Difficile pour Lille d’accorder ses ambitions de capitale européenne et ses moyens : avec 182 000 habitants, cette ville moyenne est au cœur d’une conurbation de 1,1 million d’habitants et de 85 communes. À l’intérieur de cette métropole, quatre ou cinq villes ont investi dans des projets culturels majeurs dont tirent parti l’ensemble des habitants de la communauté urbaine. Bilan du morcellement : les investissements s’opèrent souvent sans concertation et les équipements se font parfois même concurrence au lieu de se compléter. Tout pourrait changer en 2002. La culture sera alors gérée par la Communauté urbaine de Lille (CUDL) aujourd’hui présidée par Pierre Mauroy. Ce transfert de compétences devrait permettre d’unifier les politiques tout en répartissant plus équitablement les coûts. L’épreuve de vérité pour cette harmonisation sera « Lille 2004 », lorsque la métropole lilloise sera capitale européenne de la culture. Didier Fusilier, responsable du comité d’organisation de « Lille 2004 » et ancien chef d’orchestre des « Inattendues » de Maubeuge, ne pourra se permettre de dissensions entre les communes partenaires.
Lille : en attendant 2004
L’ambition européenne de Lille passe par une politique de prestige parfaitement incarnée par le Palais des beaux-arts et des expositions comme “Goya” organisée dans ses murs en 1999. Ce Musée absorbe à lui seul 35 millions de francs par an, soit quasiment la totalité des crédits dévolus aux arts plastiques. Malgré sa rénovation en 1997, il souffre encore de petites imperfections : une partie de l’éclairage sophistiqué ne fonctionne pas dans le hall d’entrée, le sous-sol prend l’eau et, au premier étage, la signalétique est à revoir. Dans l’ensemble toutefois, le conservateur, Arnauld Brejon de Lavergnée, est plutôt satisfait des travaux qu’il a lui-même supervisés. Son inquiétude porte plutôt sur les moyens de fonctionnement, notamment pour les acquisitions et les rénovations. Certes, il vient d’enrichir ses collections d’un buste de Pajou, et quatre tapisseries ont été récemment rénovées grâce au mécénat du Crédit du Nord... Mais, même s’il ne l’avoue pas, le conservateur a un peu l’air à l’étroit dans son budget.
La solution pourrait venir, en 2002, d’un transfert de compétences de la ville à la CUDL. Pourtant, Jackie Buffin, l’actuelle adjointe à la culture du maire de Lille, semble réticente. La Ville de Lille acceptera-t-elle de perdre son pouvoir sur le prestigieux musée ? Dans l’entourage du Palais des beaux-arts, on souligne que l’adjointe ne sera pas réélue en mars, puisqu’elle n’est pas présente sur la liste de Martine Aubry. Le transfert de compétences à la CUDL permettrait également d’harmoniser les objectifs des grands équipements de la métropole et d’éviter, par exemple, la concurrence que se livrent le Palais des beaux-arts de Lille et le Musée d’art moderne de Villeneuve-d’Ascq. Si le premier expose quelques pièces d’art moderne, les deux institutions viennent d’acquérir simultanément des toiles du nordiste Eugène Leroy décédé récemment. L’arrivée possible à Lille d’une annexe du Musée national d’art moderne risque encore d’aggraver la situation. Il serait grand temps de s’entendre.
Du côté de l’opposition municipale, Loïc Lesserre, chargé par Christian Decocq, adversaire RPR de Martine Aubry, des questions culturelles, dénonce la politique du “tout prestige” : “Pour conserver une diffusion de qualité, la Ville a sacrifié la création et l’enseignement. Elle a fermé son école des beaux-arts. La bibliothèque municipale n’est pas à la hauteur et on laisse mourir les associations où bouillonne l’art contemporain. La politique culturelle de la Ville est laissée à des ‘danseuses’ représentantes de la grande bourgeoisie.” Ce discours est surprenant de la part d’un conseiller municipal RPR qui déplore d’ailleurs que la droite abandonne à la gauche le terrain du débat culturel. De son côté, Jackie Buffin répond qu’elle ne “veut pas travailler avec des associations trop peu professionnelles”. “Entre nous, je me demande si le problème ne vient pas du manque d’artistes de qualité dans la métropole”, renchérit l’adjointe pour expliquer la faible part réservée à la création contemporaine. Nul ne sait pourtant si son possible successeur sur la liste de Martine Aubry, Catherine Cullen, aura à cœur de développer la part des budgets dévolus aux arts plastiques.
