Wojnarowicz ou la chair à violer

L'ŒIL

Le 1 mai 1999 - 274 mots

« Je me réveille chaque matin dans cette machine à tuer qu’on appelle l’Amérique, portant en moi la rage comme un œuf plein de sang. » Lorsqu’il prononce ces mots en 1992 devant les membres d’une association d’aide aux toxicomanes séropositifs, David Wojnarowicz n’a plus que quelques semaines à vivre. Lui-même atteint du sida, il a vu, peu de temps auparavant, disparaître son compagnon, le photographe Peter Hujar.

Wojnarowicz a tout du héros contemporain – prostitué, drogué, fusillé en plein vol par la maladie. Il fait néanmoins partie de cette espèce plus rare des héros qui refusent de mourir en silence. Bien au contraire. L’œuvre de David Wojnarowicz se débat en hurlant pour ne pas se faire oublier. Plus que l’expression de la souffrance d’un homme, elle est sa vie même, colère brute contre une Amérique peuplée de tous les vieux démons qu’il affronte en faisant le trottoir dès l’âge de neuf ans, alors qu’il fuit un foyer suffocant sous la violence paternelle. Tous les moyens sont utilisables pour arracher de son souvenir ces années où, pour le monde adulte, il ne fut qu’une chair tendre de plus à violer. De la photo à la bande dessinée, de la peinture aux collages, de l’écriture (son journal intime vient d’être publié) à la vidéo, David Wojnarowicz réalise une œuvre tendue, cauchemardesque comme le fut celle de Goya décrivant les horreurs de la guerre. Elle est d’autant plus exemplaire qu’elle fait encore peur à l’Amérique, qui tarde à la découvrir et à l’honorer. Elle n’en restera pas moins comme le témoignage le plus brutal de la fin d’une époque.

NEW YORK, New Museum, jusqu’au 20 juin.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°506 du 1 mai 1999, avec le titre suivant : Wojnarowicz ou la chair à violer

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