LONDRES - Il suffisait de voir, lors de la visite réservée à la presse le 2 avril au matin, le nombre de photographes, cameramen, perchistes, journalistes, pour comprendre que l’actuelle exposition de Damien Hirst à la Tate Modern est un événement.
En toute logique d’ailleurs pour un artiste qui a fait de la communication, de l’image et de la consommation d’images, son… image de marque. Au point de devenir lui-même une marque.
Un événement donc, au sens propre du terme et à plus d’un titre. La rétrospective est en effet la première qui lui soit consacrée à Londres et même au Royaume-Uni, autrement dit sur sa terre natale (il a vu le jour à Bristol en 1965). Elle est même la plus importante jamais organisée, sans commune mesure avec la seule qu’il ait vraiment eue à ce jour, aux Pays-Bas en 2005. Montée avec le soutien de la Qatar Museums Authority, présentée jusqu’au 9 septembre et inscrite au programme du « London 2012 Festival », elle est en outre autoproclamée « point culminant de l’Olympiade culturelle » (!) organisée dans le cadre des Jeux olympiques. Soit une certaine cohérence pour un champion en salle… des ventes, habitué aux records et aux podiums. Enfin, elle constitue une grande première puisque c’est essentiellement sur le terrain du marché de l’art que l’artiste s’est illustré, bien plus que sur celui des musées.
Puissance de l’image
Alors justement, qu’en est-il de Hirst dans un cadre pour une fois non mercantile ? Le parcours démarre bien (comme ce fut le cas pour lui, Young British Artist), avec 8 Pans de 1987, un ensemble de poêles et casseroles accrochées au mur. Déjà le cercle et la couleur. Ou encore avec Boxes de 1988. Déjà l’alignement et le principe sériel. Ces aspects sont parfaitement cristallisés et magnifiés avec la série des « Spot Paintings », dont on découvre huit tableaux dans la seconde salle (une série que Hirst a récemment montrée dans les onze galeries Gagosian dans le monde). Les tableaux rappellent l’infinie variété et le principe de ces toiles, défini par Hirst lui-même comme « une approche scientifique de la peinture » et qui évoquent chacune des cercles de couleurs et de formats différents, mais toujours d’une taille égale à l’espace qui les sépare. Dans cette même salle sont également présentées des vitrines avec des crânes et des poissons et surtout cet immense aquarium vitré à l’intérieur duquel tourbillonnent des milliers de mouches autour d’une tête de vache en décomposition sanguinolente. S’ensuit une salle transformée en serre, avec plantes vertes ou fleuries et diffuseur d’humidité dans laquelle volettent des colonies de papilllons.
Au fil des salles se succèdent en fait toutes les œuvres emblématiques de l’artiste, le fameux The Physical Impossibility of Death in the Mind of Someone Living, un requin suspendu dans un aquarium rempli de formol ; Mother and Child Divided, soit une vache et son veau découpés en deux dans la longueur et, eux aussi, plongés dans du formol ; les armoires à pharmacie ; les tableaux-armoires où sont alignées des rangées de pilules ; les grands tableaux mandala avec des ailes de papillon… Hirst nous en met plein la vue, c’est son but. Et face à un tel déploiement, on réalise qu’on ne peut pas balayer tout cela d’un revers de la main, contrairement à ce qu’on entend dire parfois. Car l’artiste a indéniablement un formidable talent pour mettre en scène, en espace, en vitrines. Tout est parfait (trop ?), nickel. Autour de quelques idées simples, la vie/la mort, la beauté/la fragilité, il sait être efficace, faire de l’effet, créer des chocs ; il est dans la suren-chère, la démesure, le coup de poing.
Et effectivement ça cogne. Mais ce jeu subtil sur la puissance de l’image et donc par contre-coup sur l’art, le marché de l’art, l’aura de l’art et toutes les relations de l’art et de la société, est-il suffisant pour faire de Hirst un très grand artiste ? D’autant qu’il n’hésite pas à franchir la ligne, comme dans cette salle où trône Judgement Day, une immense vitrine (8,7 m de long sur 2,4 m de haut !), dont toutes les étagères sont remplies de diamants en zircon, et qui est accrochée sur du papier peint figurant à l’infini ces mêmes petites pierres. Brillant, clinquant, nauséeux. Dans le genre, le sommet est atteint avec le fameux crâne recouvert de 8 601 diamants, présenté ici trois étages plus bas au niveau du Turbine Hall, dans un espace noir conçu comme un véritable écrin. En le voyant, tout semble s’éclairer : un requin, une serre humide, des milliers d’insectes, de diamants, de dollars (il vaudrait d’ailleurs mieux parler là de millions), un crâne, un graal : en fait c’est à une nouvelle aventure d’Indiana Jones que nous convie Hirst. Nous revient alors en tête la dernière œuvre de l’exposition, un oiseau blanc élégamment suspendu dans du formol. Faut-il y voir le symbole de paix et de pureté de la blanche colombe ou le fait que Damien Hirst prend le visiteur pour un pigeon ?
Damien Hirst, Jusqu’au 9 septembre, Tate Modern, Londres, Bankside 44 20 78 87 88 88, tlj 10h-18h, ven. et sam. jusqu’à 22h. Catalogue, 224 p., 35 livres (43 euros), couv. souple 24,99 livres (30 euros).
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Hirst, l’aventurier de l’art perdu
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaire de l’exposition : Ann Gallagher, assisté de Loren Hansi Momodu
- Nombre de salles : 14
Légende Photo :
Damien Hirst - The Physical Impossibility of Death in the Mind of Someone Living (1991) - Requin, formol, structure. © Damien Hirst and Science Ltd. All rights reserved. Photo: Prudence Cuming Associates
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°369 du 11 mai 2012, avec le titre suivant : Hirst, l’aventurier de l’art perdu