De l’explorateur au penseur en passant par l’artificier, l’œuvre de Miró est mise en scène au Fonds Hélène et Édouard Leclerc.
L’ œuvre de Joan Miró (1893-1983) ne s’encombre pas d’espace. Cela tombe bien car, malgré ses nombreux travaux d’aménagement, les Capucins de Landerneau (Finistère), qui abritent le Fonds Hélène et Édouard Leclerc pour la culture, ne sont pas un lieu d’exposition facile. C’est tout le mérite d’Éric Morin, le scénographe, que d’avoir trouvé les moyens d’animer la très grande salle rectangulaire, sans charme particulier, où logent les œuvres de l’artiste catalan. Happé par la profusion des œuvres et par leur diversité (tableaux, gravures, « tapisserie », céramique, sculptures-objets, mosaïque), le visiteur constate que ce joyeux désordre tient miraculeusement. Mieux, il semble que cette présentation corresponde à la manière dont Miró naviguait d’une discipline à l’autre, sans aucune hiérarchie apparente.
Certes, certaines cimaises trop massives s’accordent mal avec la légèreté, voire l’envolée que l’artiste pratique un peu partout. En revanche, le long présentoir qui serpente au milieu de la salle et sur lequel sont placées des dizaines des sculptures à la queue leu leu est une vraie démonstration de son génie du bricolage. Les œuvres sont marquées par l’imagination extraordinaire de Miró et son don de l’hybridation : une chaussure dressée ou un râteau se transforment en une corne ou une tête, une tige en un buste… Si Miró fait partie des créateurs (Degas, Matisse ou Picasso en premier lieu) ayant pratiqué différents médiums, sa spécificité est de commencer la sculpture tardivement (vers l’âge de 50 ans) et d’en faire sa discipline principale.
On pourrait penser également que les sculptures-collages sont une autre façon de poursuivre la peinture, d’organiser des formes, couleurs et textures que rien ne destine à coexister dans un espace donné. À l’aide de cette technique de juxtaposition, les objets de différents registres se trouvent agencés sur un fond commun, solidaires mais non fusionnels, niant toute stabilité figée, définitive. Miró n’écrit-il pas : « Une fois les collages terminés, je les ai utilisés comme point de départ pour les tableaux. » ?
Peintures mais aussi gravures, lesquelles ne sont pas absentes de la manifestation. Partout, on y retrouve ce maître de la métamorphose dont un mot magique résume les activités polymorphes : poésie. Miró reconnaît ses dettes : « La poésie ouvrait de nouvelles possibilités pour moi, et me faisait aller au-delà de la peinture. » De fait, son œuvre semble le prolongement naturel d’un langage qui échappe à toute logique syntaxique. Ses peintures ont souvent un titre évoquant un conte de fées enchanté ; L’oiseau éveillé par le cri aigu et l’azur s’envolant sur la pleine qui respire (1968). Doit-on voir ici un signe du chemin commun parcouru avec les surréalistes ou la trace de ses affinités avec les écrivains ?
Quoi qu’il en soit, sur ces toiles définitivement délestées de leur poids viennent se poser avec légèreté des formes allusives nées d’un rien ; les éclaboussures d’un raffinement étrange se transforment en traces sombres ou lumineuses. Imagier inventé de toutes pièces ou abécédaire dont les lettres n’existent nulle part, entre images et idéogrammes, familiarité et incertitude. Là, un fragment d’anatomie évoque ses origines. Ailleurs, un contour suggestif supplée aux parties manquantes…
La manifestation est articulée en cinq chapitres : « Miró explorateur », « Miró artificier et danseur », « Miró constructeur d’objets manteaux », « Miró penseur, philosophe et poète », « Miró navigateur aérien ». Cet effort pédagogique, accompagné par des panneaux très lisibles, est le bienvenu, même si le découpage semble un peu forcé. En réalité, l’ensemble forme un réseau qui unit subtilement couleurs, taches et lignes, jouant des résonances entre la richesse de la texture et la fragilité des signes, doublant la charge poétique d’une étrange nostalgie. Miró nous convie ainsi à un périple dans un espace comme réenchanté.
Commissaires : Patrick Jourdan, directeur du Fonds Leclerc ; Olivier Kaeppelin, directeur de la Fondation Maeght ; Isabelle Maeght, administratrice de la Fondation Maeght
Scénographie : Éric Morin
Nombre d’œuvres : 220
jusqu’au 3 novembre, Fonds Hélène et Édouard Leclerc, Les Capucins 29800 Landerneau, tél. 02 29 62 47 78, www.fonds-culturel-leclerc.fr, tlj 10h-19h jusqu’à fin août, 10h-18h ensuite.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°395 du 5 juillet 2013, avec le titre suivant : Joan Miró, "L'arlequin artificier"