Après un alourdissement en 2013, la fiscalité française marque le pas. S’agissant des transactions d’œuvres d’art, la baisse de la TVA à l’importation est compensée par une augmentation de la taxation des plus-values.
Après une période de hausses importantes entre 2010 et 2012, sauf au Royaume-Uni, le niveau de la fiscalité générale n’a pas substantiellement évolué en Europe et aux États-Unis. L’année 2013 a été néanmoins émaillée par plusieurs réformes touchant aux dispositifs fiscaux spécifiques au marché de l’art, notamment en France.
Fiscalité patrimoniale : un cadre français stable mais particulièrement lourd
L’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) tel qu’issu des dispositions de la loi de finances pour 2013 semble désormais installé dans un régime de croisière pour la durée du quinquennat. Pour rappel, cette loi est revenue sur la réforme Fillon de 2011 : elle a rétabli un barème progressif assorti d’un mécanisme de plafonnement à 75 % des revenus, tout en maintenant le seuil d’entrée dans l’imposition à 1,3 million d’euros de patrimoine net. Un amendement désormais rituel, portant sur la suppression de l’exonération des œuvres d’art, a été déposé par le député (UMP) Marc Le Fur, mais il a été rejeté et, contrairement à l’année précédente, il n’a suscité aucun débat.
Le « modèle » français d’imposition annuelle de la fortune reste toujours très isolé. Comme en 2012, il n’y a qu’en Suisse, au niveau cantonal (mais avec des taux plus faibles), et en Espagne qu’on lui trouve un équivalent. L’impôt espagnol est plus lourd que notre ISF : taux marginal à 2,5 % contre 1,5 % ; une exonération des œuvres d’art limitée. L’impôt sur la fortune espagnol a été initialement supprimé en 2008 et réactivé en 2011, pour une durée limitée à deux ans. Cependant, il a déjà été prorogé pour 2013 et maintenant, pour 2014, il s’agit d’un impôt relevant des communautés autonomes. Celle de Madrid, par exemple, a décidé de ne pas l’appliquer.
Si le collectionneur français échappe de son vivant à l’ISF à raison des œuvres d’art lui appartenant, sa succession risque d’être lourdement imposée. Après son train de réformes à la hausse en 2011 et 2012, la fiscalité successorale n’a pas connu de bouleversements en 2013. Ainsi, avec l’Espagne et la Belgique, la France domine toujours le classement des États obérant le plus les successions en ligne directe (taux élevés, limites des tranches non indexées sur l’inflation et fixées pour partie en 1959, abattement actuel modeste de 100 000 euros…), sans parler des successions entre personnes non parentes. Les taux marginaux restent importants en Grande-Bretagne, en Allemagne ou aux États-Unis, mais avec des abattements à la base plus substantiels.
À l’autre bout, les successions en ligne directe, ou les successions tout court, ne sont pas imposables dans plusieurs États (Chine, Hongkong, Singapour, Luxembourg, Russie, Pologne, certains cantons suisses…). Pour sa part, l’Italie conserve une fiscalité successorale fort modeste. De plus, certains États imposant substantiellement les successions offrent un cadre favorable aux donations, permettant ainsi d’anticiper la transmission (Grande-Bretagne ; Belgique, pour les biens meubles parmi lesquels œuvres d’art). Or, en France, où les donations sont imposées comme les successions, le rallongement, consommé en 2012, du délai de rappel fiscal des donations antérieures à la succession, délai passant de six à quinze ans, complique fortement la préparation d’une transmission importante.
L’imposition des revenus des particuliers : l’alourdissement de la fiscalité des cessions d’œuvres d’art
Les niveaux d’imposition des revenus des particuliers en France sont élevés mais loin d’être exceptionnels en droit comparé. Après une année 2012 mouvementée aux États-Unis (à la hausse) ou en Grande-Bretagne (à la baisse), aucun changement notable n’est à relever en 2013 dans la structure des taux à l’étranger. En France, on notera que la loi de finances pour 2014 a mis fin au « gel » des limites des tranches du barème, qui n’ont pas été indexées sur l’inflation à partir de l’imposition des revenus de 2011. Dans l’autre sens, une fois de plus, l’avantage procuré par le quotient familial, cette spécificité française tant appréciée des familles, vient d’être raboté à 1 500 euros par demi-part supplémentaire (contre 2 000 euros en 2012 et 2 336 euros en 2011).
