Art ancien

Léonard de Vinci, traits de génie

Les dessins et les manuscrits du maître toscan réunis pour la première fois depuis cinquante ans au Louvre

Par Eva Bensard · Le Journal des Arts

Le 16 mai 2003 - 929 mots

Cinquante ans après l’« Hommage à Léonard de Vinci » (1952), le Musée du Louvre récidive en présentant une exposition consacrée au grand artiste toscan. Centrée sur les dessins et les manuscrits du maître conservés au Cabinet d’arts graphiques, elle explore certaines des étapes fondamentales de son parcours, éclaire d’un jour nouveau la genèse de peintures comme la Vierge aux rochers ou la Vierge à l’Enfant et sainte Anne, et évoque des chefs-d’œuvre aujourd’hui disparus, à l’image de la Bataille d’Anghiari.

PARIS - Dessiné à la plume, à la pointe de métal et au pinceau sur un papier orangé, un gracieux visage de femme, les yeux pudiquement baissés, accueille le visiteur du Louvre. Cette œuvre d’Andrea Del Verrocchio – peintre, sculpteur et orfèvre florentin chez qui Léonard fit son apprentissage dès l’âge de douze ans – montre l’ascendant qu’exerça l’artiste sur son élève. Douceur du modelé, habile contraste de l’ombre et de la lumière et intérêt pour la figure humaine se retrouveront en effet dans l’œuvre de Léonard, dont le Musée du Louvre se propose de retracer le parcours artistique. Mais, à la différence du Metropolitan Museum of Art de New York, où l’exposition a d’abord été présentée, toutes les étapes de la vie du peintre ne sont pas évoquées. Françoise Viatte et Varena Forcione, commissaires de l’exposition, ont choisi de privilégier le fonds du Louvre, dont certains dessins n’avaient encore jamais été montrés. “Si les visiteurs du Louvre ne se lassent pas d’admirer la Joconde, ils savent moins que le Cabinet des dessins conserve dans ses portefeuilles certaines des plus précieuses études pour l’Adoration des Mages, la Vierge aux rochers ou la Vierge à l’Enfant et sainte Anne, ainsi que plusieurs portefeuilles contenant des ensembles rares de la main des élèves de Léonard”, souligne Henri Loyrette, président-directeur du Louvre, dans le catalogue de l’exposition. Les prêts de vingt-huit musées ou institutions françaises et étrangères sont venus renforcer la cohérence de cet ensemble. Au total, plus de cent trente dessins, auxquels viennent s’ajouter douze manuscrits originaux contenant des notes et des croquis de Léonard (bibliothèque de l’Institut de France), sont présentés au fil d’un parcours comprenant quatorze sections.

Un créateur aux multiples talents
Illustrant les débuts de Léonard dans la bottega de Verrocchio, la petite Annonciation du Louvre côtoie six études de draperie exécutées au pinceau sur toile de lin. Léonard excelle dans ces exercices d’atelier, en général effectués à partir de modèles sur lesquels étaient placées des étoffes enduites d’eau et d’argile. Il parvient à animer les drapés inertes en “sculptant” les volumes grâce aux effets mouvants de la lumière, transformant ces objets d’étude en de véritables œuvres d’art. En 1472, l’apprentissage de Léonard touche à sa fin, même s’il continue à collaborer avec Verrocchio. Ses recherches se portent alors sur le sujet typiquement florentin de la “Vierge à l’Enfant”, qui lui inspire des études à la plume d’une grande spontanéité. En témoigne notamment le tracé mobile de la Vierge à l’Enfant tenant un chat (Galerie des Offices, Florence) ou la description emprunte de tendresse d’une jeune femme donnant le bain à un nouveau-né (université de Porto). Cinq autres sections examinent des thèmes récurrents (armes, architecture, allégories…) dans l’œuvre de Léonard, qui prend ainsi toute sa dimension encyclopédique. Tandis que les études d’armes attestent de ses compétences dans le domaine de la balistique et de l’équipement militaire, les allégories montrent son goût pour l’imagerie fantastique, et les portraits et grotesques sa passion pour l’étude des visages.

Beauté et laideur réunies
Profils classiques et têtes de caractères sont judicieusement réunis. Difformes et grimaçantes ou au contraire parfaitement proportionnées, ces figures révèlent l’intérêt du peintre pour la physiognomonie, les altérations liées au passage du temps (l’Homme âgé et jeune homme de profil se regardant des Offices) ou la représentation des émotions.
Nombre de feuilles exposées permettent en outre de suivre la genèse des plus grands projets de l’artiste, comme l’Adoration des Mages, commandée en 1481 par les moines de San Donato à Scopeto et restée inachevée, ou la Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne (vers 1500 ?). Le tableau du Louvre est exceptionnellement présenté en regard de onze dessins préparatoires (études de groupes, de draperies ou encore de paysages) documentant son élaboration. Les œuvres graphiques constituent également de précieux témoignages dans le cas d’entreprises disparues et connues seulement par des copies, telles Léda (1504), pour laquelle Léonard exécuta de remarquables études de plantes, et la Bataille d’Anghiari (1503), fresque destinée à orner la Sala del Gran Consiglio au Palazzo Vecchio de Florence. Brusquement abandonné, ce gigantesque chantier est évoqué par des esquisses et copies (dont une de Rubens) figurant la Lutte pour l’étendard, seul épisode que le peintre ait mené à son terme. Elles restituent l’extrême dynamisme de la composition et la violence exacerbée du combat. Enfin, l’exposition fait la part belle aux élèves et suiveurs de l’artiste : le Maître de la Pala Sforzesca, Giovanni Agostino Da Lodi, Bernardino Luini, Andrea Solario et surtout Antonio Boltraffio, qui fut probablement l’un de ses épigones les plus talentueux. Seule ombre au tableau, la muséographie un rien sinistre – les cimaises varient du noir au gris foncé – conçue par Jean-Michel Wilmotte...

LÉONARD DE VINCI, DESSINS ET MANUSCRITS

Jusqu’au 14 juillet, Musée du Louvre, hall Napoléon, entrée par le passage Richelieu, 75001 Paris, tél. 01 40 20 51 51, tlj sauf mardi, 9h-21h30, et jusqu’à 17h30 les jeudi et dimanche, www.louvre.fr. Catalogue éd. RMN, 432 p., 54 euros. À lire : Léonard de Vinci, Jérémie Kœring, coédition Louvre-Hazan, 18,25 euros ; Léonard de Vinci au Louvre, Renaud Temperini, 88 p., 18 euros.

Les principales dates de Léonard
 

1464 Entrée dans l’atelier d’Andrea Verrocchio

1481 Commande de l’Adoration des Mages (Offices, Florence)

1482 Léonard quitte Florence pour Milan, où il propose ses talents d’ingénieur à Ludovic le More

1484 Commande de la première Vierge aux rochers (Louvre)

1488 La Dame à l’hermine (Musée Czartoryski, Cracovie)

1495 Léonard s’attèle à La Cène (Milan)

1498 Louis XII commande la Sainte Anne (Louvre)

1503 La Bataille d’Anghiari pour le Palazzo Vecchio à Florence

1504 Le peintre débute Léda (original disparu) et la Joconde (Louvre)

1506 Deuxième Vierge aux rochers (National Gallery de Londres)

1516 Invité par François Ier, Léonard part pour la France

1519 Mort du peintre dans sa demeure du Clos-Lucé à Amboise.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°171 du 16 mai 2003, avec le titre suivant : Léonard de Vinci, traits de génie

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