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L'actualité vue par Jean-Pierre Bady, président de la Commission du récolement des dépôts d’œuvres d’art

« Peu de chefs-d’œuvre absolus manquent à l’appel »

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 13 octobre 2009 - 1392 mots

PARIS

Président de la Commission de récolement des dépôts d’œuvres d’art (CRDOA) depuis 2000, Jean-Pierre Bady, conseiller maître honoraire à la Cour des comptes, quittera ses fonctions prochainement. Jacques Sallois, l’ancien directeur des Musées de France, prendra la relève de cette vaste entreprise destinée à localiser les œuvres des collections nationales mises en dépôt dans les administrations et les musées. Jean-Pierre Bady commente l’actualité.

La CRDOA a été créée en 1996. Pouvez-vous en rappeler les circonstances ?
La CRDOA a été créée à la suite d’un rapport de la Cour des comptes critiquant la mauvaise gestion des collections nationales. Le Premier ministre de l’époque, Alain Juppé, a alors décidé de créer une commission spéciale chargée de lancer une grande opération de récolement général. Les autorités pensaient que le travail concernerait environ 10 000 œuvres d’art et que la tâche pourrait être accomplie en trois ans. Lorsque j’ai pris mes fonctions en 2000, j’ai mené une enquête plus précise. L’estimation, hors Manufacture nationale de Sèvres qui comprend à elle seule près de 200 000 pièces, était de l’ordre de 180 000 œuvres.

Comment ces lacunes dans la gestion des collections ont-elles été interprétées ?
Il faut distinguer le fantasme de la réalité. Le fantasme, c’est que les ministres, les hauts fonctionnaires ou les directeurs emportent des œuvres lorsqu’ils quittent leurs fonctions. Cela a pu sans doute arriver. Un cas grave a été celui d’un préfet ayant fait faire, avant son départ, une copie du mobilier pour partir avec l’original… Mais la réalité est plutôt que les règles de gestion n’ont pas toujours été appliquées. La commission a donc joué un rôle important en rappelant certaines obligations, comme celle de la tenue des inventaires. Cela pour éviter notamment ce qui s’appelle pudiquement des « glissements » : une œuvre est déplacée dans un autre bureau sans que l’administration déposante ne soit prévenue. La pièce en question peut ensuite passer à la cave, puis se retrouver chez un brocanteur, enfin chez un antiquaire. J’appellerais cela plutôt une grave négligence. Je me suis ainsi attaché à deux missions : moraliser les pratiques et les moderniser en favorisant l’informatisation des inventaires.

Le travail de la commission a aussi porté sur les œuvres de musées. Comment expliquer cette mauvaise gestion ?
Sur 100 000 œuvres des musées nationaux, environ 10 % n’ont pas été localisées. Ce chiffre est inférieur au pourcentage moyen des disparitions qui est de l’ordre de 15,4 %. Et ce sont rarement des tableaux et des sculptures qui ont disparu, mais plutôt des objets archéologiques ou ethnographiques. De plus, ce chiffre est plus faible pour les dépôts récents. Le récolement, qui auparavant était souvent occasionnel, est devenu obligatoire tous les dix ans pour l’ensemble des collections de musées, qui devraient ainsi avoir été récolées d’ici 2014. Il s’agit là d’un retour à une conception essentielle du métier de conservateur, dont la base est la tenue des collections.

En théorie, les musées nationaux ne peuvent déposer que dans des musées et pas dans des ministères. Cette règle est-elle véritablement respectée ?
Il existe très peu de cas de dépôts dans les palais nationaux mais, dans ces cas précis – et sensibles –, c’est plutôt au ministre de la Culture de rappeler les règles. J’ai été davantage préoccupé par le cas de dépôts de collections municipales dans les mairies. Lors du débat sur la loi sur les musées de France (2002), la DMF [Direction des musées de France] souhaitait que soit modifié le code des collectivités territoriales afin d’interdire ces types de dépôts. Cela n’a pas été possible, mais j’ai obtenu que la DMF envoie des recommandations afin que ces mouvements d’œuvres ne se fassent, dans les cas importants, qu’après son avis. Ce n’est pas encore entré dans les mœurs. Ce doit être une action permanente, à la fois tenace et diplomatique, celle qui m’a inspiré.