Surtout, la loi de finances pour 2014 a durci la fiscalité des plus-values de cession des œuvres d’art. Le régime de droit commun, à savoir la taxe forfaitaire frappant le seul prix de vente, voit son taux passer de 5 % à 6,5 % (la CRDS [contribution à la réduction de la dette fiscale] de 0,5 % comprise). Le contribuable peut toujours choisir l’imposition selon les règles ordinaires des plus-values mobilières. Aux termes de celles-ci, un taux proportionnel de 34,5 %, incluant les contributions sociales, frappe une assiette égale à la différence entre le prix de cession et le prix d’acquisition, minorée par un abattement pour durée de détention. La loi de finances pour 2014 a ramené le taux de cet abattement de 10 % à 5 % pour chaque année de détention au-delà de la deuxième. Dès lors, l’exonération est maintenant acquise au terme de vingt-deux ans seulement, contre douze ans auparavant.
Ce durcissement a été présenté comme la contrepartie de la baisse du taux de la TVA à l’importation des œuvres d’art. Le régime, certes toujours favorable par rapport à l’imposition des plus-values de cession d’actions ou de parts sociales, devient moins attractif dans les comparaisons internationales même s’il résiste lorsqu’il est confronté à la fiscalité britannique, américaine ou espagnole. Toutefois, mais cela était déjà vrai avant, il se révèle moins favorable qu’un dispositif qui, dans le cadre de la gestion du patrimoine privé, exonère les plus-values mobilières purement et simplement (Italie, Belgique…) ou au terme d’une période de détention très brève (un an au plus : Allemagne, Luxembourg…).
Fiscalité directe des entreprises : une décrue en vue
En matière d’impôt sur les sociétés, important pour les marges des entreprises que sont les intermédiaires du marché de l’art, aucun changement majeur n’est à observer, si l’on s’en tient à la comparaison des taux. Avec les États-Unis et la Belgique, la France se situe encore en tête du classement, suivie, de peu, par des pays comme l’Espagne, l’Italie ou l’Allemagne. Le Royaume-Uni a poursuivi sa baisse annoncée du taux de l’impôt sur les bénéfices, qui sera de 21 % pour les exercices débutant le 1er avril 2014. Sur ce plan, Londres n’aura bientôt que peu à envier à Hongkong (15 %) ou à Singapour (jusqu’à 17 %).
En France, hormis le relèvement de la surtaxe à l’impôt sur les sociétés, qui concerne les très grandes sociétés, tout semble annoncer une décrue. Le nouveau crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), qui permet aux entreprises de déduire de leur impôt sur les sociétés une partie de leur masse salariale est déjà opérationnel (en 2013, 4 % dans la limite de 2,5 fois le smic ; depuis le 1er janvier 2014, 6 %). Calculé par rapport aux salaires versés au titre de 2013, cet allégement substantiel sera utilisé pour la première fois en 2014. Le taux effectif d’imposition des bénéfices sera dès lors inférieur au taux nominal de l’impôt sur les sociétés de 33,1/3 %.
Par ailleurs, dans le cadre du « pacte de responsabilité », il a été annoncé des allégements de charges patronales et une suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), qui frappe les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 760 000 euros au taux de 0,16 % du même chiffre d’affaires. En tout cas, ces mesures paraissent urgentes dans le contexte de la dégradation de la compétitivité des entreprises françaises.
TVA : un retournement salutaire pour la TVA à l’importation
La hausse générale de la taxe sur la valeur ajoutée, votée en 2012, est entrée en vigueur le 1er janvier 2014. Le taux normal est désormais de 20 %, contre 19,6 %. Concernant le marché de l’art, il vise de manière générale toute cession d’œuvres d’art par un professionnel, notamment les ventes soumises au régime de la marge ou encore la commission des intermédiaires du marché. L’augmentation la plus significative, car de trois points, touche le taux intermédiaire, porté à 10 % contre 7 % précédemment. Dans le secteur culturel, ce taux concerne les ventes directes des artistes ou encore les droits d’auteur, pour lesquels la TVA aura quasiment doublé en l’espace de deux ans. Nous avons déjà signalé l’année dernière que la TVA à l’importation des œuvres d’art devait connaître le même sort [lire le JdA no 389, 12 avril 2013, p. 22]. Cependant, le législateur a sans doute été sensible aux critiques émanant des organisations professionnelles du secteur puisque, en vertu des dispositions de l’article 8 de la loi de finances pour 2014, issues d’un amendement adopté consensuellement par la majorité et l’opposition, la TVA à l’importation des œuvres d’art relève, de nouveau, à compter du 1er janvier 2014, du taux réduit de 5,5 %, après une parenthèse de 7 % en 2012 et 2013. C’est à l’évidence une très bonne nouvelle pour la place de Paris qui s’aligne sur Londres (5 %). Cela pose cependant un nouveau problème sur le plan national puisque l’importation des œuvres d’art est désormais favorisée (5,5 %) par rapport aux ventes directes réalisées par les artistes établis en France (10 %). Pour être rare en Europe, cette situation n’est pas unique, le Royaume-Uni n’accordant par exemple aucune faveur à la création contemporaine nationale, qui relève simplement du taux normal (20 %).
