Podcasts, applications iPhone, Facebook, Twitter… , pour optimiser leurs conditions d’accueil et attirer un nouveau public, les musées inventent de nouvelles manières de communiquer.
Il suffit de se promener dans les salles les plus populaires des grands musées internationaux pour observer le phénomène. Au stéréotype du touriste japonais appuyant fiévreusement sur le déclencheur de son appareil photo, noyant au passage La Joconde sous une nuée de flashes, s’est substitué celui du visiteur muni d’un appareil photo numérique, mieux, d’un téléphone mobile avec caméra vidéo intégrée. Celui-ci filme machinalement toutes les œuvres présentées, après s’être fait sans doute la promesse solennelle de revoir les images sagement assis sur son canapé, pour le plus grand bonheur de ses amis et de sa famille. Et, pourquoi pas, de les diffuser sur les sites de partage tels YouTube ou Dailymotion…
En dix ans, l’outil numérique s’est imposé d’une manière implacable dans les habitudes quotidiennes. Cassandre dirait même qu’à force de voir le monde à travers un écran – télévision ou ordinateur –, les visiteurs de musée ne sauront bientôt plus regarder les œuvres avec leurs propres yeux. Ce à quoi les adeptes du numérique rétorqueraient que de tels outils constituent autant de manières inédites d’appréhender et de se rapprocher de l’œuvre d’art. Pour répondre à cet engouement, les institutions usent de stratagèmes multiples afin d’attirer de nouveaux publics, accros à leur téléphone, à leur ordinateur et bientôt à leur tablette numérique.
Nouveaux outils
Si l’objet audioguide est en passe de devenir obsolète, c’est parce que le contenu audio, conçu avec des prestataires extérieurs (Antenna Audio, Orpheo…), est de plus en plus souvent téléchargeable via le site Internet du musée, ou les plateformes de téléchargement légal généralistes de type iTunes (Apple). Gratuit lorsque le prix d’entrée du musée comprend celui de l’audioguide, ce téléchargement est la plupart du temps payant, a fortiori s’il accompagne une exposition temporaire ; le musée peut ainsi s’y retrouver sur le plan financier. Adepte de cette formule, le Musée des beaux-arts de Nancy songe même à installer des bornes de téléchargement pour les visiteurs qui n’auraient pas enregistré le contenu au préalable. À Pont-Aven, les visiteurs armés de téléphones adéquats ont bénéficié de la technologie Bluetooth pour laquelle le Musée des beaux-arts a opté lors de l’exposition « Maurice Denis et la Bretagne » en 2009, sur proposition de l’école d’ingénieurs ISEN-Brest – l’acquisition d’une borne permanente dédiée aux collections permanentes est prévue. Au Musée du Louvre, le guide multimédia a depuis longtemps renvoyé l’audioguide aux oubliettes. Ce mini-ordinateur de poche offre plusieurs visites à la carte avec les commentaires audio, mais aussi des visuels et des plans pour se repérer. Un contenu qui a l’avantage d’être facilement mis à jour, contrairement aux fiches plastifiées mises à disposition dans les salles.
Premier à avoir offert une application iPhone en France pour coïncider avec le lancement de la gratuité pour les moins de 26 ans en avril 2009, le Musée national du Moyen Âge – Thermes de Cluny, à Paris, a, depuis, multiplié les dispositifs (Bluetooth, iPod Touch, iPhone…) pour observer lequel recueillerait le plus de succès auprès du public. Quelques mois plus tard, le Louvre et, tout récemment, le Centre Pompidou, ont dévoilé leurs applications iPhone, destinées aux plus de 2 millions de détenteurs du téléphone d’Apple en France. Pour Agnès Alfandari, chef du service multimédia au Louvre, l’intérêt de cette application réside dans l’amplitude de sa diffusion : « Le Louvre s’adresse aux gens via un outil personnel ; mais ce programme n’est pas du tout conçu pour entrer en concurrence avec le guide multimédia. »
Selon les formules, l’intérêt du contenu varie de la simple présentation du musée à une visite complète des collections. Le développement des applications est réalisé par des sociétés indépendantes (Apple restant totalement en marge du projet), et certaines sont esthétiquement plus convaincantes que d’autres.
