À l’occasion de la 40e édition de la Foire internationale d’art contemporain, petit retour sur les aléas de ses changements de direction et déménagements successifs depuis sa création en 1974.
La Fiac a 39 ans. Certes elle célèbre bien sa 40e édition, mais ce petit écart vient du décalage qui perdure entre une date de naissance et un numéro d’édition. Car la Foire internationale d’art contemporain est vraiment née en 1974. Et à la Bastille. À son origine, on trouve Danièle Talamoni, Daniel Gervis et Henri Jobbé-Duval. La première, ayant observé la création de foires d’art contemporain en Allemagne (à Cologne, en 1966) et en Suisse (Bâle, en 1970), va proposer à une société spécialisée, la Spodex, d’organiser un événement équivalent en France. Nous sommes en 1972, la Spodex accepte. Mais peu de temps après, Jean-Pierre Jouët quitte cette société pour créer l’OIP (Organisation. Idées. Promotion). Avec cette dernière, Talamoni relance le bateau mais rame auprès des galeries qui répondent mollement. À sa demande, Jouët lui accorde, dès octobre 1973, un adjoint : Henri Jobbé-Duval.
Ce dernier, déjà ancré dans le métier, part à la pêche en Europe et en ramène quelques belles prises comme Ursula Krinzinger (Vienne, Autriche). En même temps, Danièle Talamoni est allée voir le galeriste Daniel Gervis, qui, travaillé lui-même par l’idée d’organiser une foire, accepte volontiers de participer à l’aventure.
La première édition a lieu fin janvier 1974, dans l’ancienne gare de la Bastille. À l’époque, l’événement qui ne s’appelle pas encore « Fiac » mais « Premier salon international d’art contemporain » compte déjà dans ses rangs Iris Clert ou le jeune Yvon Lambert… Le démarrage est poussif mais suffisamment encourageant. Danièle Talamoni est poussée à la désertion et Daniel Gervis, qui a convaincu Alexandre Iolas et Denise René, parvient à rallier à sa cause les galeries de « Paris rive gauche ». La deuxième édition (qui prend le nom de « Fiac ») se tient une seconde fois à la Bastille en janvier 1975. Hermann Nitsch fait une performance : il sacrifie des agneaux, les crucifie, des acteurs nus boivent du sang. La manifestation gagne ses lettres de noblesse et l’équipe dirigeante décide de quitter la Bastille ; après avoir en vain visé la gare d’Orsay, elle rêve du Grand Palais. Pour l’obtenir, Jouët et Gervis créent le CoFiac (comité d’organisation de la Fiac) et, avec l’aide d’Yvon Lambert, décrochent le Saint-Graal auprès de Michel Guy, alors ministre de la Culture. La 3e édition se tient donc sous la nef, avec la participation de quinze galeries américaines qui, dans leur sillage, ont entraîné de grandes galeries françaises et européennes. Une pluie argentée vole dans le Grand Palais : c’est Robert Malaval qui fixe ses paillettes sur fond de tissu noir pour l’édition Rock’n’roll Dollars. La Fiac est lancée. Son vernissage devient vite l’événement mondain incontournable de la rentrée.
Aux côtés de Bâle, Cologne ou Chicago
En 1977, Andy Warhol attire les foules en signant ses posters de la série des Indiens et celle des nus masculins. Urban Sax et ses trente saxophonistes arpentent les allées et les stands en musique. L’année suivante est marquée au stick rouge par le fameux baiser d’Orlan. En 1979, il y a tellement de monde au vernissage que les invités ne peuvent quasiment plus sortir. Trois ans plus tard, la Fiac s’ouvre, déjà, à la photographie et crée « L’espace photographique ». En 1983, dix-huit créateurs de mode s’associent à une vingtaine d’artistes pour un défilé unique dans les escaliers et Daniel Lelong succède à Daniel Gervis à la tête du comité.
