Nul artiste n’éveille autant de fantasmes que Léonard de Vinci. Saurez-vous démêler le mythe de la réalité en 15 points ?
vrai - C’est la Cène de Milan qui a fondé la célébrité de Léonard. Les apôtres, qui viennent d’apprendre que l’un d’eux trahira le Christ, parlent entre eux, s’inquiètent, se disputent. Les visages, les gestes, les attitudes des personnages de ce drame constituent comme un manifeste de l’art de Léonard de Vinci, exprimant les « mouvements mentaux » et ceux « de l’âme ». Mais voilà qu’au XIXe siècle, la Joconde, qui avait été dissimulée aux regards, entre dans les collections du Louvre. Des poètes comme Théophile Gautier ou Charles Baudelaire s’éprennent de son sourire énigmatique, qui vole peu à peu la vedette à la peinture de Milan.
vrai - Pendant sa formation, Léonard apprit à dessiner le nu et les drapés, et à représenter la perspective, avant d’utiliser le dessin pour préparer la composition de ses tableaux. Il fut très curieux des outils du dessin : après la plume et la pierre noire, il s’intéressa à la plume métallique qui lui permettait de tracer des contours doux et subtils, puis à la sanguine, avec laquelle il perfectionna son travail à l’estompe. Par ailleurs, « il n’exerça pas seulement une profession, mais toutes celles où intervenait le dessin », remarque Giorgio Vasari, pour qui le dessin est « le père des arts » : sculpture, architecture et peinture.
faux - « La technique de Léonard de Vinci défie toutes les méthodes d’analyse », constatait en 1954 Madeleine Hours, qui dirigeait le laboratoire du Louvre, au sujet du troublant sfumato de Léonard de Vinci, cette peinture que le génie florentin voulait « sans lignes ni contours, à la façon de la fumée » et dont La Joconde, le Saint Jean-Baptiste et la Sainte Anne du Louvre expriment la quintessence. Mais, en 2004, un examen spectrométrique de fluorescence des rayons X des tableaux de Léonard au Louvre fut mené par le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) : l’analyse établit que Léonard déposait à la surface de sa peinture une succession de glacis, sur lesquels il appliquait des touches infimes de peinture, produisant un subtil effet brumeux laissant passer la lumière.
Vrai et faux - C’est pour perfectionner son art que Léonard entreprit d’étudier la nature. Mais le dessin s’avéra aussi pour lui un outil de connaissance, si bien que l’étude de la géologie, de la botanique, de l’anatomie ou de l’optique devinrent une fin en soi. « Chaque jour, il faisait des modèles et des dessins concevant le moyen d’excaver les montagnes avec facilité et de les forer pour passer d’une plaine à l’autre et, par voie de leviers, de poulies et de vis, démontrait qu’il est possible d’élever et de mouvoir de grands poids […] ; car ce cerveau ne cessait d’enfanter des rêves bizarres, et de ces pensées et labeurs témoignent de nombreux dessins », rapporte Vasari.
faux - Ayant quitté l’école vers 12 ans pour entrer dans l’atelier d’Andrea del Verrocchio, Léonard de Vinci ignore le latin classique et le grec. Mais en homme de son temps, il s’interroge sur l’ordre du monde. En 1505, « entre les livres prêtés et ceux personnellement possédés, la “bibliothèque” de Léonard se montait à environ 200 ouvrages », avance Daniel Arasse dans son Léonard de Vinci, aujourd’hui réédité chez Hazan. Et pour étancher sa soif d’apprendre, il se tourne aussi vers des spécialistes – savants, maçons, ingénieurs ou maîtres d’école. Ainsi, il profite de la présence du mathématicien Luca Pacioli à la cour de Milan pour étudier la géométrie d’Euclide !
