Euralille

Euravenir en demi-teinte

Par Sophie Trelcat · Le Journal des Arts

Le 2 septembre 2014 - 757 mots

LAN architecture a livré une tour bien intégrée au cœur des grandes infrastructures lilloises, mais dont les espaces intérieurs ont été peu pensés.

LILLE - Lancé en 1988, le nouveau quartier d’affaires Euralille plaçait la ville dans un réseau de territoires connectés internationalement. Conçue par le Hollandais Rem Koolhaas, l’opération avait été rendue possible grâce à Pierre Mauroy, maire de Lille et alors Premier ministre, qui était parvenu à faire entériner en 1983 la décision de faire passer le TGV en plein centre de la ville… Et l’architecte batave d’en faire un spectacle. Vingt-six ans après le lancement de ce faramineux chantier, où aujourd’hui des tours enjambent une nouvelle gare au cœur d’un nœud de circulations, c’est un projet modeste qui vient en clore la première phase. Ce dernier est édifié sur une petite parcelle résiduelle, la dernière qui était restée libre, au carrefour des grands axes de ce nouveau morceau de ville.

Intégration aux axes urbains
Visant à créer un bâtiment à même de suturer les différentes échelles du site, les architectes Benoît Jallon et Umberto Napolino, lauréats du concours en 2010, ont ciselé un volume virtuel épousant les limites de la parcelle selon un jeu de prolongements et d’entrecroisements des axes de circulation à l’intérieur de cette dernière. Il en résulte une petite tour, extrudée sur ses deux derniers niveaux, posée sur un socle et qui se raccorde impeccablement au bâti alentours. Cette géométrie facettée, qu’accentuent des façades différentes, vitrées sur toute la hauteur ou habillées de lames de cuivre pleines ou poreuses en panneaux perforés, permet des cadrages à 360° sur la ville. Par ailleurs, l’organisation des étages (variant de 115 à 650 m2) autour d’un noyau central rend possible le fractionnement de ces derniers en deux surfaces équivalentes. Incontestablement, en tant que signal urbain le bâtiment est une réussite : il parachève avec élégance le viaduc Le Corbusier, forme l’angle manquant de la place Valladolid et est un repère remarqué depuis le périphérique en contrebas. Le traitement intérieur n’a malheureusement pas été l’objet du même engagement, et la non-proposition des architectes – lesquels n’ont d’ailleurs diffusé aucune photo tant des espaces commerciaux et d’accueil en rez-de-chaussée que des plateaux de bureaux supérieurs – laisse dubitatif.

Questions sans réponses
Crée en 2002 par Benoît Jallon et Umberto Napolitano, l’agence LAN, acronyme de Local Architecture Network, s’est fait connaître dans la profession avec la réalisation du Centre d’archives EDF à Bure en 2008, un monolithe de béton couleur terre parsemé de petits miroirs réfléchissants. Le duo, revendiquant sans complexe être « un acteur engagé dans le débat disciplinaire international », déclarait lors d’une conférence au Pavillon de l’Arsenal de Paris en 2011 : « Ce qu’on aime faire à l’agence en général, c’est requestionner le cœur du projet, le programme. On est convaincu que l’architecture est une question bien posée plutôt qu’une réponse ». Énoncée avec un aplomb sans faille, cette lapalissade architecturale trouve dangereusement crédit auprès d’un certain public et les concepteurs parviennent ainsi à se faire légitimer sans fondement tangible. Quoi qu’il en soit, pour l’édification d’Euravenir, LAN n’a en rien questionné le programme de bureau : il leur avait été certes commandé de grands plateaux libres qui, tels quels, ont l’avantage d’offrir de superbes cadrages sur le paysage urbain, mais qu’en adviendra-t-il au moment de l’occupation future des lieux par diverses sociétés ? Il est inéluctable que ces grandes surfaces de bureaux seront amenées à être cloisonnées par les utilisateurs. Quelle sera alors la qualité spatiale une fois les niveaux divisés? Certaines pièces risquent d’être contenues entre des parois et des façades habillées de résilles de cuivre. Quelle en sera la qualité lumineuse ? Avec cette prétention à repenser le programme, il aurait été bienvenu que les architectes intègrent à leur projet des propositions structurelles et spatiales pour d’éventuelles divisions des étages en sous-espaces. Sur cette question des configurations possibles des plateaux après livraison, LAN s’est montré non concerné. Déclarant il y a peu : « L’architecture n’est pas, par elle-même, sa propre fin ; elle se situe plutôt au début d’un quelque chose, elle initie une histoire personnelle entre un bâtiment, celui qui l’a dessiné et celui qui l’habite », ces grands théoriciens de l’architecture viennent d’être lauréats du concours pour la restauration du Grand Palais à Paris. On se permet de souhaiter qu’ils développent cette fois-ci autre chose qu’une belle enveloppe.

Fiche technique

Maître d’ouvrage : Sogeprom ; Projectim
Maître d’œuvre : Lan architecture, Benoît Jallon et Umberto Napolitano
Superficie : 3 486 m2
Budget : 5,9 M € HT
Livraison : 2014

Légende photo

LAN Architecture, Tour Euravenir, Lille. © Photo : Julien Lanoo.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°418 du 5 septembre 2014, avec le titre suivant : Euravenir en demi-teinte

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