Quel Paris pour la culture ? À quelques semaines des élections, nous avons interrogé les candidats à la mairie de Paris sur leurs ambitions culturelles. Budget, rénovation des musées, créations d’ateliers, carte culture et commandes publiques sont autant de sujets repris par nos quatre prétendants. Revue des promesses à tenir avant 2007.
“Sait-on assez que la Ville de Paris consacre chaque année plus d’un milliard de francs à la culture, dont près de 500 millions vont à des projets culturels associatifs ? Paris est certainement la ville de France qui bénéficie du plus d’investissement public dans le domaine de la culture.” Visiblement, les candidats à la succession de Jean Tiberi (Ensemble pour Paris) n’ont pas entendu le satisfecit de ce dernier. Si Philippe Séguin (RPR-UDF-DL) se garde bien d’envisager une augmentation du budget, se contentant d’une redistribution, Yves Contassot (Verts) et Bertrand Delanoë (PS-PC-MDC-MRG) comptent bien revoir celui-ci à la hausse. “Actuellement, le budget de la culture (hors dépenses de personnel) s’élève à 850 millions de francs. Nous proposons d’augmenter progressivement ce budget au cours de la mandature pour parvenir à son doublement au bout de six ans. Le budget affecté aux arts plastiques s’inscrira dans une telle évolution”, promet ce dernier. La tête de liste des Verts souhaite, pour sa part, que la proportion réservée à la culture soit au “minimum équivalente à celle de nombreuses villes de province, alors que, selon estimation, elle est actuellement de moitié inférieure. Notre objectif final est de doubler l’offre culturelle”. Au-delà des comparaisons chiffrées, Yves Contassot est beaucoup plus véhément à l’égard de la politique de Jean Tiberi que Bertrand Delanoë : “Il n’y a pas actuellement de politique culturelle digne de ce nom à Paris, celle-ci a surtout consisté à essayer de se calquer sur ce que faisait l’État. En la matière, tout est à construire. Cela est vrai sur le plan de la proximité mais aussi dans des domaines plus institutionnels.” Autant de terrains où le rôle de l’État dans la capitale est prédominant.
Une omniprésence soulignée par Philippe Séguin dans le cas du Grand Palais : “Si la restauration et la restructuration du Musée du Petit Palais sont certainement une bonne chose, je m’inquiète du sort du Grand Palais, bien qu’il ne soit pas du ressort de la Ville puisque c’est l’État qui en est le gestionnaire. Le maire d’une ville comme Paris ne peut pas se désintéresser de ce lieu qui a trop montré par le passé le rôle qu’il pouvait jouer, comme pôle alternatif à l’activité des musées (Fiac, Salons, etc...) du centre de Paris. Il faudra donc que le Petit Palais puisse disposer d’un environnement dont la synergie devrait profiter aux deux bâtiments qui se font face, et je m’y emploierai activement.”
Des musées à rénover
Musée des beaux-arts de la Ville, le Petit Palais a été le principal bénéficiaire des attentions de la municipalité depuis 1995. Une restauration de 400 millions de francs est programmée, dont seule la première tranche de 50 millions a été débloquée, et qui devra dans les années à venir s’accompagner d’autres chantiers. “Après la rénovation du Petit Palais, le Musée Cernuschi et le Musée d’art moderne sont mes deux priorités en matière de rénovation des musées”, nous a déclaré Jean Tiberi. C’est dans cette optique que Philippe Séguin envisage “un ‘plan-musées’ au titre duquel le Musée Cernuschi, qui attend un bâtiment restauré et adapté à la mise en valeur de sa grande collection d’art et d’archéologie de la Chine, devrait trouver sa place. Le mécénat sera étroitement sollicité pour contribuer à cette politique de soutien en faveur des musées et de leur promotion. C’est tout le sens de la Fondation de Paris, que, sur l’idée d’Édouard Balladur, nous entendons mettre en place”. Les méthodes divergent, mais Bertrand Delanoë s’accorde sur la nécessité de ces travaux : “Ces musées font partie des lieux phares de la ville, ils participent à l’image de Paris. Suivant l’état des lieux, on peut engager une rénovation globale ou partielle sur des espaces déterminés, mais cela impliquera un engagement financier dont on souhaite qu’il soit réparti sur l’ensemble de la mandature, en reposant sur un partenariat Ville/État/Région.”