Villeneuve-d’Ascq : un musée à bon compte
Villeneuve-d’Ascq possède un équipement culturel majeur... qui ne lui coûte quasiment rien. Les seize millions de budget du Musée d’art moderne sont essentiellement financés par la CUDL. Mieux encore, l’institution est en pleine expansion. Elle vient de recevoir en donation la collection d’Art brut de l’Aracine, anciennement basée à Neuilly-sur-Marne. Cet ensemble, débuté après le départ du fonds Dubuffet vers Lausanne, est unique en France. Reste qu’elle doit trouver sa place dans le Musée d’art moderne, même si une extension de 2 000 mètres carrés est prévue pour 2006. Elle permettra de présenter les deux collections avec une plus grande cohérence. Le principal souci de l’institution reste aujourd’hui son accessibilité. Il ne faut qu’une heure pour effectuer le trajet Paris-Lille en TGV. Mais, faute de transports en commun adaptés, il faut autant de temps le week-end pour parcourir les quelques kilomètres qui séparent la gare TGV du musée. Avec “Lille 2004”, Villeneuve-d’Ascq espère un service de navettes qui permettra de relier la gare de Lille à son musée, en attendant l’hypothétique ouverture d’une station de métro.
Tourcoing : une école contestée
De son côté, Tourcoing a fait le choix de la création avec “Le Fresnoy, Studio national des arts contemporains”. Cependant, depuis son ouverture en 1997, l’équipement est controversé. On lui reproche ses 26 millions de budget et son manque d’ouverture vers le public. La direction du Fresnoy répond qu’elle est une école et n’a donc pas pour première ambition d’accueillir du public. Le Fresnoy accueille 21 étudiants en première année et 17 en seconde. Côté public, un certain nombre d’expositions sont organisées, mais elles sont “d’abord orientées vers le projet pédagogique des étudiants”. La presse locale n’est pas non plus très tendre avec Le Fresnoy. Seule l’architecture du bâtiment, œuvre de Bernard Tschumi, semble remporter un certain succès.
Roubaix : une commune qui bouge
Malgré les efforts de Tourcoing, la création contemporaine est plutôt l’apanage de Roubaix. Pourtant, cette dernière est l’une des villes les plus pauvres de France et son budget est grevé par d’importantes dépenses sociales incompressibles. La ville s’affirme néanmoins comme le creuset du bouillonnement artistique de la métropole lilloise. Une partie de l’explication est économique : l’immobilier est peu cher et abondant. Les usines textiles fermées fournissent d’immenses surfaces. Alors, au fil du temps, Roubaix est devenue à la mode. Architectes, plasticiens, vidéastes ou créateurs multimédias s’y rassemblent. Il se crée ainsi de véritables pôles soutenus habilement par la mairie. Le principal argument de Jean-François Boudaillez, adjoint au maire de Roubaix chargé de la culture, se présente sous la forme d’un slogan : “à Roubaix, vous comptez vraiment”. Les subventions ne sont pas plus importantes qu’ailleurs, mais la Ville est plus à l’écoute, plus présente. Une ancienne usine textile, “le Conditionnement”, devrait être rénovée pour accueillir de nouvelles associations. Enfin, la Ville inaugurera cette année son Musée d’art et d’industrie. Bâti sur une friche industrielle et une ancienne piscine des années 1930, ce musée présentera une collection moitié beaux-arts, moitié textile. Le fonds, qui est ancien, a pour point de départ la volonté des industriels du textile de Roubaix de former leur main-d’œuvre aux beaux-arts afin d’améliorer la créativité de leurs productions. La commune va également bientôt accueillir l’Espace Croisé. Ce centre d’art contemporain créé en 1995 a proposé durant quatre ans un programme d’expositions – surtout de vidéos, photographies, films expérimentaux, documentaires – dans un espace situé dans le complexe d’Euralille (lire JdA n° 80, 2 avril 1999). Il s’installe, à partir du 12 mai, sur la Grand Place de Roubaix avec deux expositions consacrées, jusqu’au 13 juillet, aux travaux de Véronique Ellena et de Laurent Grasso.
Bientôt le transfert de compétences
En définitive, la métropole lilloise est riche d’équipements culturels variés. Avec le transfert de compétences à la communauté de communes en 2002, cette politique pourrait gagner en cohérence. On se prend même à rêver d’une entente avec la Belgique, le Kent et le Luxembourg, qui permettrait de former un “euro-pôle” culturel... Mais le chemin est encore bien long.
Inachevé à la suite de la crise immobilière des années 1995-1998, le projet Euralille est de nouveau en plein essor. La livraison d’une nouvelle tranche, baptisée Cité des affaires, est prévue pour fin 2002. Euralille s’étend sur 90 hectares en plein centre de Lille, terrains préservés depuis Vauban. Ils formaient un glacis censé protéger les remparts de la cité. Caprice de l’histoire, cette zone avait conservé, depuis, son classement non aedificanti. Il fallut attendre la fin des années 1980 pour leur trouver une utilité. Pierre Mauroy décide alors d’y faire bâtir un nouveau quartier symbole du virage tertiaire de Lille. Le projet a été confié à Rem Koolhaas. Baptisé Euralille, il a été le fer de lance de la campagne de Pierre Mauroy lors des élections municipales de 1989 et 1995. Un des plus vastes chantiers d’Europe a alors été engagé, mais la crise a contraint la Ville à revoir ses ambitions à la baisse. Seule une partie des aménagements prévus au départ est aujourd’hui réalisée.
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La métropole lilloise reste en quête d’harmonie
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°122 du 2 mars 2001, avec le titre suivant : La métropole lilloise reste en quête d’harmonie