Malgré la hausse, les taux de TVA en France, ou à tout le moins le taux normal, restent modérés par comparaison avec l’Europe. Dans le cadre d’une politique de recherche de compétitivité, les États décident généralement de faire peser l’augmentation de la pression fiscale sur la TVA, qui n’obère pas le prix des exportations, plutôt que sur les impôts sur les bénéfices ou les charges patronales. En particulier, le taux normal est très élevé dans les États scandinaves ou ceux d’Europe centrale (jusqu’à 25 %). Ainsi, en 2013, l’Italie a augmenté son taux normal, passé de 21 % à 22 %. Même le gouvernement luxembourgeois a annoncé un projet d’augmentation substantielle (de 2 points) de ses taux de TVA.
On note aussi que l’Allemagne a obtempéré aux injonctions de la Commission européenne et a adopté définitivement en 2013 le texte soumettant les transactions sur les œuvres d’art au taux normal de TVA, sous réserve, mais cela est autorisé par les directives européennes, du taux réduit applicable aux ventes directes des artistes et à l’importation des œuvres d’art. En adaptant son cadre légal, l’Allemagne a décidé d’emprunter à la France la possibilité, dans certains cas, de calculer la marge, en vue de l’application de la TVA, de manière forfaitaire à 30 % du prix de vente. Alors que la directive européenne oblige tous les États membres à offrir aux opérateurs le régime de la marge, un tel calcul forfaitaire était jusqu’alors une particularité française (lire p. 25).
En lien avec la TVA, on relève des projets de plus en plus nombreux, plus ou moins concrétisés, d’ouverture de « ports francs » pour y entreposer, parfois de manière exclusive, des œuvres d’art. Ces ports francs sont situés physiquement à proximité immédiate des aéroports internationaux et, juridiquement, avant la frontière douanière du pays qui les accueille. En principe, tant que l’objet demeure dans le port franc, aucun droit de douane ou TVA à l’importation ne sont dus. Selon le statut du port, les prestations de services afférentes à l’œuvre d’art (entreposage, restauration…) peuvent également s’effectuer en suspension de TVA. Le port franc offre ainsi un cadre technique adapté à la conservation des œuvres d’art, en autorisant par ailleurs les transactions portant sur l’œuvre, qui peut changer de propriétaire, le tout en suspension des droits de douane et de la TVA à l’importation. Un port franc existe de longue date à Genève et depuis peu à Singapour. Prochainement, il doit s’en ouvrir un au Luxembourg. Il en est également question à Pékin et Shanghaï, ce qui semble particulièrement pertinent étant donné que la Chine applique toujours, chose désormais exceptionnelle sur le plan mondial, des droits de douane à l’importation des œuvres d’art en plus de la TVA à l’importation, par ailleurs très élevée (17 %).
Le droit de suite : une exportation à venir ?
Le droit de suite sera-t-il un jour exporté vers les marchés importants en dehors de l’Europe ? Pour l’instant, il a plutôt marqué un recul aux États-Unis puisque, en 2012, une cour fédérale de district a déclaré inconstitutionnel le régime applicable jusqu’alors en Californie (seul dispositif de ce type aux États-Unis). Un appel est en cours. Cependant, la censure était fondée non sur le principe même de ce droit mais sur une question de fédéralisme : la Californie ne pouvait pas, d’elle-même, instaurer un tel droit. Dès lors, rien n’empêche que le Congrès légifère sur le plan fédéral. Et en effet, une nouvelle proposition de loi fédérale a été déposée en ce sens en février 2014 (« American Royalties Too Act »). Reste à savoir si elle connaîtra un meilleur sort que la précédente proposition de 2011. Aussi note-t-on avec intérêt que l’idée d’introduire un droit de suite est désormais sérieusement envisagée par les autorités chinoises.
Mécénat : permanence et diversification des dispositifs
En dépit de la crise et d’efforts de consolidation des finances publiques, on n’a pas aperçu de mouvement tendant à limiter de manière substantielle, voire à limiter tout court, la portée de dispositifs d’incitation au mécénat. Au contraire, les régimes de ce type existent dans tous les États et territoires étudiés, même là où la pression fiscale est par ailleurs peu élevée (Jersey, Hongkong, Singapour…). Ainsi, les institutions culturelles, parmi les organismes d’intérêt général, peuvent le plus souvent bénéficier des dons de sommes d’argent ouvrant droit à un avantage fiscal (déduction de la base imposable, réduction d’impôt…) pour le donateur.
