PARIS
La foire entend combler le retard français : une vingtaine de galeries exposent toute la diversité des scènes africaines, pour lesquelles l’intérêt ne cesse de progresser.
Priorité à l’inconnu. Ou du moins à des créations moins vues. Depuis 2012, un des choix de Guillaume Piens, directeur d’Art Paris, fut de « se positionner sur l’émergence et la découverte en montrant des choses qu’on ne montre pas à Paris ». C’est ainsi qu’il a d’abord regardé vers l’Est alors que la Fiac regarde essentiellement vers l’Ouest. La Corée, la Russie ou encore la Chine furent mises à l’honneur. Mais cette année, la foire change de cap : c’est le continent africain qui est sous le feu des projecteurs.
Ce focus sur l’Afrique entre en résonance avec diverses manifestations parisiennes qui se déroulent au même moment, comme le festival pluridisciplinaire « 100 % Afrique » à la Villette (avec notamment l’exposition « Afriques capitales » organisée en collaboration entre l’ancien directeur des rencontres de Bamako, Simon Njami, et la galeriste Dominique Fiat), les solo shows de la Franco-Gabonaise Myriam Mihindou à l’Appartement et du Sénégalais Soly Cissé au Musée Dapper, ou encore une exposition plus historique, « L’Afrique et ses routes », au Musée du quai Branly [lire p. 9]. En avril, la Fondation Vuitton emboîtera le pas avec une présentation de la collection de Jean Pigozzi et une exposition sur l’Afrique du Sud tandis que l’Institut du monde arabe consacrera une exposition aux « Trésors de l’Islam en Afrique ».
Les années 1980-1990
« La France enregistre un certain retard, notamment par rapport à Londres et sa désormais célèbre foire 1:54. C’est en quelque sorte une séance de rattrapage, souligne Guillaume Piens. Nous avons beaucoup regardé la statuaire africaine qui a très fortement inspiré les artistes modernes comme Braque ou Picasso, mais ce, au détriment de la création africaine contemporaine. De plus, on a regardé les choses à travers le prisme de l’Afrique francophone. Il faut ouvrir notre regard sur la diversité des scènes africaines. »
À cet effet, 21 galeries spécialisées dans l’art africain ont été invitées sous la direction de la commissaire Marie-Ann Yemsi [lire l’entretien p. 29]. 14 d’entre elles sont installées sur le continent (mêlant l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne). Les 17 autres enseignes sont européennes. La majorité des artistes présentés, qu’ils soient originaires du continent ou de ses diasporas, sont issus de la génération des années 1980-1990, bien que l’on croise des figures tutélaires. Ce, grâce à la présence d’enseignes historiques, à l’instar de la désormais célèbre galerie londonienne October, active depuis 1979. Celle-ci présente la figure consacrée du Ghanéen El Anatsui présent dans les collections du Musée national d’art moderne-Centre Pompidou, représentant en 1990 du Nigéria à la 44e Biennale de Venise et Lion d’or à la 56e Biennale en 2015, mais aussi le Béninois Romuald Hazoumè dont le travail à partir de bidons recyclés a été vu au Bourget chez Gagosian l’an dernier et dans l’exposition « Picasso.Mania » au Grand Palais en 2015, ou encore l’Algérien Rachid Koraïchi, très inspiré par le soufisme.
« Le marché de l’art contemporain africain n’a cessé de progresser dans les années 1990 et au début des années 2000, grâce aux expositions et au support apporté par les institutions et les musées. L’intérêt s’est encore accru, à partir de 2005, malgré le crash du marché de l’art. Grâce aux nouvelles foires qui mettent en avant les artistes montants et établis de l’Afrique, cet intérêt continue de s’accroître », explique la directrice de communication d’October, qui a participé aussi l’an dernier à la première édition AKAA, foire d’art contemporain et de design d’Afrique, au Carreau du Temple. Romuald Hazoumè est également à l’affiche de la galerie d’André Magnin, ainsi que le peintre congolais Chéri Samba, peut-être le plus connu de tous, croisé à la Fondation Cartier dans le cadre de l’exposition « Beauté Congo », ou son compatriote Bodys Isek Kingelez, disparu en 2015 et auteur de folles « architectures maquettistes ». La galerie Atiss à Dakar, qui a fêté ses 20 ans l’an dernier, très peu habituée aux foires, s’aventure avec des signatures moins connues comme la Togolaise Afi Nayo ou le Sénégalais Camara Gueye.
