Le vol spectaculaire de mai dernier au Musée d’art moderne de la Ville de Paris met en lumière la situation délicate des musées parisiens. Rappel des faits. Dans la nuit du 19 au 20 mai 2010, il aura suffi de dévisser une fenêtre et de fracturer un cadenas pour que des voleurs s’introduisent dans le Musée d’art de la Ville de Paris (MAMVP) et dérobent cinq toiles de maîtres, signées Picasso, Braque, Léger, Matisse et Modigliani.
Bilan : une perte estimée à plus de 100 millions d’euros et de nombreuses interrogations en suspens. Sur lesquelles, six mois plus tard, la Ville de Paris refuse d’apporter un quelconque éclairage. Car l’attitude du Maire de Paris et de ses proches adjoints, à la suite de ce vol, ne laisse encore de surprendre.
Quelques heures après l’annonce publique du cambriolage, Christophe Girard, adjoint à la culture, fait un bien mauvais calcul en désignant un peu trop rapidement des coupables : les trois gardiens présents sur place, qui n’auraient pas aperçu la silhouette portant une cagoule et déambulant dans le musée devant les écrans de surveillance. Rapidement, les syndicats montent au créneau et accusent le maire de désigner des « lampistes ». Comme l’avaient notifié les agents de sécurité sur leur cahier de bord, l’alarme volumétrique anti-intrusion du musée était défaillante depuis le 30 mars. Là n’était pas le seul problème, les agents soulignant le délai de fermeture d’une grille mais aussi un problème de manque d’étanchéité des circulations entre la cafétéria et le musée. Puis a été révélée une information sur laquelle la Ville de Paris s’était bien gardée de communiquer. Deux rapports de l’inspection générale des services, datés de 2007 et 2009, avaient en effet alerté le maire de l’existence de sérieuses lacunes dans le dispositif de sécurité des musées parisiens. Le premier document précisait notamment que les systèmes techniques étaient insuffisants et que l’essentiel de la sécurité reposait, de facto, sur des agents insuffisamment formés.
Ces défaillances, à laquelle la Ville de Paris n’aurait pas répondu suffisamment rapidement, auraient ainsi fini par être connues… De fait, six mois après, les agents en poste le soir du vol n’ont été l’objet, de source syndicale, d’aucune sanction. Mais à ce jour, du côté de l’Hôtel de Ville, c’est toujours silence radio sur le sujet. Une enquête administrative a été remise au Maire de Paris en juin 2010. Dans l’objectif de pouvoir se réfugier derrière le secret de l’instruction, le maire l’a immédiatement transmise au parquet pour les besoins de l’enquête judiciaire. « À moins que l’affaire ne soit portée devant les tribunaux, vous pouvez être sûr que la Mairie de Paris n’en divulguera jamais le contenu », témoigne ainsi un agent municipal. Une seconde enquête, traitant de l’ensemble des musées parisiens, a suivi le même sort en septembre. Mais le maire refuse toujours de la rendre publique. Lors du conseil de Paris des 7 et 8 juin, Christophe Girard s’est contenté de défendre le bilan du maire en matière de sécurité, avouant sa surprise devant ce vol alors que « des travaux de sécurité ont été conduits au Musée d’art moderne entre 2004 et 2006 pour un montant de 15 millions d’euros ». Ce qu’oublie de préciser Christophe Girard, c’est qu’il s’agissait d’une mise en sécurité incendie… Il faut aussi rappeler que le musée avait rouvert plus tôt que prévu, avant la fin de cette tranche de travaux, pour accueillir une grande exposition dédiée à Bonnard. Cette réouverture anticipée se serait-elle faite au détriment de la sécurité des œuvres ?
Rondes annulées
Selon l’adjoint, 26 000 euros seraient consacrés tous les ans à l’entretien des installations du musée. À la suite du vol, des dispositions spéciales ont été prises comprenant la multiplication des rondes, « jusqu’à l’absurde avec près de dix rondes [effectuées] par nuit, témoigne un agent. Elles ont été annulées au bout de trois semaines ». À en croire la majorité municipale, un programme pluriannuel sur cinq ans aurait par ailleurs été lancé dès 2007 pour combler un retard qui aurait été pris… avant 2001, soit avant l’élection de Bertrand Delanoë. « Je n’ai jamais senti que c’était un sujet à l’ordre du jour », constate pourtant Thierry Coudert, élu de l’opposition (UMP) en charge des dossiers culturels, qui dénonce le fait que la culture ne soit plus qu’une variable d’ajustement du budget municipal. « Les budgets de fonctionnement stagnent depuis plusieurs années, poursuit l’élu du 17e arrondissement, ce qui oblige les établissements à des arbitrages permanents. Qu’on relativise les dépenses de sécurité pour assurer le couvert n’est donc pas étonnant. La seule question est de savoir s’il y a eu une politique négligente de la part de la Ville de Paris. Or nous n’avons aucune réponse pour le moment. »
Les élus de la commission culture ont adressé une demande solennelle pour une audition de Fabrice Hergott, le directeur du MAMVP. À laquelle le maire, pour lequel il s’agit « d’un sujet urticant », a opposé une fin de non-recevoir. La démocratie locale a ses limites. Outre une responsabilité en termes de choix politique, cette affaire met aussi cruellement en lumière le problème de la gouvernance des musées parisiens, qui se mesure assez facilement à l’aune du rayonnement relatif de certains de ces établissements. Soit une organisation administrative dans laquelle les chefs d’établissement ne disposent quasiment d’aucune autonomie de gestion et doivent composer avec de multiples interlocuteurs : direction des Affaires culturelles, bureau des musées, Paris Musées – sans parler de leur absence d’autorité sur le personnel municipal. Considéré comme le leader de ces musées, le MAMVP ne dispose même pas d’un conseil d’administration. Une modernisation administrative s’imposerait donc et un projet d’« établissement public administratif » (EPA) commun serait dans les tuyaux. Pas sûr toutefois que ce changement de statut règle tous les problèmes si un programme d’investissement n’est pas lancé rapidement. Le cas du Musée Carnavalet est à ce titre édifiant : absence de chauffage dans certaines salles, présence d’amiante, vétusté du bâtiment qui entraîne des chutes de pierre sont autant de sujets alarmants soulevés depuis plusieurs années par les syndicats.
En attendant, ce vol, ainsi que la série de dysfonctionnements qui a récemment touché le MAMVP (erreurs dans le constat d’état d’une œuvre de Jean-Michel Basquiat en prêt au musée, problèmes du système de réservation), ont des conséquences néfastes pour l’image des musées de la Ville de Paris. L’heure du bilan en termes de politique culturelle de la seconde mandature de Bertrand Delanoë approche. Et comme pour la précédente (lire Le Journal des Arts no 210, 4 mars 2005), il n’est guère reluisant en matière de musées.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Les mystères d’un fric-frac
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Musée d'art moderne de la Ville de Paris (2010) - L'effraction a été commise sur une des fenêtres du rez-de-chaussée côté quai © Photo Ludosane
Les toiles volées :
Georges Braque « L'olivier près de l'Estaque » (1906) - 50 x 61 cm © D.R
Fernand Léger « Nature morte au chandelier » (1922) - 116 x 80 cm © D.R
Henri Matisse « La Pastorale » (1906) - 46 x 55 cm © Succession H. Matisse
Amedeo Modigliani « La Femme à l'éventail » (1919) - 100 x 65 cm © D.R
Pablo Picasso « Le pigeon aux petits pois » (1911) - 64 x 53 cm © D.R
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°337 du 16 décembre 2010, avec le titre suivant : Les mystères d’un fric-frac