suivant : Tempête sur l’Europe de la culture