En quinze ans, les frais à la charge de l’acheteur ont augmenté de 8 % à 25 % environ, à l’inverse des frais imputés au vendeur. Les opérateurs se livrent à une surenchère d’avantages pour décrocher des ventes.
Agissant en tant qu’intermédiaires, les maisons de ventes se rémunèrent grâce à des commissions récoltées auprès du vendeur et de l’acheteur. Mais, pour ce dernier, les frais dont il doit s’acquitter en plus du prix d’adjudication (prix marteau) ont fortement augmenté. Jusqu’à la fin des années 1990, les maisons de ventes françaises percevaient des taux de l’ordre de 8 % hors taxe (1) du prix marteau. Or, la réforme de 2001 (loi du 10 juillet) a entraîné la suppression du monopole des commissaires-priseurs et l’ouverture du territoire à la concurrence. Les sociétés anglo-saxonnes se sont alors rapidement implantées en France. Pour rester concurrentielles face à elles, les maisons françaises ont été obligées de s’aligner. « Ce sont les Anglo-Saxons qui imposent leurs règles commerciales désormais », souligne un commissaire-priseur qui s’estime victime du système. À présent, en France, ces taux se situent entre 20 % et 24 % hors taxe, un chiffre comparable à celui des frais à la charge de l’acheteur chez Christie’s ou Sotheby’s (2). De 15 % en 1994 pour les premiers 40 000 euros et de 10 % au-delà, ils sont aujourd’hui, à Paris, de 25 % jusqu’à 30 000 euros, de 20 % de 30 000 euros à 1,2 million d’euros (1,5 million d’euros à New York), et de 12 % au-delà. En moins de quinze ans, ces taux sont donc passés de 8-10 % à 20-25 %.
La justification de cette forte augmentation par les opérateurs de ventes volontaires (OVV) est la suivante : il fallait bien compenser la diminution des frais prélevés auprès du vendeur. Fixés par décret à hauteur de 15 % avant 2002 (un taux plus élevé donc que celui des frais imputés à l’acheteurs), ils sont depuis cette date librement fixés par la maison de ventes. Très flexibles puisque situés entre 3 % et 10 %, ils varient en fonction du type de bien et diffèrent selon la taille de la structure. Pour les ventes courantes, les sociétés anglo-saxonnes demandent en moyenne 6 % au vendeur (à cela peuvent s’ajouter les frais de photo…) alors qu’à Drouot les OVV réclament 10 % à 14 %. Le fossé se creuse davantage pour les dispersions de grandes collections, la cession d’un lot très important ou celle d’œuvres issues de domaines très concurrentiels comme l’art moderne et contemporain. « La raréfaction des objets de qualité qui sont à vendre nous impose de cultiver davantage nos vendeurs que nos acheteurs », explique Francis Briest, président d’Artcurial. Ce n’est clairement plus un marché d’acheteurs mais de vendeurs. C’est pourquoi, pour récupérer des lots de qulité à vendre, les opérateurs se livrent à une concurrence féroce, accordant dans certains cas au vendeur des frais très réduits, voire inexistants. Dans la vente du Balloon Dog (Orange) [1994-2000], de Jeff Koons, en novembre 2013 chez Christie’s New York (adjugée 58,4 millions de dollars, soit 43,1 millions d’euros), son vendeur, l’homme d’affaires américain Peter Brant, a reconnu que la maison, pour décrocher l’affaire, avait dû renoncer à sa commission. Même scénario lors de la vente de la collection Barbier-Mueller en mars 2013 chez Sotheby’s Paris, avec des frais vendeurs nuls et des frais acheteurs à 25 % (auxquels venaient s’ajouter des frais d’importation temporaire !). Il en va différemment pour les structures de petite ou moyenne taille, qui souvent ne disposent pas de pièces magistrales et donc ne peuvent se permettre d’annuler les frais vendeurs. « Si on me propose un tableau de Picasso, c’est tout de suite 0 % au vendeur – si je lui en demandais 15 %, il claquerait la porte. Seulement, des Picasso, je n’en ai pas souvent ! », ironise un commissaire-priseur parisien d’une maison de taille moyenne.
Rétrocession, garantie, avance sur recette…
Les firmes anglo-saxonnes et les OVV qui ont les reins solides disposent cependant d’autres atouts dans leur jeu pour attirer les vendeurs : rétrocession, garantie, tiers garant, avance sur vente… Ainsi, si le prix d’adjudication dépasse un certain montant, le vendeur peut négocier une rétrocession, en général sur une partie des frais payés par l’acheteur (habituellement de 4 % à 7 %), la maison n’hésitant pas ici à réduire sa commission.
