RUSSIE
À l’heure où se tiennent à Moscou la foire Art Moskva et la 5e Biennale de l’art contemporain, la scène artistique russe est victime d’une série d’actes de censure. Menace d’expulsion envers une galerie d’avant-garde, interdiction de publier des œuvres jugées blasphématoires et retrait du soutien officiel pour une exposition…, l’art contemporain russe a du souci à se faire.
MOSCOU - Qu’arrive-t-il à la patrie de Malevitch et d’Erik Boulatov ? On savait depuis l’emprisonnement des performeuses du collectif Pussy Riot que l’art contemporain donnait de l’urticaire à la frange la plus conservatrice du pouvoir russe. Mais cette nouvelle poussée de fièvre réactionnaire semble avoir gagné le ministère de la Culture, tandis que la peur, elle, s’est étendue aux mécènes. Voilà qui tombe mal à la veille de la foire d’art contemporain (Art Moskva, organisée du 18 au 22 septembre) et surtout de la 5e Biennale de l’art contemporain de Moscou, qui ouvre ses portes le 20 septembre.
La semaine de la censure a démarré le 6 septembre, lorsque Marat Guelman, le plus célèbre galeriste de Russie, a reçu une lettre d’expulsion. La société propriétaire de la friche industrielle Winzavod (regroupant les galeries qui comptent à Moscou) donnait trois jours à la galerie « Alliance culturelle. Projet de Marat Guelman » pour déguerpir. Ce dernier avait eu l’audace d’accueillir une exposition montrant les photographies de bâtiments historiques détruits ou estampillés « à détruire » par la Mairie de Moscou. Quel paradoxe ! Le galeriste en chef de l’avant-garde russe puni pour une exposition conservatrice, puisqu’elle dénonçait la destruction du patrimoine historique… Il est vrai que le contexte était tendu, car au même moment se jouaient les élections municipales de Moscou. Mais Guelman a de la ressource. Il est écouté et respecté. Face au retentissement médiatique de l’affaire, Winzavod est revenu sur sa décision deux jours plus tard. Et Guelman de conclure en s’étonnant que « des personnalités aussi prospères [que les propriétaires de Winzavod] soient contraintes de s’agenouiller devant les hauts fonctionnaires. Qu’est-ce qui peut bien les contraindre à perdre ainsi la face ? »
Extension du domaine de la censure… contre Pussy Riot
En province, la censure se montre bien plus brutale. Un tribunal de Novossibirsk (Sibérie) a interdit le 10 septembre la publication sur Internet d’icônes créées par les artistes contemporains Artem Loskutov et Masha Kiseleva. Ces œuvres qui parodient des icônes saintes en représentant les membres masqués du groupe Pussy Riot ont été exposées dans les rues de Novossibirsk sous forme d’affiches. La justice a vu dans ces œuvres une « dérision du sacré » tombant sous le coup de la nouvelle loi votée cette année qui punit « l’insulte aux sentiments religieux et la profanation des objets sacrés ».
Depuis le 10 septembre, tout site Internet russe reproduisant les icônes Pussy Riot sous quelque forme que ce soit peut immédiatement se retrouver inscrit sur la liste noire du « registre des sites interdits », a décidé le tribunal sibérien, sur ordre de la procurature et du Patriarcat de l’Église orthodoxe russe. Le site a immédiatement obtempéré, car être répertorié sur ce registre a pour conséquence le blocage de la totalité du site, et pas seulement de la page où les images interdites sont publiées. Artem Loskutov, âge de 26 ans, a déjà déjà été condamné à des amendes pour avoir créé des icônes avec les Pussy Riot.
La lutte contre l’art contemporain se globalise
Des hommes nus à Rome ? C’est de la propagande homosexuelle, selon le ministère de la Culture russe. Et qu’importe le sexe de l’artiste. En l’occurrence, il s’agit d’une femme, Olga Tobreluts, laquelle a rendu publique le 11 septembre la décision des autorités russes de retirer leur soutien à une exposition personnelle qui doit s’ouvrir ces jours-ci à Rome. Une exposition pourtant organisée dans le cadre de l’Année croisée Russie-Italie. Célèbre pour son rôle central dans le mouvement de la « Nouvelle Académie » (avant-garde pétersbourgeoise des années 1980 et 1990), Olga Tobreluts, 43 ans, s’est déclarée « choquée » par la décision. « Je n’imaginais pas qu’ils glisseraient aussi rapidement vers la sénilité. » L’ambassade de Russie en Italie a fait savoir qu’elle ne pouvait « partager le regard artistique et le contenu esthétique des œuvres d’Olga Tobreluts, en raison de la loi sur la propagande ». Une référence claire à la récente loi votée par le Parlement russe condamnant la propagande homosexuelle envers les mineurs. Or il n’existe pas la moindre trace de pornographie ni même de provocation dans l’exposition « Nuove Mitologia » (nouvelle mythologie) de la galerie romaine Visiva. L’exposition ouvrira néanmoins ses portes comme prévu le 20 septembre.
Pour Iossif Backstein, directeur artistique de la Biennale de Moscou, « il est évident que la censure existe en Russie. C’est dû au fait que la société civile est très faible et que les lois [comme celle condamnant la propagande homosexuelle] sont votées sans consulter la société ». Backstein assure que la Biennale n’a pas eu à affronter la censure, mais admet « sentir [en lui] la présence de l’autocensure », avant de préciser : « Elle existe aussi chez vous en Occident. »
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Flambée de la censure en Russie
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Les artistes Artem Loskutov et Masha Kiseleva portant leur Tee-shirt. © Photo : Nikita Khnyunin.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°397 du 20 septembre 2013, avec le titre suivant : Flambée de la censure en Russie