Plusieurs États connaissent aussi la formule de la dation en paiement, qui permet, sous condition d’agrément par une commission compétente, de remettre une œuvre d’art en paiement d’un impôt, la valeur de l’œuvre étant dans ce cas intégralement imputée sur le montant de la créance fiscale. La dation en paiement existe en France, en Belgique ou au Royaume-Uni où elle est limitée au règlement des droits de succession (et de l’ISF en France). Elle existe aussi en Espagne, où elle revêt un champ particulièrement étendu puisque tous les impôts peuvent être payés par voie de remise d’œuvres d’art. Plusieurs États connaissent également des dispositifs, certes moins intéressants, qui se rapprochent de la dation en paiement en ce que le contribuable réalise, en contrepartie de la remise de l’œuvre d’art, une économie fiscale égale à une fraction de la valeur de l’œuvre (au lieu de 100 % de celle-ci). Ces avantages concernent le plus souvent les impôts sur le revenu. Par exemple, au Royaume-Uni, le nouveau « Cultural Gifts Scheme », entré en vigueur en 2013, offre en contrepartie du don d’une œuvre d’art une réduction d’impôt aux entreprises et aux particuliers. Des dispositifs aux effets analogues existent notamment en Belgique (réduction d’impôt), aux États-Unis ou au Singapour (déductions de base). Notre réduction de l’impôt sur les sociétés en faveur de l’acquisition des trésors nationaux se rapproche également de cette logique.
Vers une grande réforme fiscale ?
Une grande réforme fiscale en France luit-elle à l’horizon, après un épisode de relative stabilité en 2013 ? On n’oublie pas non plus que l’année 2013 fut celle de déclarations contradictoires, enchaînant « la pause fiscale » avant « une remise à plat ». Si « remise à plat » il y a, s’agira-t-il davantage de la fusion entre l’impôt sur le revenu et la CSG (contribution sociale généralisée), entraînant un report supplémentaire de la charge fiscale sur les classes moyennes, ou plutôt des réformes répondant aux objectifs du « pacte de responsabilité » ? Il semblerait qu’on s’achemine plutôt vers ce second scénario. S’il n’est pas imaginable de concurrencer sur le plan fiscal Singapour ou Hongkong, qui offrent au passage un cadre d’imposition parfait pour le développement d’un pôle d’importance mondiale sur le marché de l’art, il semble urgent de s’aligner sur une norme européenne moyenne.
Lukasz Stankiewicz est maître de conférencesde droit public, Centre d’études et de recherches financières et fiscales (CERFF), université Jean-Moulin Lyon-III
Le tableau des fiscalités comparées a été réalisé grâce au concours des étudiants du Master 2 professionnel « Droit et fiscalité du marché de l’art », attaché à l’Institut Droit Art et Culture (dirigé par le professeur Édouard Treppoz), faculté de droit, université Jean-Moulin Lyon-II : Daphné Boissonnet (États-Unis) ; Alexis Mocio-Mathieu (France) ; Gaëlle de Saint-Pierre (Allemagne) ; Astrid de Lafforest et Chloé Mura (Espagne) ; Raphaëlle Lignel et Anne-Charlotte Bozec (Luxembourg) ; Nora Azza-Arellano et Marthe Neny (Chine, Hongkong) ; Julia Cottin et Céline Dinant (Suisse) ; Julie Gominon et Joséphine Balloul (Belgique) ; Laura Borsik et Guillemette Fougeras-Lavergnolle (Royaume-Uni) ; Marine Butera (Russie) ; Kevin Mavrikos (Jersey) ; Pauline Gautier et Marie Laurenson (Italie). Leurs recherches ont été encadrées par Lukasz Stankiewicz, maître de conférences de droit public.
Le Master 2 « Droit et fiscalité du marché de l’art », dirigé par Christine Ferrari-Breeur, maître de conférences (HDR) de droit public, a été créé il y a plus de dix ans et est, à ce jour, le seul master spécialisé dans le droit du marché de l’art. Avec moins de vingt étudiants retenus sur une centaine de dossiers, il est aussi très sélectif.
Rens. : http://dfma.univ-lyon3.fr
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La France stabilise sa fiscalité
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°411 du 11 avril 2014, avec le titre suivant : La France stabilise sa fiscalité