Enfin, le Musée des arts décoratifs de Paris pousse le dispositif à son paroxysme avec le projet de Jean-Louis Fréchin mené dans le cadre de l’opération « WallpaperLab » – un laboratoire de création pour promouvoir le papier peint. Le FabLabWall de Fréchin est le premier papier peint « à réalité augmentée » : dans le motif se nichent des « flashcodes » (un avatar du code-barres) lisibles avec un « smartphone » (téléphone de 3e génération). À la clé, des photos, des vidéos, du texte, du contenu audio… dont on peut imaginer une version personnalisable chez le particulier qui aura choisi de décorer son intérieur avec ce papier peint. Le Musée du quai Branly s’apprête quant à lui à lancer son application pour Ipad, une première en France. Quelle que soit la formule choisie, ces aides à la visite souvent multilingue sont une aubaine pour les touristes étrangers se retrouvant face à des cartels et des panneaux rédigés exclusivement en français.
Plateformes communautaires
À la vague irrépressible des gadgets numériques se conjugue le raz-de-marée des réseaux sociaux. Le 18 février s’est tenue la première soirée Facebook au Musée des arts décoratifs. Étaient conviés tous les « fans » du musée inscrits au préalable, lesquels ont eu droit à une visite privée de l’exposition « Animal » qui venait d’ouvrir ses portes. Présent sur Twitter, mais aussi sur MySpace, YouTube et Vimeo, le Musée d’art contemporain (MAC) de Lyon a organisé sur le site Dailymotion un concours de vidéos sur téléphone mobile autour de l’exposition « Ben » – le vainqueur recevra une œuvre ! Les concurrents ont jusqu’au 13 juillet 2010 pour soumettre leurs propositions.
Appel à projets innovants
En lien avec le ministère de la Culture et de la Communication, le Weblog Buzzeum assiste les musées peu versés sur le sujet à développer leurs activités technologiques. Dernier exemple en date : un « Live Tweet » organisé au cours de la Nuit des musées. Dans un autre genre, le Musée du Louvre va lancer en septembre une plateforme communautaire baptisée « Communauté Louvre » en partenariat avec Orange, une opération qui, en fonction de sa popularité et de sa pertinence, pourra être pérennisée. Cette expérience vise le public au sens large, mais également les scolaires (en offrant des outils aux enseignants) et les professionnels des musées. D’après Agnès Alfandari, l’objectif de ce « FaceLouvre » est de répondre à la question suivante : « L’histoire de l’art, l’archéologie, et le Musée du Louvre peuvent-ils faire l’objet d’échanges entre internautes ? » Imaginez un monde où la guerre des blogs entre conservateurs fasse rage…
Si les musées profitent aujourd’hui chacun à leur manière de la brèche ouverte, une standardisation des habitudes pourrait naître de l’appel à projets « services numériques culturels innovants » lancé par le ministère de la Culture en octobre 2009. Une soixantaine de projets élaborés en partenariat entre établissements publics, services de l’État, services des collectivités locales, partenaires privés et laboratoires de recherche ont été retenus sur les trois cents présentés. Expérimentés pendant un an, ils proposeront de nouveaux dispositifs de visite de musées, sites ou monuments. Ainsi l’École nationale supérieure de création industrielle – Les Ateliers, à Paris, a mis au point « Regards augmentés », pour découvrir les collections des Arts déco à Paris d’un autre œil, tandis que la société Embedia a soumis un projet original d’audioguide pour l’exposition « Ben » au MAC Lyon. Les projets les plus probants seront développés et appliqués par la suite à différents lieux culturels nationaux.
Imagination débordante
L’enthousiasme est de mise dans les services multimédia des musées, dont le surplus d’activité est partagé avec les services de communication et marketing – en trois ans, le service multimédia du Louvre a triplé ses effectifs. Le terrain à explorer est encore vaste, et si certains se contentent pour l’instant d’offrir des informations déjà accessibles sous une forme classique (comme les cartels), d’autres font preuve d’une imagination débordante, au risque de dénaturer l’œuvre, qui devient prétexte à des envolées ludiques. La disparition de l’audioguide est certes inéluctable, et la profession de guide-conférencier risque à la longue de ne pas être épargnée. Sommes-nous parvenus à un tel stade de l’individualisme que l’objet semble préférable à l’humain ? À Madrid, à l’entrée des collections du Musée du Prado, le visiteur est accueilli par des conférenciers indépendants multilingue qui proposent leurs services à un tarif variable. La visite particulière se fait au rythme et au gré des choix du visiteur… comme avec un guide multimédia. Mais s’il coûte plus cher et ne tient pas dans une poche, le guide en chair et en os présente plusieurs avantages : en plus d’instaurer un échange, il sait répondre aux questions et ne nécessite pas de suivi technique !
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
La folie numérique
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Jean-Louis Fréchin, Fabwall, 2010, papier peint "à réalité augmentée", avec le soutien du Musée des Arts décoratifs, Paris.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°328 du 25 juin 2010, avec le titre suivant : La folie numérique