LONDRES / ROYAUME-UNI
La National Gallery présente une rétrospective de l’œuvre de Claude Monet envisagée sous le thème de l’architecture qui animait ses compositions. Un éclairage inattendu qui se révèle juste.
« Plus de vingt ans se sont écoulés depuis la dernière exposition monographique londonienne consacrée à Monet », rappelle Gabriele Finaldi, directeur de la National Gallery de Londres, dans la préface du catalogue de « Monet et l’architecture ». Il était temps de montrer de nouveau des œuvres du maître de l’impressionnisme aux Britanniques : voici donc « Monet comme vous ne l’avez jamais vu », s’enthousiasment les médias britanniques et le public qui se presse dans les salles.
L’œuvre du peintre (1840-1926) est si vaste qu’on la déguste en général par tranches : la Royal Academy a ainsi présenté « Monet dans les années 1890 : les séries » en 1990, « Monet au XXe siècle » en 1999, « Monet inconnu : pastels et dessins » en 2007… Ici, c’est une rétrospective que montre la National Gallery sous le prisme de l’architecture, bien que le commissaire, Richard Thomson, affirme : « Monet ne s’y intéressait pas. Lorsqu’il mentionne un bâtiment, c’est sous l’angle de la peinture. Il ne cite par exemple jamais le nom de l’architecte. » Cependant, il précise que « Monet a toujours utilisé l’architecture comme un moyen de structurer et d’animer ses œuvres ».
Pour les Français, qui ont de nombreuses occasions d’admirer des œuvres de Monet et sont notamment très attachés à ses séries sur la cathédrale de Rouen, le propos ne semble pas nouveau. Il faut cependant se rappeler que les Anglo-Saxons le perçoivent essentiellement à travers le filtre de ses dernières années et de ses « Nymphéas ». Il est surtout considéré comme un paysagiste, un peintre de la nature. Le commissaire peut donc insister sur « ses dons extraordinaires pour la composition » et l’utilisation qu’il fait des bâtiments pour charpenter celle-ci. Comme dans l’exposition, Richard Thomson développe ce postulat dans son catalogue à travers trois thèmes : « Le village et le pittoresque », « La ville et la modernité » et « Le monument et le mystérieux ». Il y analyse brillamment les choix de composition de Monet et son goût pour la modernité, comparant ses œuvres à celles de ses prédécesseurs immédiats et de ses contemporains, dont il s’inspire ou se démarque. Étrangement, il n’est quasiment jamais question de l’estampe japonaise, pourtant l’une des sources fondamentales de Monet, particulièrement en ce qui concerne l’utilisation de bâtiments ou de ponts dans la composition.
Les motifs chers au peintre de 1864 à 1908
En 78 toiles, la rétrospective est presque complète, puisque la première œuvre, La Lieutenance à Honfleur, date de 1864 et les dernières, des vues de Venise, sont de 1908. Dans cette présentation chrono-thématique, la section la plus importante, « Le Village et le pittoresque », suit le peintre de la Normandie de sa jeunesse (années 1860) à Giverny en passant par les Pays-Bas, Vétheuil, Vernon et les séjours sur les côtes normande et méditerranéenne des années 1880. Richard Thomson souligne le fait que, notamment dans les années 1860 et 1870, Monet recherchait les motifs pittoresques, qu’il avait plus de chances de vendre, utilisant les constructions pour guider l’œil dans la composition ou donner l’échelle du paysage. Mais pas seulement : l’architecture a l’avantage d’introduire des lignes droites dans la composition et de présenter des plans de différentes couleurs (murs, toits) sur lesquels on peut étudier l’effet de la lumière.
Monet, qui était un urbain, peignait avec plaisir les grandes villes ou les stations balnéaires et leur population colorée. Cette attention à la vie moderne est soulignée dans la deuxième section qui s’attarde sur les vues de Paris, les ponts, les gares, les bords de Seine et les cheminées d’usines dans les environs de la capitale. Le Havre et Rouen figurent ici. Le premier séjour à Londres, pendant la guerre franco-prussienne, prend place dans la première salle de cette partie de l’exposition qui présente La Tamise et le Parlement (vers 1871), une œuvre appartenant à la National Gallery.
Enfin, « Le Monument et le mystérieux » aborde le choix fait trois fois par le peintre de travailler à des séries sur des monuments. Ayant acquis l’expérience et une aisance relative, Monet peut s’adonner à des recherches de peinture pure : à Rouen au début des années 1890, à Londres en 1899, 1900 et 1901, puis à Venise en 1908. Bâtiments ou ponts sont plus que jamais des masses aux couleurs changeantes. Pour l’artiste, ils ont le même statut que des rangées de peupliers ou les feuilles flottantes des nymphéas. C’est à la fois la limite du thème de l’architecture et sa légitimité : il est assez large pour permettre au visiteur de suivre l’évolution du maître tout au long de sa vie.
Le grand atout de cette exposition est qu’à côté d’œuvres venues des musées européens et américains, les collections particulières dans lesquelles Richard Thomson a déniché des pépites comme Vue de Rouen (1872), Voilier au Petit-Gennevilliers (1874), L’arbre en boule, Argenteuil (1876) ou Antibes vu de la Salis (1888).
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°502 du 25 mai 2018, avec le titre suivant : Monet sous un nouvel angle La National Gallery présente une rétrospective de l’œuvre de Claude Monet envisagée sous le thème de l’architecture qui animait ses compositions. Un éclairage inattendu qui se révèle juste