Marseille se cherche encore

Malgré ses chantiers, la ville ne s’enflamme pas

Le Journal des Arts

Le 2 mars 2001 - 1173 mots

Presque assuré d’être réélu, Jean-Claude Gaudin, maire DL associé au RPR Renaud Muselier, donne de grandes fêtes populaires, continue la réhabilitation des musées et investit dans des équipements consacrés aux arts vivants, aux cultures méditerranéennes et à la science. Faute de réelle considération, les artistes poursuivent une route parallèle.

Donné gagnant dans tous les sondages, Jean-Claude Gaudin brigue un second mandat en se présentant comme le “Monsieur plus” de Marseille. Son slogan, “Toujours plus grand”, s’étale en lettres orange sur toutes les affiches. “Les six années qui viennent de s’écouler étaient notre mise en route. La municipalité tourne désormais à plein régime et nous voulons atteindre des objectifs plus ambitieux en lançant douze projets majeurs pour la ville”, affirme-t-on au comité de campagne installé sur la Canebière. Le projet culturel, intitulé “Toujours plus de passion”, prend la forme d’un catalogue d’où émergent principalement de nouvelles réalisations, au détriment d’une véritable politique réfléchie en faveur des artistes et des créateurs. Cet esprit bâtisseur marque déjà l’actuelle mandature. Entre 1995 et 2000, le budget de fonctionnement de la culture est resté globalement stable (de 217 millions de francs à 244 millions), pendant que le budget global de la Ville s’envolait de 7 224 millions de francs à 11 430 millions. En revanche, 600 millions de francs d’investissement ont été engagés en six ans dans des équipements d’envergure, comme la bibliothèque à vocation régionale sur l’emplacement de l’ancien Alcazar, la Cité des arts de la rue dans les quartiers nord ou la réhabilitation de la Friche Belle de Mai destinée notamment aux Archives et au Centre de restauration du patrimoine. Pour René Olmeta, tête de liste de la gauche plurielle aux élections municipales, “ces grands projets, dont Gaudin s’enorgueillit, ont été lancés à l’époque de Robert Vigouroux, maire de 1986 à 1995”. En attendant les inaugurations qui vont se succéder dans les deux prochaines années, Ivane Eymieu, actuelle adjointe à la culture qui ne sera pas reconduite dans ses fonctions, n’a pas fait preuve d’un grand dynamisme. Aucune nouvelle tête, équipe artistique ou aucun projet novateur n’ont été soutenus ou mis en place sur son initiative et les responsables culturels en poste ont géré l’acquis avec plus ou moins de talent.

Défilé de fêtes populaires
Finalement, c’est sur le Vieux-Port que la mairie a affiché, avec une belle réussite, ses ambitions culturelles. Pour le passage au 3e millénaire, Serge Botey, conseiller municipal délégué aux festivités, a multiplié les illuminations et les embrasements dans une ambiance de bodega géante métissée de toutes les influences musicales. Le public en redemande. “On brouille l’image entre culture et festivités. On est passé d’une municipalité leader et locomotive à une municipalité suiviste et simple gestionnaire, du bouillonnement au ronron”, réplique l’équipe de René Olmeta. Malgré tout, Serge Botey est bien placé pour succéder à Ivane Eymieu. Aura-t-il en plus la charge des musées ? Pour l’instant, Roger Luccioni, actuel adjoint responsable de cette délégation, continue sa gestion débonnaire. Contrebassiste à ses heures, sa passion pour la musique l’a conduit à organiser des concerts classiques et swing au milieu des expositions. Il est aussi à l’origine du festival Marseille Jazz Transfert devenu Jazz des Cinq Continents et organisé fin juillet dans les jardins du Palais Longchamp. Ce bâtiment un rien baroque, au cœur d’un des plus beaux parcs marseillais, est l’objet des dernières ambitions municipales : “À l’instar du Grand Louvre, il sera le grand lieu de la capitale culturelle des sud.” Galeries souterraines conduisant les visiteurs jusqu’à un aquarium géant, Musée de l’eau, Centre de la culture scientifique, auditorium pour une future Maison de la danse et de la musique devraient compléter d’importants travaux de réhabilitation. Le Musée des beaux-arts et Muséum d’histoire naturelle, déjà installés dans le Palais Longchamp, seront rénovés et agrandis. Cette première phase d’aménagement prolonge un programme de restauration concrétisée par la remise à neuf du Musée Cantini, dévoué à l’art moderne, et du Mac, destiné à l’art contemporain. Excentré dans le quartier Bonneveine proche des plages, ce musée souffre d’un manque d’identité comme l’atteste sa faible fréquentation depuis son ouverture en 1994. Seules les rétrospectives “Ben, pour ou contre” (12 000 visiteurs en 1995) et “Baquié” (11 000 entrées en 1998) ont attiré un large public guidé sur son passage par le Pouce de César, fierté d’un rond-point tout proche. La polémique sur l’abandon d’un lieu entièrement dédié au sculpteur marseillais bruisse encore, la gauche accusant la droite d’avoir fait échouer la donation de 200 œuvres en faveur de Marseille.

Des Papous à Andy Warhol
Malgré tout, la nomination d’un nouveau conservateur au Mac, Nathalie Ergino, devrait permettre de relancer l’intérêt pour l’art du XXe siècle. “L’exposition autour de Gilles Barbier, artiste marseillais reconnu, sera le temps fort de l’été”, confirme Danielle Giraudy, directrice des Musées de Marseille et spécialiste de Picasso. Elle rêve d’ailleurs de faire venir plus tard certaines pièces majeures du grand maître espagnol. “Mais les grandes expositions coûtent cher”, précise-t-elle. Comme l’Opéra, les quatorze musées de Marseille absorbent un quart du budget de la culture, passant de 57 millions de francs en 1995 à 78,5 millions en 2000 (47 millions de charges de personnel pour 372 employés, 10 millions de francs d’investissement et 21,5 millions de fonctionnement dont 13 millions alloués aux expositions). Cette part en augmentation a permis l’organisation de plusieurs événements à la Vieille-Charité, un ancien hospice. Pour “Arman et l’art africain” (1996) et “L’Art des Papous” (2000), 40 000 visiteurs en moyenne ont consacré la qualité du travail effectué par Alain Nicolas à la tête du Musée des arts africains, océaniens et amérindiens (MAAOA). Cette réussite dans le domaine ethnographique a séduit l’État qui va délocaliser son Musée national des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (ex Musée des arts traditions populaires) au Fort St-Jean. Là encore, la Ville s’apprête à investir autour de 600 millions pour le projet architectural qui va façonner l’entrée du Vieux-Port, atout touristique majeur. Avec le MAOA et le Musée de la mode très prisé des magazines parisiens (“Andy Warhol look” en 1998 et collection personnelle de Mouna Ayoub en 1999), il devrait contribuer à la renommée des musées marseillais. Ce tableau flatteur ne doit pas masquer la réalité du dynamisme culturel de Marseille. Cette bonne image est due au talent individuel de certains artistes et à l’aventure collective de lieux fédérateurs qui échappent à toute politique volontariste de la mairie. Les ateliers et la Biennale des Jeunes créateurs de la Méditerranée sous la responsabilité de l’Office de la culture, le vivier interdisciplinaire de la Friche Belle de Mai ou la Foire Art Dealer de Roger Pailhas ne doivent pas occulter un manque certain de curiosité et d’intérêt pour l’art contemporain et ses connexions aux nouvelles technologies. Il ne suffit pas de construire, encore faut-il y installer le bon locataire pour animer durablement les lieux.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°122 du 2 mars 2001, avec le titre suivant : Marseille se cherche encore

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