L’État sera-t-il prêt à soutenir une rénovation du Musée d’art moderne de la Ville de Paris (MAMVdP), voisin du site de création contemporaine, soutenu par le ministère de la Culture dont l’inauguration est prévue pour l’automne ? Une ouverture qui pour Bertrand Delanoë ne “remet pas en cause l’activité de l’Arc [NDLR : département contemporain du MAMVdP]. Madame Suzanne Pagé, à travers l’Arc, réalise depuis longtemps un travail considérable et reconnu pour mettre en valeur les jeunes artistes plasticiens. En revanche, il est souhaitable qu’une synergie s’établisse entre le Centre de la jeune création, le Musée d’art moderne et l’Arc. Comme sur d’autres actions culturelles, je souhaite intensifier le dialogue et la coopération avec l’État.” À droite, les activités du MAMVdP sont également louées. “À l’heure où le Musée d’art moderne doit faire face à l’arrivée du Centre de la jeune création, il faut lui donner les moyens d’utiliser son auditorium, lui permettre de disposer de locaux rénovés, climatisés, d’autant que le bâtiment est exceptionnellement adapté à une activité muséographique”, juge Philippe Séguin, tout en regrettant que le Centre de la jeune création “soit envisagé dans un quartier déjà suréquipé”. “Toutefois, ce projet ne remet pas en cause, selon moi, le travail mené par l’Arc depuis tant d’années. Lorsque vous observez ce qui se passe en ce moment à Paris, vous vous rendez compte qu’il existe dans notre capitale, comme dans d’autres métropoles, de multiples initiatives en faveur de l’art contemporain. On ne peut que se réjouir de ces offres culturelles. Mais pour qu’elles soient de qualité et qu’elles répondent aussi à des objectifs d’intérêt général, il est indispensable que chaque institution adopte une orientation qui lui est propre, une ‘identité’ reconnaissable. Celle du Musée d’art moderne est plus que cela ; elle est reconnue. Et c’est justement grâce à exploitation intelligente de ses collections que le Musée d’art moderne a pu proposer un ‘choix alternatif’ au public avec l’Arc qui a montré, depuis 1966, l’actualité artistique internationale. Le mécénat a conforté certaines actions du musée : il faut que le musée puisse en profiter plus directement. En outre, certaines expositions présentées s’apparentent plus à des ‘productions’ car les artistes n’ont pas souvent les moyens de développer leurs propres projets. Il faudra les encourager. Ces mesures devraient en fin de compte permettre à l’Arc de cultiver encore sa différence”, se félicite le candidat officiel de l’opposition nationale. Un optimisme serein qui est aussi celui du maire sortant et candidat dissident : “À ce sujet, j’avais écrit à Madame Trautmann, alors ministre de la Culture, qu’il eût été sans doute préférable de choisir un autre endroit pour implanter le Centre de la jeune création, afin d’irriguer Paris avec la création contemporaine : dans l’Est de la capitale par exemple. En tout état de cause, l’Arc continue sa programmation, qui sera très dense en 2001. En conséquence, la création du centre ne remet aucunement en cause l’activité de l’Arc, sinon pour créer une saine émulation.”
Développer l’aide à la création
Au final, tous les candidats à la mairie de Paris semblent vouer un intérêt indéniable à l’art contemporain, jusqu’à Philippe Séguin qui confesse être en possession de “quelques pièces remarquables offertes par des amis comme César ou Bernar Venet”. Peu soutenue par les collectivités territoriales françaises, la création contemporaine semble devenir un enjeu de communication essentiel à l’approche des élections. La multiplication récente des squats a pourtant “révélé l’insuffisance d’espaces de création”, comme le note Bertrand Delanoë, un fait que même Jean Tiberi concède. Il se dit toutefois choqué par ces installations illégales : “Paris, je le reconnais volontiers, manque encore d’ateliers à loyers modérés. Cela ne justifie pas pour autant à mes yeux les occupations sauvages d’immeubles qui engendrent beaucoup de nuisances et sont vécues de façon traumatisante par le voisinage.” Philippe Séguin est, lui, beaucoup plus conciliant, estimant “que des formules de ‘médiation’ devront être trouvées en liaison avec les propriétaires et les artistes”. Une solution également retenue par Yves Contassot, indéniablement proche des revendications des squatters : “Les jeunes artistes, plasticiens ou autres, n’ont plus de lieux de création. En visitant des squats d’artiste, que cela soit à Nation, rue Blanche ou aux Frigos, on voit bien que le besoin est gigantesque. Notre objectif est d’essayer de mettre en place des baux de confiance sur tous les immeubles vides qui s’y prêtent et sont laissés sans projets immobiliers à court terme, comme cela a été fait à Zurich. La Ville doit jouer un rôle pionnier dans la matière, mais aussi de médiation lorsqu’il s’agit de propriétés privées.” Une situation qui ne saurait toutefois être que temporaire dans l’attente de nouveaux ateliers. Jean Tiberi rappelle ses actions, dont une ancienne forge réhabilitée dans le bas Belleville en lieu de travail et d’exposition, et une “nouvelle villa Médicis” dans l’ancien couvent des Récollets du Xe arrondissement. Un projet, là aussi repris par Philippe Séguin, fort du ralliement de nombre des têtes pensantes de l’ancienne équipe municipale.
