La Fondation Beyeler s’intéresse au parcours de Monet de 1880 à sa mort en 1926, en le présentant comme une marche vers la peinture pure. Les rapprochements d’œuvres ne sont pas toujours très pertinents.
RIEHEN / BÂLE - Trois présentations spéciales de sa collection permanente marquent l’anniversaire des 20 ans de la Fondation Beyeler, à Riehen près de Bâle. L’un des chefs-d’œuvre de cette institution étant un triptyque de Nymphéas (1917-1920) de Claude Monet (1840-1926), c’est à ce peintre qu’est consacrée l’exposition ouvrant les festivités. « La période séparant la fin de l’impressionnisme des Nymphéas, confie le commissaire, Ulf Küster, est la période la plus intéressante de la carrière de Monet. » La mort en 1879 de la première épouse de Monet, Camille Doncieux, inaugure, pour le conservateur de la Fondation comme pour les contributeurs au catalogue sous-titré « Lumière, ombre et reflet », la période du peintre placée sous le signe de la peinture pure. « Monet, un abstrait déguisé ? », postule ainsi Gottfried Boehm, reprenant là une interrogation récurrente dans l’histoire de l’art. Expliquant que le peintre posait son chevalet devant la nature « non pour la reproduire, mais pour la recréer », Ulf Küster déclare avoir voulu montrer ici la métamorphose des éléments dans sa peinture. La lumière, l’ombre et les reflets deviennent alors le sujet même des œuvres.
Il est donc étonnant que l’exposition s’ouvre sur une carte géographique intitulée « Monet et ses motifs », si toute la démonstration vise à faire ressortir précisément la thèse inverse, qu’il n’y a plus de motifs. Le public suisse a sans doute besoin de situer Vétheuil, Giverny ou Pourville, dont les noms figurent dans les titres des œuvres. La première salle entre dans le vif du sujet avec trois toiles : Pré à Giverny (1885), La Meule au soleil (1891) et La Cathédrale de Rouen : le portail, effet du matin (1894). Trois exemples de dissolution du motif en masses colorées, la meule étant celle que Kandinsky a vue à Moscou en 1897 et qui lui a fait découvrir la « peinture totale ».
Les salles suivantes sont consacrées à des thèmes chers à l’impressionniste : la Seine, les arbres, la mer, les reflets, Londres, les nymphéas. Beaucoup de ces toiles viennent de loin, une quinzaine d’entre elles appartiennent à des collections particulières dont elles sortent peu et c’est là une occasion rare de les voir. C’est pourquoi il est regrettable de les trouver rassemblées par thème et non par affinité stylistique, car elles se gênent les unes les autres. Que fait La Terrasse à Vétheuil (1881), montrant Alice Hoschedé lisant au milieu des fleurs, auprès des vues de la Seine charriant des glaçons ? Ce charmant tableau témoigne d’un refus de la profondeur et d’une utilisation de la couleur annonçant la peinture pure des Nymphéas, tandis que, dans les vues de débâcle, Monet s’ingéniait à perdre le regard du spectateur. De même, ce que Ulf Küster considère comme les premières séries du peintre, illustrant les rangées de peupliers (dont le magnifique Les Peupliers au bord de l’Epte, 1891), souffre du rapprochement avec Prairie à Giverny, effet d’automne (1886), beaucoup plus figuratif.
Des rapprochements peu éclairants
Les vues de mer pâtissent aussi du mélange des peintures à reflets avec celles où l’ombre devient le thème et d’autres composées « à plat », comme du papier peint. Le visiteur retrouve clairement le sujet de l’exposition, la longue marche vers l’abstraction, avec les deux Matinée sur la Seine et Près de Vernon, l’île aux orties (1897). Dix ans séparent ces trois tableaux de la toile En norvégienne (1887) placée à côté, qui utilisait déjà le reflet. Mais dans cette œuvre, Monet, inspiré par une estampe de Utagawa Toyokuni, travaillait le cadrage et l’absence de profondeur beaucoup plus qu’il ne recherchait la perte de repères. Encore une fois, le rapprochement gêne plus le regard qu’il ne fait sentir l’évolution dans les préoccupations formelles du peintre. De fait, la salle consacrée à Londres est la plus confortable à l’œil : concentrées sur une courte période (cinq ans), les toiles offrent une unité beaucoup plus grande.
Un accrochage par choix stylistique mènerait plus naturellement à l’aboutissement du parcours du peintre – comme du visiteur –, l’ensemble de Nymphéas datant de 1906 à 1920. Des œuvres où le spectateur est placé en immersion et que James H. Rubin, dans le catalogue, qualifie judicieusement d’« installations décoratives ».
Commissaire : Ulf Küster, conservateur de la Fondation Beyeler Nombre d’œuvres : 77
Jusqu’au 28 mai, Fondation Beyeler, 101 Basel-strasse, Riehen/Bâle, tlj 10h-18h, 20h le mercredi, www.fondationbeyeler.ch, entrée 28 CHF (26,20 €). Catalogue, en anglais, 180 p., 58 €.
Légende Photo :
Claude Monet, Les peupliers au bord de l'Epte, 1891, huile sur toile, 92,4 x 73,7 cm, Tate, Londres. © Photo : Tate, London.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°473 du 17 février 2017, avec le titre suivant : Monet, la lente marche vers l’abstraction