En 2003, dans un rapport, le sénateur Philippe Richert s’interrogeait : « Pourquoi l’État a-t-il le droit de perdre des œuvres et non pas de les vendre ? » Ce sujet a-t-il préludé à l’ouverture du débat sur l’aliénation des collections publiques ?
Peut-être. Mais le débat a été tranché par le rapport Rigaud en faveur du maintien des œuvres dans les collections nationales. Des hésitations pouvaient se manifester dans le cas des FRAC [Fonds régionaux d’art contemporain] compte tenu du rythme de leurs acquisitions. Pour ma part, j’avais insisté auprès de la commission Rigaud sur le fait qu’il fallait d’abord veiller à la bonne connaissance des dépôts existant avant de demander des crédits supplémentaires pour des acquisitions.

Vous avez, en effet, toujours pris soin de distiller vos informations avec une grande parcimonie…
Je suis reconnaissant à Christine Albanel [alors ministre de la Culture] d’avoir accepté de rendre public le rapport de dix ans d’activité de la commission. Mais il est vrai que, de temps à autre, j’ai donné quelques informations utiles à la presse afin de pouvoir être soutenu dans mon action.

N’avez-vous pas eu connaissance de quelques scandales ?
J’ai connu, en effet, un certain nombre de disparitions « curieuses », dont certaines sur lesquelles nous continuons d’enquêter. Mais je suis soumis à cet égard à un devoir de réserve. Il faut également nuancer les choses. Peu de chefs-d’œuvre absolus manquent à l’appel, le cas du Dominiquin du Louvre, qui a pu être retrouvé, étant le plus important [lire le JdA n° 197, 8 juillet 2004]. Il existe par ailleurs différentes catégories d’œuvres « non vues » : celles qui ont été détruites ou qui sont présumées détruites pour faits de guerre, celles qui ont été volées et celles qui n’ont pu être localisées lors des missions de récolement. Depuis 2000, nous exigeons un dépôt de plainte pour toutes les œuvres importantes qui n’ont pas été localisées, ce qui était rarement le cas avant la création de la commission. Plus de 1 000 demandes de dépôt de plainte ont été formulées, dont la presque totalité a été réellement déposée. Nous avons également innové en relançant la procédure des titres de perception, qui permettent d’obtenir des administrations le remboursement des œuvres égarées. Au total, ces titres ont été demandés pour une somme de l’ordre de 400 000 euros.

Avez-vous toujours pu compter sur l’appui des services de police ?
C’est grâce à l’OCBC [Office central de lutte contre le trafic des biens culturels] que nous avons retrouvé cette peinture du Dominiquin qui avait disparu des réserves du Musée de Toul où elle avait été déposée par le Musée du Louvre. Notre collaboration avec l’OCBC a toujours été excellente, même si nous avons été obligés de modérer nos demandes de dépôts de plainte faute de photographies. Une autre difficulté vient toutefois du fait que le procureur de la République a tendance à classer sans suite ce type de plaintes. Sur ce point, les gardes des Sceaux successifs ont été invités à donner des instructions pour que les poursuites ne soient pas systématiquement classées.

À quel horizon les travaux devraient-ils pouvoir être achevés ?
152 000 œuvres ont déjà été contrôlées, soit 85 %, ou 62 % si l’on tient compte de la Manufacture de Sèvres où il reste encore 70 % du travail à accomplir. Le Mobilier national a déjà mené 97 % de son programme. Le Fonds national d’art contemporain a encore besoin de deux années, car la plupart des œuvres à rechercher n’étaient pas documentées. Le décret de mai 2007 spécifie par ailleurs que nous sommes habilités à nous occuper des collections déposées par six autres ministères. C’est un autre grand chantier pour lequel il faudra sûrement mettre en place de nouvelles méthodes de travail. Ce n’est pas pour cela que j’ai décidé de quitter mes fonctions, mais parce que j’estime qu’au bout de neuf ans, toute institution a besoin d’un renouvellement.

La commission devait-elle pour autant être pérennisée ?
Elle doit être permanente, car trois missions lui ont été assignées : recevoir l’information sur le récolement décennal, surveiller la politique des nouveaux dépôts et, si une défaillance apparaît, pouvoir organiser des enquêtes spécifiques.

Quelles expositions vous ont marqué récemment ?
L’exposition du Louvre, « Titien, Tintoret, Véronèse, rivalités à Venise », est remarquable tout comme celle du Mobilier national sur la collection des tapisseries de Louis XIV. J’ai aussi beaucoup apprécié l’exposition du Musée de la vie romantique, consacrée aux paysages italiens, à la fois littéraire, architecturale et artistique.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°311 du 16 octobre 2009, avec le titre suivant : L'actualité vue par Jean-Pierre Bady, président de la Commission du récolement des dépôts d’œuvres d’art

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