APRÈS-GUERRE

Zoran Music en chambre

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 20 septembre 2018 - 462 mots

Au Palazzo Fortuny, à Venise, est reconstituée une salle conçue par l’artiste en 1950 pour la villa de deux collectionneuses suisses.

Venise. Le Palazzo Fortuny met en scène des travaux réalisés par Zoran Music entre la fin des années 1940 et le début des années 1950. Sur les murs, des peintures, des pastels, des dessins ; le peintre a fait appel à différentes techniques pour représenter des cavaliers et des paysages rocheux d’après des motifs vus en Dalmatie, en Toscane ou en Ombrie. Les couleurs (terre, ocre et gris) sourdes et en demi-ton, la lumière tamisée, permettent à peine de distinguer les figures simplifiées à l’extrême. Les silhouettes émergent d’un espace sans profondeur ; le tout reste évanescent, insaisissable. Ailleurs, quelques portraits hiératiques, archaïsants, essentiellement ceux de sa future femme à l’époque – Ida, 1947.

Cet ensemble est montré en regard du projet réalisé par Music en 1950. Au cœur de la présentation vénitienne se trouve une petite salle qui est une reconstitution des décors commandités par les sœurs Charlotte et Nelly Dornacher pour le sous-sol de leur villa à Zurich. Plus qu’un simple ornement, Zoran Music, faisant appel à ses thèmes préférés, réalise pratiquement une œuvre d’art totale. Il a peint non seulement les décors sur plâtre et sur toile de jute et de lin, mais aussi les motifs décoratifs, brodés sur les rideaux et les nappes qui ornent la pièce.

Longtemps négligée, la salle a été restaurée grâce à l’intervention de Paolo Cadorin, le beau-frère de l’artiste. Son « transfert » pour quelques mois à Venise, qui a demandé des efforts techniques exceptionnels, rappelle l’attachement de Zoran Music à cette ville où il s’installe après la guerre.

Des collines ou des cryptes

Mais, justement, peut-on dissocier cette période de Music de l’ensemble de sa production picturale ? Il y a des œuvres que l’on ne regarde pas comme les autres. Face aux images présentées ici, il est difficile d’oublier que la vie et l’œuvre du peintre ont été déterminées par sa déportation à Dachau, du printemps 1944 au printemps 1945. Plus encore, comment ne pas être renvoyé à la terrifiante et splendide série « Nous ne sommes pas les derniers » (1970-1976), ce cycle de montagnes de cadavres, en découvrant ces collines, cette terre mise à nu ? On comprend que ce ne sont pas de simples paysages, mais des cryptes dans lesquelles sont enfouis ces souvenirs traumatiques. « J’attendais que cette vision prenne une forme dans ma mémoire », dit Music. C’est, curieusement, dans les photographies faites par l’artiste exposées au Palazzo Fortuny que se devinent ces configurations.

Des années plus tard, d’autres portraits ou autoportraits semblent se dissoudre, et expriment le naufrage de la vieillesse, mais sans pathos. Assis face à face, les deux personnages de Couple, 1989, partagent la même activité – l’attente.

Hommage à Zoran Music, la salle de Zurich,
jusqu’au 21 octobre, Palazzo Fortuny, San Marco 3958, Venise.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°507 du 21 septembre 2018, avec le titre suivant : Zoran Music en chambre

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