Étrangement humaines, les saynètes animalières du peintre américain sont actuellement exposées au Musée de la chasse et de la nature à Paris.
Il est un art que le regard ne considère trop souvent à l’ordre d’une pratique mineure, c’est l’art animalier. Il a pourtant enrichi l’histoire de l’art depuis les temps les plus anciens, que ce soit en peinture, en sculpture ou dans les autres médiums. Des figures du minotaure et du sphinx, si prisées dans l’Antiquité, à celles du tigre, de l’aigle et du lion, chéries à l’époque moderne, nombre d’artistes ont contribué à lui donner ses lettres de noblesse. Si l’art contemporain n’est pas en reste, la doxa le considère souvent comme relevant du kitsch pour en dénoncer le caractère désuet. Il n’en est rien et l’art de Walton Ford en est une puissante illustration.
Né à New York en 1960, Walton Ford constitue depuis une trentaine d’années tout un bestiaire dont les images s’offrent à voir entre planches d’illustrations, travaux scientifiques, fables, fictions et narrations. Élevé dans une famille passionnée de pêche et de chasse, l’artiste dit s’être « pris de passion [tout jeune] pour les lieux sauvages extrêmes », dessinant « des scènes violentes d’animaux qui se battent ». Mais l’art de Ford ne se cantonne pas à la simple représentation du monde animal, il est chargé d’un monde de références empruntées à l’histoire, à la mythologie, à la littérature, au cinéma, à la science-fiction, à la bande dessinée, etc. C’est dire s’il outrepasse grandement le genre pour le porter au premier rang d’une production artistique pleinement contemporaine, d’autant que Walton Ford est un dessinateur et un coloriste hors pair qui a un sens de la composition lui permettant de tenir des formats volontiers monumentaux. De plus, il joue de sa connaissance du règne animal pour établir toutes sortes de connexions discrètes avec le monde des humains sans jamais céder à la facilité de l’analyse comparée.
Au Musée de la chasse et de la nature, l’artiste a choisi deux modes d’intervention : primo, en réalisant un certain nombre de pièces spécifiquement pour le lieu sur le thème de la bête de Gévaudan ; secundo, en s’immiscant dans le parcours des collections. Il en résulte une ballade prospective qui instruit non seulement la visite d’une dimension ludique et pleine d’heureuses surprises, mais en revivifie les différentes étapes comme la salle de La Singerie, occasion pour l’artiste de multiplier les citations, à Jarry et à Maupassant par exemple, ou de célébrer son maître, le peintre ornithologue Jean-Jacques Audubon (1785-1851). À moins qu’occupant la place et le format d’une œuvre du musée – telle une peinture de Carle Vernet, ordinairement accrochée au-dessus de la cheminée –, Ford ne s’amuse à lui emprunter certains détails, ainsi de Représentation véritable (2015), la bête de Gévaudan saisissant et étranglant un renard par le col.
D’une salle à l’autre, l’exposition se présente sous la forme d’une sorte de grand livre d’images à feuilleter et de notices à lire, entraînant le visiteur à la découverte de tout un monde de contes, de légendes et d’histoires vraies. Si l’on se laisse volontiers emporter, c’est autant par l’imaginaire de l’artiste qui résonne en nous de façon familière au regard de la part fabuleuse de l’aventure que par la prouesse technique dont il fait preuve et qui est le garant de son succès. Vérification est donc faite que l’art animalier est à même de capter notre attention, de nous interroger, voire de nous enchanter, pour un peu qu’on l’aborde sans préalable. À une époque gourmande d’images, celles de Walton Ford ont cette qualité de s’adosser aux récits les plus anciens d’une histoire de l’homme, de ses mythes et de sa condition. Elles ne peuvent donc pas nous laisser indifférents.
1 Suzie, la bourgeoise
Nommée Suzie, cette guenon, qui était la vedette du zoo de Cincinnati dans les années 1930, est ici figurée lors d’une tournée triomphale qu’elle fit en Amérique. La façon amusée dont l’artiste la représente fait penser à ces portraits de grands bourgeois photographiés à la fin du XIXe siècle dans leur intérieur cosy. Totalement indifférent à tout ce qui l’entoure, le regard perdu dans ses pensées, l’animal pose dans un décor chatoyant de tissus rayés et de natures mortes qui nous ferait oublier qu’il est en suspens entre ciel et mer.
2 Le « rhino » qui prend l’eau
Hommage déclaré à Dürer, auteur d’une célèbre gravure au motif de la même figure de rhinocéros, Walton Ford n’a pas son pareil pour rendre compte des pelages, des carapaces ou autres surfaces épidermiques des animaux qu’il représente. Par-delà l’histoire de l’envoi de la bête alors inconnue en Europe par le roi du Portugal Manuel Ier au pape Léon X et du naufrage dont elle est victime en 1515, l’artiste s’applique surtout à rendre compte de l’aspect cuir de sa peau et joue subtilement du contraste avec les flots qui envahissent le navire.
3 Une tigresse contrariée
Superbe et magnifique, dans sa robe jaune et noire, elle rugit, patte avant gauche levée en signe de mouvement contrarié, arrêtée qu’elle a été dans sa course à l’aide de miroirs selon un très vieux stratagème. Ford plante sa tigresse sur fond de décor montagneux, entourée de boules miroitantes qui renvoient l’image du paysage alentour. Il inscrit ainsi son fauve dans la grande tradition de représentation féline qu’illustrent Delacroix, Barye ou Bartholdi, tout en lui conférant une portée autobiographique, l’artiste l’ayant peinte pendant une période troublée.
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Walton Ford, une fable animalière
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 14 février. Musée de la nature et de la chasse, Paris-3e. Du mardi au dimanche de 11 h à 18 h. Le mercredi jusqu’à 21 h 30.
Tarifs : 8 et 6 €.
Commissaires : Claude d’Anthenaise et Jérôme Neutres.
www.chassenature.org
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°686 du 1 janvier 2016, avec le titre suivant : Walton Ford, une fable animalière