De jeunes galeries
Ce focus est aussi l’occasion de découvrir de toutes jeunes galeries, à commencer par deux enseignes londoniennes présentes dans le secteur « Promesses », qui réunit de jeunes pousses. Citons Tiwani Contemporary qui présente les dessins tout en tension et questionnements existentiels de la Zimbabwéenne Virginia Chihota, et les recyclages d’anciennes techniques photographiques en prise avec une mémoire postcoloniale de l’Angolais Délio Jasse. Tous deux ont été exposés à la Biennale de Venise, la première en 2013, le second en 2015. 50 Golborne (Londres) expose quant à elle le Franco-Béninois Emo de Medeiros dont le travail pluriel reflète les mécanismes d’hybridation à l’œuvre dans nos sociétés, à côté de la Nigérienne Wura-Natasha Ogunji et de ses dessins et vidéos questionnant la place des femmes au sein de son pays. Nouvellement implanté à Luanda en Angola, l’espace Ela-Espaço Luanda Arte, qui promeut la scène de ce pays, mélange les générations : Binelde Hyrcan, Pedro Pires et un de leurs pères, Paulo Kapela.
Parmi les artistes bénéficiant d’une exposition monographique, on trouve le représentant de l’Afrique du Sud à la prochaine Biennale de Venise, Mohau Modisakeng, chez Whatiftheworld (Le Cap), et la Malawite Billie Zangewa avec ses fascinantes compositions figurées, réalisées à partir de chutes de soie récupérées chez Afronova Gallery (Johannesbourg). Une autre artiste femme, d’origine allemande mais installée en Afrique du Sud depuis 2000, Marion Boehm, imagine des galeries de portraits à partir de vieux matériaux qu’elle agence. Cette dernière se voit attribuer un solo show par la galerie allemande ARTCO (Aachen), de même que le Marocain Hicham Benohoud, auteur d’étranges mises en scènes photographiques chez Loft Art Gallery (Casablanca).
Contrairement aux années précédentes, ces enseignes ne sont pas rassemblées sur une plateforme mais mêlées aux autres galeries européennes. De plus, est mis en place un espace vidéo autour de la thématique du corps tandis qu’un autre espace rend hommage à la jeune artiste marocaine récemment disparue Leïla Alaoui et à sa vidéo sur les migrants. « Aujourd’hui, quand on parle d’art africain contemporain, on pense à la photographie de studio et aux travaux de recyclage, mais c’est bien plus que ça, et j’espère que cette édition permettra de le montrer. C’est l’un des buts de cet espace vidéo », indique Guillaume Piens.
Chez les galeries non spécialisées aussi
Enfin, outre les enseignes spécialisées, une dizaine de galeries non spécialistes montrent également des artistes africains, à l’instar de Daniel Templon avec le peintre sénégalais Omar Ba, de Nathalie Obadia avec le photographe portraitiste malien Seydou Keïta célébré l’an dernier au Grand Palais, et de la Galerie DX (Montpellier) avec deux artistes marocains majeurs, Mahi Binebine et Mohamed Lekleti. Ce dernier bénéficie aussi d’un solo show chez Dupré & Dupré Gallery (Béziers) où des toiles et des dessins oniriques sont tout droit sortis de son atelier, comme le Sud-Africain Kendell Geers à l’ADN Galeria (Barcelone). La Galerie Vallois, à l’origine d’un centre d’art au Bénin qu’elle finance, consacre tout naturellement son stand à la scène du pays. L’occasion de découvrir les nouvelles peintures de Dominique Zinkpè qui est aussi directeur du centre d’art, mais également la production d’une étoile montante de cette scène, le céramiste King Houndekpinkou.
On n’oubliera pas de faire un tour sur le stand de Bogéna (Saint-Paul-de-Vence) qui présente des sculptures magistrales du Sénégalais Ousmane Sow (1935-2016) telles La Mère et l’enfant ou Les Lutteurs corps à corps. Ailleurs, Françoise Paviot offre tout un mur à l’Afrique avec des photos de Dieter Appelt de la collection de sculptures africaines de Georg Baselitz, des photos de sculptures africaines par Walker Evans, et des photos de l’Afrique elle-même prises par Juliette Agnel.
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Cap sur l’Afrique
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°475 du 17 mars 2017, avec le titre suivant : Cap sur l’Afrique