En 1984, la foire a 10 ans. Les années suivantes, elle figure, avec celles de Bâle, Cologne, Chicago parmi les plus importantes au monde (moins nombreuses qu’aujourd’hui). À partir de 1987, le marché s’emballe jusqu’à l’édition de 1989 où, dès l’entrée, un grand tableau de Ben accroché sur le stand de Marianne et Pierre Nahon figure un navire dans une position Titanic, avec, à son bord, le milieu de l’art. Et effectivement tout sombre en 1990, comme l’évoque un autre tableau de Ben Le marché de l’art s’écroule demain à 18h30. Le marché en pleine crise connaît un dernier remous en 1993 lorsque le rideau du Grand Palais tombe avec l’annonce de sa fermeture pour rénovation, à la suite du fameux épisode du boulon, certainement le plus célèbre de toute l’histoire du boulon, depuis que celui-ci chut.
En 1994, la Fiac a 20 ans. Elle franchit la Seine à contrecœur pour aller s’installer de l’autre côté, sous des tentes dressées quai Branly, là où sera construit plus tard le musée consacré aux arts premiers. C’est aussi l’année où, dans un contexte difficile, elle est rachetée par la société organisatrice Reed Expositions. L’édition 1996 est marquée par une double élection, celle de Véronique Jaeger en tant que commissaire générale et celle d’Yvon Lambert comme président d’un nouveau comité d’organisation de la foire. Dans une nécessité d’internationalisation et de rajeunissement, elle expose cette année-là 60 % de galeries étrangères et crée la suivante son secteur « Perspectives », réunissant trente jeunes galeries.
Deuxième grande migration en 1999, avec son exil porte de Versailles. Sa plus grande superficie lui permet, par exemple, de consacrer en 2001 un espace à la vidéo, le « Vidéo Cube ». Le parc des expositions, c’est grand mais c’est loin !
En 2002, Henri Jobbé-Duval qui, en bon marin, a jusque-là su traverser les différentes tempêtes, est débarqué par Reed Expositions. Il retrouve vite un nouvel équipage et devient l’un des trois dirigeants de la foire de printemps, ArtParis. Après une édition 2003 d’autant plus faseyante que la création de Frieze Art Fair à Londres fait l’effet d’un gros coup de vent, Reed nomme l’ex-galeriste Jennifer Flay directrice artistique de la Fiac et remplace le CoFiac par un plus complexe « comité de pilotage ». Ayant à sa barre celle qui avait pignon sur la rue Louise-Weiss à la fin des années 1990, l’édition 2004 commence à changer de cap.
Une stature internationale
La Fiac a 30 ans. Un hall s’ouvre à la jeune création, un nouveau secteur dédié à vingt galeries ayant moins de trois ans d’existence est lancé et la manifestation accueille le design. En novembre de cette même année, Martin Bethenod, ancien délégué aux Arts plastiques, est nommé commissaire général aux côtés de Jennifer Flay. Jusqu’au départ de ce dernier en mai 2010 (pour la direction de la Pinault Foundation à Venise), le tandem va indéniablement relancer la manifestation sur un plan national et surtout international, faisant grincer les dents de nombreuses galeries françaises évincées et remplacées par leurs consœurs étrangères.
En 2006, après douze ans d’exil, la Fiac revient au Grand Palais. Ouf ! Elle respire sur le plan du prestige mais étouffe un peu quant à la superficie. Le tandem Flay-Bethenod décide en conséquence d’installer les jeunes galeries sous une tente au milieu de la Cour carrée du Louvre (un espace qu’elle perdra pour cause de travaux en 2010). Pour faire le lien entre les deux sites de la foire, ils lancent le programme « Hors les murs », d’abord dans le jardin des Tuileries, puis en 2011 dans le Jardin des plantes et au Muséum national d’histoire naturelle, avant la place Vendôme en 2012 et, cette année, les berges de Seine rive gauche (lire p. 38). Jennifer Flay continue alors sa course en solitaire. Depuis son retour au centre de Paris, la Fiac a réussi à repousser les murs du Grand Palais pour devenir une manifestation à l’échelle de la capitale, et acquérir une stature internationale lui permettant de rivaliser à nouveau avec les plus grandes foires du monde. Certes pas sur le terrain du marché et du volume des affaires, mais assurément sur celui de l’image. L’année prochaine, la Fiac aura 40 ans.
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Une foire historique
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°399 du 18 octobre 2013, avec le titre suivant : Une foire historique