MOSCOU (RUSSIE) [09.03.17] – En conflit depuis des années avec l’Etat russe pour des questions d’occupation de locaux, le Musée Roerich a fait l’objet d’une opération de police au terme de laquelle 200 œuvres ont été saisies.
L’étau se resserre autour du Musée Roerich de Moscou, qui appartient à une fondation privée liée aux héritiers du peintre symboliste russe Nikolaï Roerich (1874-1947). Connu aussi sous le nom de « Centre International Roerich », ce musée situé dans le palais Lopoukhine, à un jet de pierre du Musée Pouchkine, a été victime d’une descente de police le 7 mars et de la confiscation de biens culturels.
Le directeur général du musée Pavel Jouravikhine indique que la descente de police s’est soldée par la confiscation d’environ 200 œuvres. Son adjoint Alexandre Stetsenko chiffre la saisie à « une valeur totale de plusieurs dizaines de millions d’euros. » Environ 70 agents du Comité d’enquête de Russie sont entrés dans le musée tôt le matin, tandis que des policiers anti-émeute étaient déployés pour en bloquer l’accès.
Une source au Musée Roerich affirme avoir remarqué la présence du vice-directeur du Musée de l’Orient Tigran Mkrtytchev (avec qui le Musée Roerich entretient une vieille rivalité) ainsi que celle de Kirill Rybak, un conseiller du ministère de la Culture. Le Musée de l’Orient n’était pas en mesure mercredi de commenter cette information. Le ministère de la Culture nie toute participation à cette opération de police.
La police dit être mandatée par le fisc russe, dans le cadre d’une affaire de fraude liée à la faillite de la banque Masterbank. Les enquêteurs disent « disposer d’informations selon lesquelles [l’actionnaire principal de Masterbank Boris Boulotchnik] aurait reçu des peintures de Nikolaï Roerich et de [son fils] Sviatoslav entre 1990 et 2010. » Le musée Roerich, dont les comptes bancaires sont chez Masterbank, reconnaît que Boulotchnik finançait personnellement le musée, sans passer par sa banque. Le banquier s’est exilé depuis 2013 et depuis, le Musée Roerich a vu son financement divisé par dix et a dû licencier près de la moitié de ses 180 employés.
Ce musée privé est embourbé depuis près de deux décennies dans un conflit avec les autorités. Sa direction affirme que 288 peintures de Nikolaï Roerich et de son fils Svetoslav (nettement moins coté) ont déjà été confisquées et se trouvent « illégalement dans le fonds du Musée d’Etat de l’Art Oriental (Musée de l’Orient). »
L’affaire Masterbank n’est qu’un nouvel épisode des tracasseries judiciaires du Musée Roerich. Les autorités fédérales tentent depuis longtemps d’éjecter le Centre international Roerich du magnifique palais Lopoukhine. Un procès en cours vise 17 entités juridiques enregistrées dans le palais Lopoukhine et ayant des arriérés d’impôts. La direction du Musée Roerich affirme ne rien savoir de ces 17 entités. Une audience majeure se déroulera le 13 mars prochain.
En 2014, le Musée Roerich avait emporté une importante victoire, lorsque le maire de Moscou lui avait transféré la propriété de deux bâtiments du palais Lopoukhine. Mais un an plus tard, un troisième bâtiment, également occupé par le musée, a été confié à l’État russe. Le ministère de la Culture l’a immédiatement réclamé, afin d’y créer un « musée d’État Roerich », dont la direction serait vraisemblablement confiée à Tigran Mkrtychev. Une démarche perçue comme préfigurant une tentative d’appropriation de l’ensemble du palais Lopoukhine. Devant la résistance du musée, le ministère de la culture est allé jusqu’à demander au ministère de la justice de vérifier si le musée « se livrait à des activités extrémistes » (une forme de harcèlement habituellement réservée à l’opposition). La « vérification » du ministère de la justice a cependant rapidement conclu sur un non-lieu.
Auteur de peintures sur la Russie ancienne pré-chrétienne, Nikolai Roerich s’est fait connaître du public européen à travers sa participation aux Ballets russes. Il imagina les costumes et les décors pour la création mouvementée du Sacre du printemps de Stravinsky. Auteur de 7 000 toiles, son trait et sa palette de couleurs très personnelle le classent à part dans l’histoire de la peinture russe. Figure controversée de son vivant pour ses idées hétérodoxes (mélange de mysticisme, de théosophie influencée par les philosophies orientales), il est aussi connu pour avoir imaginé en 1935 un traité (connu sous le nom de « Pacte Roerich ») visant à assurer une protection internationale des biens culturels en temps de guerre. Ratifié par 11 États du continent américain, le pacte est toujours en vigueur aujourd’hui. Sauf bien sûr en Russie.
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L’État russe saisit 200 oeuvres au musée privé Roerich de Moscou
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Le Musée Roerich de Moscou © Photo Deodar - 2007 - Licence CC BY-SA 2.0