Les vendeurs fortunés connaissent bien tous ces procédés. Pierre Bergé, lors de la vente en 2009 de sa collection constituée avec Yves Saint Laurent, en est un parfait exemple. « Convaincue que l’homme d’affaires ne traiterait pas avec Christie’s, qui appartient à François Pinault, Sotheby’s ne lui a pas assez déroulé le tapis rouge. Il n’en a pas fallu plus à l’homme pour aller frapper à la porte d’en face », rapporte un connaisseur du marché. Un cocktail d’avantages (frais vendeur nuls, rétrocessions…) concédés par Christie’s a valu à cette dernière de remporter l’affaire. Ces arrangements coûtent beaucoup d’argent. Entre 2011 et 2012, Sotheby’s a ainsi rétrocédé 40 millions de dollars par an.
Relativement aux garanties, deux possibilités existent : soit la maison de ventes recourt à un tiers garant, un investisseur qui promet d’acheter l’œuvre pour un prix minimum (il pourra recevoir en guise de remerciement une partie des frais de l’acheteur) ; soit c’est elle qui se porte caution pour le paiement. Cette pratique s’est accentuée récemment. En 2012, 10 % des lots vendus chez Sotheby’s étaient concernés.
Coûts structurels croissants
Ce jeu de balancier entre des frais vendeurs à la baisse en raison de la concurrence et des frais acheteurs qui augmentent, justement pour compenser la diminution des frais vendeurs, ne doit pas occulter une autre réalité. Car si la concurrence acharnée pour attirer les vendeurs participe de la baisse tendancielle de la rentabilité des maisons de ventes, des coûts structurels croissants en sont tout aussi responsables. Autrement dit, l’augmentation des frais acheteurs est aussi censée financer de nouvelles techniques de communication et de nouveaux services. « Le coût en personnels extrêmement qualifiés, un réseau toujours plus dense de correspondants, un nombre accru de représentations à travers le monde, des expositions itinérantes, le prix des assurances et des caisses de protection pour les œuvres, des lieux prestigieux, les frais de courtage et de catalogue, l’organisation d’opérations de promotion toujours plus onéreuses…, tous ces frais ont terriblement augmenté », explique Francis Briest. Or, pour Alexandre Millon, commissaire-priseur à Paris, « le financement de ces nouveaux services est mal maîtrisé et les maisons de ventes françaises les payent encore trop cher pour certains ».
D’ailleurs, les marges des OVV ne sont pas extravagantes, se situant aux alentours de 30 % pour les marges brutes, et 17-18 % en net. « Elles sont modestes par rapport aux autres commerces », commente Jean-Pierre Osenat, commissaire-priseur à Fontainebleau. En 2013, les marges nettes sur commissions sont passées chez Sotheby’s de 16,3 % à 15,9 %, une baisse due « principalement à la compétition entre les opérateurs qui imposent de partager les frais acheteurs avec les vendeurs », explique la maison de ventes dans son rapport annuel de 2013.
Pour Me Jean-Jacques Mathias, qui exerce à Paris, « il faudrait une répartition plus équitable afin que les frais soient supportés par les deux parties ». Un confrère renchérit : « Si nous n’étions pas dans un marché concurrentiel, je ferais 12 % de chaque côté. Mais à l’heure actuelle, si je réduis mes frais acheteurs à 15 %, je perds de l’argent. » Au final, plus les frais acheteurs sont élevés, plus l’acquéreur, très au fait du marché, modulera son offre et ce, au détriment du prix de vente. « Si le vendeur prenait conscience de cela, peut-être accepterait-il de supporter plus de charges ! », commente un spécialiste du marché. Pour maintenir leur chiffres d’affaires, les maisons de ventes seront peut-être contraintes de faire machine arrière. Christie’s ne vient-elle pas de revoir à la hausse ( 2 %) sa commission vendeur lorsque l’estimation haute est atteinte ou dépassée ?
(1) comme tous les pourcentages indiqués dans le texte.
(2) pour Bonhams ou Phillips, les barèmes sont internationaux.
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Frais de vente : avantage au vendeur
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Abonnez-vous dès 1 €Jeff Koons, Balloon Monkey (Orange), 2006-2013, inox poli miroir peint, 381 x 596.9 x 320 cm, vendu par Christies en novembre 2014, New York. © Christie's Images Ltd.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°425 du 12 décembre 2014, avec le titre suivant : Frais de vente : avantage au vendeur