MOSCOU / RUSSIE
Le grand musée d’art contemporain privé a pris ses quartiers dans un bâtiment du parc Gorki rénové par l’agence d’architectes de Rem Koolhaas.
MOSCOU - Le principal musée russe d’art contemporain s’est installé le 12 juin dans un bâtiment restauré par l’architecte hollandais Rem Koolhaas et son agence OMA. C’est un vaste parallélépipède largement transparent, offrant 5400 mètres carrés d’exposition sur trois niveaux. Le « Garage » est idéalement situé au centre du parc Gorki, très prisé par la jeunesse branchée. Cet ambitieux musée privé, dont c’est la troisième demeure, a été fondé en 2008 par Dasha Joukova, 34 ans, fille d’un riche homme d’affaires et épouse du milliardaire russe Roman Abramovitch. À la différence de nombreuses « épouse de » montant des galeries pour se parer d’une crédibilité intellectuelle, Dasha Joukova a démontré qu’elle avait de la suite dans les idées et de la persévérance.
À l’entrée, une monumentale peinture verticale d’Erik Boulatov souhaite – en russe – la « bienvenue au Garage ». Rem Koolhaas n’a gardé que les murs porteurs et la structure métallique du bâtiment, qui date de 1968. Laissé longtemps à l’abandon, ce bâtiment possède pourtant une riche histoire. Restaurant renommé à l’époque soviétique, « Les saisons de l’année » était couru par l’intelligentsia et les étrangers.
Rem Koolhaas a confié avoir découvert sa vocation d’architecte lors de sa première visite à Moscou en 1965. « En observant le travail des architectes soviétiques, j’ai réalisé que l’architecture était un art qui permet de façonner la nature de la vie. Cette réflexion m’a conduit à la décision de devenir architecte. » À propos de sa dernière réalisation, il a indiqué avoir « dépassé l’opposition traditionnelle entre le “préservationnisme” et l’architecture [et avoir] voulu restaurer et créer simultanément ». Mais un œil profane ne décèle rien de soviétique sur les trois niveaux du Garage, hormis une grande mosaïque restaurée dans le hall d’entrée et des pans de murs encore recouverts des carreaux vert sombre d’origine.
Ping-pong et raviolis sibériens
Après avoir occupé un véritable garage (de pompiers) assez excentré, le « centre d’art » s’est peu à peu métamorphosé en musée, bien qu’il ne dispose pas de sa propre collection. Dasha Joukova a organisé les premières expositions en Russie d’illustres noms, à l’exemple de Richard Prince, Maria Abramovic ou John Baldessari. Des événements programmés toujours en alternance avec des expositions d’art contemporain russe, dont une récente rétrospective très remarquée sur la performance en Russie au cours des trente dernières années. « Au cours de ses sept années d’existence, le Garage a accueilli 2 millions de visiteurs », a souligné Dasha Joukova.
Cinq expositions inaugurent le nouvel antre du Garage. Parmi celles-ci, des installations de Yayoi Kusama, dont c’est la première présentation de l’œuvre à Moscou. Deux pièces hallucinées de l’artiste japonaise tirent avantage de l’espace modulable du Garage. Mais aussi des tables de ping-pong interrogeant le futur, à côté desquelles des cuisiniers s’affairent dans des kiosques conçus par Rirkrit Tiravanija, où sont préparés et servis des raviolis sibériens. L’exposition la plus symbolique de cette inauguration se cache dans une aile du bâtiment. Plus historique qu’artistique, elle revient sur la grande exposition américaine de 1959 à Moscou, où Jackson Pollock, Robert Motherwell et Mark Rothko furent pour la première (et unique) fois montrés au public soviétique. Juxtaposées aux photos de l’événement, des caricatures soviétiques singent « l’art dégénéré de l’Oncle Sam ». Histoire de rappeler aux visiteurs que le public russe a toujours été invité à détester et mépriser l’art contemporain.
« Tournant historique »
Cette troisième ouverture du Garage est attendue comme un « tournant historique » par le milieu de l’art contemporain russe. C’était en tout cas le vœu exprimé par les participants à un forum des professionnels de l’art contemporain organisé par Cosmoscow, la société responsable des deux dernières foires moscovites spécialisées. Bien que le milieu soit fragmenté en chapelles, courants et castes sociales, rares sont les critiques formulées à l’encontre du Garage. Il serait malvenu de cracher dans la soupe de Joukova au regard de la quasi-absence de soutien de l’État à l’art contemporain. Le ministère de la Culture clame son goût pour les valeurs conservatrices et son dégoût pour le reste. Des forces politiques réactionnaires et une église orthodoxe omniprésente sur le front culturel exercent une pression permanente sur les directeurs de musée et de galeries, encourageant l’autocensure. Dans ce contexte, dépenser 27 millions de dollars (23,9 millions d’euros) pour promouvoir l’art contemporain nécessite une bonne dose de courage et d’abnégation. La barre est placée haut pour l’État, qui prétend aussi construire un musée d’art contemporain, mais supprime son budget d’une année sur l’autre. La construction du « Centre d’État pour l’art contemporain », à 10 km du centre, n’a toujours pas débuté. Cependant la direction du Garage prend soin de ne pas s’inscrire dans une rivalité ou en opposition avec les courants dominants. Le mot d’ordre est l’ouverture. « La génération post-URSS est composée d’individus raisonnant de manière globale. Nous devons regarder autour de nous pour comprendre comment Moscou et la Russie sont reliés au reste du monde », affirme Kate Fowle, la jeune conservatrice en chef britannique du Garage.
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Le Garage rouvre à Moscou
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Abonnez-vous dès 1 €9/32 Krymsky Val St., Moscou, www.garageccc.com, tlj sauf mardi 12h-21h, du vendredi au dimanche jusqu’à 22h, entrée 400 roubles (env. 6,50 €).
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°439 du 3 juillet 2015, avec le titre suivant : Le Garage rouvre à Moscou