Le Barbican Centre déroule en mots et en images la multitude de projets conçus ou réalisés depuis 1975 par l’Office for Metropolitan Architecture.
LONDRES - Peut-on exposer l’architecture ? Tout architecte qui décide de montrer son travail se pose la question. Rem Koolhaas, 67 ans, star de l’architecture globalisée avec son agence « Office for Metropolitan Architecture » (OMA), fondée en 1975, a trouvé la solution : il délègue. Le maître d’œuvre néerlandais a, en effet, laissé le soin au collectif bruxellois Rotor de monter le parcours et la scénographie de cette exposition déployée au Barbican Centre, à Londres, et intitulée « OMA/Progress ». Rotor a eu carte blanche pour puiser directement les « matériaux » de cette présentation dans les archives de l’agence, « des matériaux qui montrent l’architecture comme un processus, malléable aux détails de chaque projet ». Le portrait qui est ici dressé de cette structure tentaculaire dans son domaine – 7 partenaires et quelque 280 architectes, designers et chercheurs – est des plus fouillés.
Pour planter le décor, il y a le verbe et l’image. D’immenses posters montrent différentes phases de chantiers actuels ou livrés, du terrassement (le nouveau campus du Chu Hai College, à Hongkong) au bâtiment achevé (la tour CCTV, à Pékin) en passant par le projet en construction (l’édifice De Rotterdam, à Rotterdam). Plus étonnant, un immense écran incliné projette « en temps réel » chaque nouveau croquis, nouvelles perspectives ou photographies qui, de n’importe quelle filiale de la planète – outre sa base rotterdamoise, OMA est aujourd’hui présente à Pékin, Hongkong et New York –, intègre la base de données centrale de la firme. Le flux est incessant, sinon ahurissant. En regard, des mots prennent le relais. Sont ainsi exhibés à dessein quelques vocables clés représentatifs des préoccupations actuelles de OMA, tels « conservation », « marché », « religion », « modernisme », « vie privée », « controverse, « monde de l’art »… Parfois des phrases complètes illustrent sa philosophie, telle cette sentence fameuse de l’écrivain anglais Joseph Conrad (La Ligne d’ombre, 1917) : « L’expérience signifie toujours quelque chose de désagréable par opposition au charme et à l’innocence des illusions. » En clair : l’architecture d’OMA ne goûte guère la mièvrerie. La multitude de projets, conceptuels, achevés ou non construits ici décortiqués en font l’éclatante démonstration, convoquant pour l’occasion force médias : texte, maquette, plan d’urbanisme ou collage, photographie et autre animation en 3D, prototype de mobilier ou échantillon de matériau, etc.
Le « gène de l’utopie »
Sur deux niveaux et dans une multitude de salles/séquences, le visiteur déambule au cœur de l’agence, de sa chronologie et de sa pratique quotidienne. Ainsi, la maquette du nouveau siège de la branche anglaise de la banque Rothschild, à Londres (inauguré en décembre), montre la subtilité avec laquelle Koolhaas s’empare du patrimoine existant, s’incrustant délicatement dans la parcelle sans « avaler » la petite église St. Stephen toute proche.
Autre rêve qui hante l’architecte batave : la réversibilité. Sur un mur, la photographie d’un Rubik’s Cube est griffonnée d’un mot, « Optioneering » (« plusieurs options possibles »). Sans doute ce cube fameux a-t-il présidé à l’élaboration de ce pavillon « transformiste » élaboré pour le couturier Prada : une vidéo montre cet étrange tétraèdre qui peut à l’envi être installé sur l’une de ses quatre faces et proposer, au sol, selon son utilisation, un plan en forme de croix, de cercle, de rectangle ou d’hexagone. Bref, quatre bâtiments en un : on est proche du tour de magie. « Chaque architecte porte [en lui] le gène de l’utopie », résume Koolhaas. Y compris lorsqu’il manie non plus les concepts mais les matériaux, dont la recherche est virtuose, sinon exceptionnelle. À l’instar de ce prototype de tube de verre destiné à un futur édifice pour la municipalité de Rotterdam, lequel arborera une façade constituée uniquement de tubes de verre hauts de huit mètres. Ou de cette peau en aluminium pour le bâtiment de la Broad Art Foundation, à Los Angeles (concours perdu en 2010), dont l’aspect gondolé était obtenu par… une explosion sous-marine contrôlée.
Au fil du parcours, on comprend que la recherche est non seulement permanente, mais tous azimuts, autant théorique que pratique. « Dieu est dans les détails », avait coutume de dire l’architecte allemand Mies Van der Rohe. C’est l’essence même de l’architecture qui est ici, sous nos yeux, disséquée. Comme si de rien n’était.
Commissaire invité de l’exposition et scénographe : Rotor, collectif bruxellois composé de Tristan Boniver, Lionel Devlieger, Michael Ghyoot, Maarten Gielen, Benjamin Lasserre et Melanie Tamm
Nombre de pièces : plus de 450
Jusqu’au 19 février, Barbican Art Gallery, Barbican Centre, Silk Street, Londres, lun.-vend.-sam.-dim. 11h-20h, mar.-mer. 11h-18h, jeu. 11h-20h, www.barbican.org.uk
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L’architecture selon Rem Koolhaas
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°361 du 20 janvier 2012, avec le titre suivant : L’architecture selon Rem Koolhaas