Vers une carte orange de la culture ?
Proposant l’accès gratuit aux collections permanentes des Musées de la Ville, Bertrand Delanoë a initié l’idée d’une “carte culture qui pourra s’ouvrir à tous les équipements culturels qui le souhaiteront, qu’ils soient municipaux, régionaux, nationaux ou privés : grâce aux partenariats et conventionnements mis en place avec ces établissements, la carte culture permettra à ses titulaires de bénéficier de réductions sur les spectacles et expositions, mais aussi de participer à des activités amateurs au sein de ces lieux, ou encore d’accéder de manière prioritaire à certaines manifestations ou événements culturels”. Cette initiative populaire semble avoir suscité des vocations, à l’image de Philippe Séguin et Jean Tiberi qui affirment désormais étudier une offre similaire. Les écologistes souhaitent une carte gratuite pour les plus démunis, ils conçoivent également la création de cette mesure dans le cadre d’un partenariat avec la RATP, “une façon de favoriser l’accessibilité à travers les transports en commun pour éviter le recours aux automobiles”. “Il ne s’agit pas d’avoir une politique de générosité contradictoire avec la capacité à acquérir des œuvres”, modère Yves Contassot.
D’acquisitions en commandes publiques
“Nous nous sommes prononcés pour relancer la commande publique et pour que les musées soient à la pointe dans leur domaine. Mais il faut une accessibilité du public plus grande aux musées de la ville et aux activités culturelles en général”, ajoute le candidat des Verts. La volonté de Bertrand Delanoë est similaire, celui-ci jugeant sans ambages que “l’absence d’une politique d’achat ciblée a été préjudiciable à l’enrichissement des collections. Cela a limité les possibilités d’échanges pour organiser des expositions, ce qui nuit au rayonnement international des musées”. Interrogé sur ces manques, Jean Tiberi préfère parler lui d’une “originalité par rapport aux musées nationaux”. “Le fait de ne pas vivre sur un acquis nous oblige à nous renouveler, à faire preuve d’imagination et d’ouverture. En revanche, il existe des secteurs où la Ville a vocation, en parfaite complémentarité avec l’État, à entretenir, enrichir et présenter son patrimoine. Pensons en particulier à tout ce qui concerne l’histoire de Paris, avec les collections du Musée Carnavalet, de la Commission du vieux Paris ou de la Bibliothèque historique.” Une opinion discutée par Philippe Séguin ; il préconise d’”associer à l’effort les galeries parisiennes, qui sont une composante du champ de l’art” et juge les processus d’acquisition actuels “à la fois trop complexes et sclérosants. Il faudra les décentraliser en privilégiant le niveau de l’établissement”.
Autre voie d’enrichissement du patrimoine, la commande publique a redémarré à l’approche des élections, et Jean Tiberi dévoile aujourd’hui quatre projets en cours d’installation dont un aménagement porte Maillot et l’installation, rue de Chalon, d’un manège conçu par Alain Bublex. Pour tous les candidats, une telle action doit être soutenue. “Pour redonner à la municipalité un rôle réel dans le nouvel élan culturel, la commande publique sera réactivée, et notamment sur la base d’un respect réel du 1 % culturel. Je rappelle que selon la loi, c’est le seuil minimal qui doit être affecté par la municipalité à la création artistique sur la part de ces engagements dans les constructions et aménagements publics de la Ville”, tempête Bertrand Delanoë. Ce minimum est aussi celui de l’ancien maire d’Épinal : “Pour ma part, j’envisagerai, comme cela existe déjà en matière de construction d’édifices publics, de consacrer un pourcentage à des commandes publiques pour ces opérations. Et sur ce point, la fonction de l’artiste ne sera pas forcément de concevoir des œuvres pérennes : on voit souvent qu’il s’investit dans une relation avec son quartier. On peut donc bien imaginer que son travail consiste à produire des événements d’un autre type, plastiques ou autres.” Une préoccupation environnementale évidemment revendiquée par les Verts qui entendent multiplier les installations d’œuvres dans les “lieux où il n’y a pas d’accès facile à la culture comme des cours d’immeubles sociaux. Les gens qui sont en difficulté dégraderaient moins facilement des lieux de qualité si eux-mêmes vivaient dans des environnements de qualité. L’art est un bon moyen de tisser des passerelles entre des milieux a priori dissemblables”, conclut Yves Contassot. À l’approche des élections municipales, l’art semble aussi être un bon moyen de mettre tout le monde d’accord.
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La capitale profitera-t-elle d’une alternance culturelle ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°122 du 2 mars 2001, avec le titre suivant : La capitale profitera-t-elle d’une alternance culturelle ?