VENISE / ITALIE
L’inondation du 6 novembre, dont a souffert Venise, figure parmi les plus importantes depuis 1900. La pire d’entre elles, en 1966, avait décidé le gouvernement à construire des digues de protection entre la mer Adriatique et la lagune. Ces catastrophes à répétition endommagent les fondations des édifices vénitiens mais portent surtout atteinte à la vie socioéconomique de la ville. Le scientifique Roberto Frassetto intervient sur la question alors que les barrières mobiles, toujours en projet, attendent une impulsion politique.
VENISE - Il y a trente ans, Roberto Frassetto, un des océanographes les plus éminents d’Italie, a commencé ses travaux afin de protéger Venise de la montée des eaux. Après dix ans de collaboration avec l’Université Columbia, il a été chargé par le gouvernement italien d’étudier la géologie, la physique, la technologie et l’environnement appliqués à la sauvegarde de Venise. Depuis 1982, il travaille sur les changements climatiques et occupe le poste de président de la Commission italienne pour le Programme international Biosphère-Géosphère.
On ne constate aucune volonté politique de mettre en place les digues mobiles recommandées par les spécialistes internationaux et qui, selon eux, sont essentielles à la protection de la ville contre les inondations. Ces barrières sont-elles vraiment indispensables ?
En 1971, nous avons lancé un premier appel auprès de tous les plus grands ingénieurs internationaux, afin qu’ils nous aident à trouver une solution pour protéger Venise des eaux. Il en est ressorti qu’une barrière mobile serait la solution la plus adaptée et la plus efficace. Trente ans après, personne n’a eu de meilleure idée, à part celle de surélever l’ensemble de la ville !
Dans ce cas, pourquoi ces barrières ne sont-elles toujours pas construites ?
Le problème dure depuis trente ans. Nous avons compris que les objections émanaient des hommes politiques. On redoute que la fermeture de ces barrières pendant 100 à 300 heures par an – une année compte 8 600 heures – n’altère l’échange d’eau de mer avec celle de la lagune et ne provoque la pollution de la lagune. Par ailleurs, les autorités portuaires se sont immédiatement opposées au projet en expliquant que la fermeture pendant 100 à 300 heures par an nuirait aux échanges maritimes. Cependant, lorsque le niveau de l’eau est très haut, le vent est de toute manière trop violent pour permettre aux bateaux d’entrer dans la lagune.
Qu’en est-il du Valli da Pesca (une ferme piscicole) installé dans la lagune et du Canale dei Petroliferi, ce canal profond creusé au siècle dernier pour permettre le passage des pétroliers ? Les écologistes affirment qu’ils contribuent largement à l’enlisement de Venise et que si leurs activités étaient limitées, voire interdites, le problème serait en grande partie résolu.
Ils se trompent. Avec les études très précises qui ont été menées et les modèles mathématiques établis, on se rend compte qu’élargir le Valli da Pesca pour permettre la circulation de l’eau, peut réduire la montée des eaux d’1 ou 2 cm, ce qui ne change rien au problème. Quant à ramener le Canale dei Petroliferi à sa profondeur antérieure, c’est absurde. On ne peut pas faire marche arrière.
Le risque à long terme se matérialise par les dégâts incessants causés aux édifices. Dans l’immédiat, c’est l’économie de la ville qui en pâtit. Chaque fois qu’une inondation se produit, cela entraîne des conséquences matérielles pour les commerçants et les personnes habitant les rez-de-chaussée. La population vénitienne s’exode et la ville compte de moins en moins d’entreprises. Lorsque je suis venu vivre ici il y a trente ans, nous étions 130 000 habitants ; aujourd’hui, nous ne sommes plus que 65 000.
Le 6 novembre, 140 cm d’eau ont submergé la ville. Existe-t-il un risque qu’une autre inondation comparable à celle de 1966, qui avait atteint 200 cm, se reproduise ?
Tout d’abord, cette inondation récente aurait pu être pire : celles de 1966 et du 6 novembre ont eu lieu pendant la marée de morte-eau, époque durant laquelle le niveau de la mer peut perdre 20 à 30 cm par rapport à la marée de printemps. Une catastrophe de l’ampleur de celle de 1966 – voire pire – peut tout à fait se reproduire dans les années à venir. Les études climatologiques, menées actuellement, montrent qu’il n’est pas possible de limiter la fréquence et l’intensité des perturbations atmosphériques ; on remarque au contraire qu’elles ont tendance à s’intensifier et que de ce fait, les inondations seront plus fréquentes au cours du siècle.
Si les barrières ne sont pas construites, les hommes politiques qui n’ont rien entrepris seront-ils considérés comme responsables de ce qui pourrait arriver dans les années à venir ?
Absolument. Ces barrières sont onéreuses, c’est évident, mais c’est le cas de toutes les mesures de protection. Les barrières qui protègent Londres, Hambourg, la Hollande et Saint-Pétersbourg ont toutes été onéreuses, et elles ont pourtant été construites. Venise est en retard.
Si les gens désirent plus de précisions, toutes ces informations sont disponibles. Cette proposition a été étudiée par une commission internationale qui a émis deux recommandations : approfondir l’étude des effets de la montée du niveau de la mer en tant que conséquence des changements climatiques au cours du siècle à venir, et développer la recherche afin de mieux prévoir les orages dus à des vents violents.
Venise peut-elle être sauvée définitivement ou faudra-t-il toujours mener des travaux ponctuels ?
On ne pourra jamais sauver Venise définitivement ; le monde est en constante évolution et l’on doit s’y adapter. Il faudra aussi gérer les problèmes relatifs à l’entretien des barrières et à la coordination de tous les systèmes de protection. Les solutions évolueront en même temps que les risques.
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Roberto Frassetto : Venise sous les eaux : « les digues sont indispensables »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°116 du 1 décembre 2000, avec le titre suivant : Roberto Frassetto : Venise sous les eaux : « les digues sont indispensables »