faux - La première pierre du château de Chambord fut posée en septembre 1619, quelques mois après la mort de Léonard, établi à Amboise trois ans plus tôt à l’invitation de François Ier. Les croquis d’architecture sont très présents dans les carnets de Vinci, témoignant de ses recherches d’une architecture idéale. Il fut par ailleurs consulté pour plusieurs projets d’architecture en Italie, sans s’en voir confier pour autant la mise en œuvre. Ses conceptions architecturales étaient-elles trop utopiques ? Peut-être. L’esprit de Léonard semble cependant habiter le château de Chambord, notamment dans son plan centré et son escalier à double révolution.
vrai - Dans ses Vies, Giorgio Vasari décrit Léonard de Vinci comme le fondateur de la « manière moderne », qui sut véritablement « donner à ses figures le mouvement et le souffle ». Pour l’auteur, qui conçoit le développement de l’art sur le modèle de la vie organique, cette « manière moderne » correspond au troisième âge de la Renaissance. La révolution initiée par Léonard de Vinci par rapport aux artistes du Quattrocento, dont l’art porte à son accomplissement la règle et l’imitation de la nature ? Introduire « la licence dans la règle », oxymore qui exprime une liberté nouvelle dans le respect de la tradition, et « cette grâce facile et douce qui apparaît entre le voir et le non-voir, comme dans la chair et les choses vivantes ».
Vrai - « Une figure ne sera louable que si elle exprime avec le geste les passions de son âme », considère Léonard de Vinci, dont on a conservé plus d’une centaine de feuilles où il a représenté des « têtes de caractère ». Parmi ces expressions, il affectionne particulièrement le sourire, expression la plus subtile de l’intériorité, qui anime en particulier les visages de la belle Joconde, de l’aimante Sainte Anne et du troublant Saint Jean-Baptiste du Louvre.
vrai - « Dans les écoles d’anatomie des médecins, il disséquait des cadavres de criminels, indifférent aux aspects inhumains et répugnants de cette étude », témoigne le médecin et historien Paolo Giovio dans sa Vie de Léonard de Vinci peintre et sculpteur florentin, vers 1527. Dans le but de composer un traité général d’anatomie, Léonard aurait disséqué plus de vingt corps au long de sa vie. Cependant, malgré la finesse de ses observations – il identifia notamment quatre cavités cardiaques là où Descartes n’en observa que deux –, son traité d’anatomie resta à l’état de projet.
vrai - L’homosexualité de Léonard de Vinci – qui n’eut ni femme ni enfant, fut accusé de sodomie et se prit de passion pour l’un de ses élèves mauvais garçon, Salaï – est très probable. Dans son essai Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, Sigmund Freud suppose cependant que Léonard de Vinci avait très tôt converti sa sexualité « en pulsion de savoir ».
faux - L’écriture inversée de Léonard, qui se lit dans un miroir, serait pour certains l’indice d’un secret ésotérique que le génie aurait voulu dissimuler. Mais en réalité, elle est la conséquence de la liberté d’esprit de Léonard, qui était gaucher et écrivait de la façon qui lui était la plus naturelle.
faux - Pour Léonard de Vinci, la peinture doit imiter la nature, et l’étude de la nature permet à l’artiste de découvrir la beauté de la création divine. Mais ce peintre révolutionnaire ne fait pas pour autant table rase de la tradition : il est resté une dizaine d’années en apprentissage dans le célèbre atelier d’Andrea del Verrocchio, où il s’est imprégné de la tradition florentine. Par ailleurs, son art exprime une grande affinité avec celui des peintres flamands, à travers lesquels il a pu découvrir la technique du sfumato, qu’il a menée à sa perfection.
faux - On attribue parfois à Léonard de Vinci l’invention du vélo, de l’avion, de l’hélicoptère, du char d’assaut, du sous-marin ou encore du scaphandre. Un visionnaire en avance sur son époque ? Pas si vite. Car à travers les machines qu’il imagine, Léonard de Vinci se révèle aussi homme de son temps, marqué par les innovations techniques rendues possibles par les progrès de la métallurgie ou de la transmission du mouvement.
vrai - Il fut au service de Cesare Borgia, du roi de France Louis II, de Julien de Médicis, frère du pape, et de François Ier. Beau, élégant, raffiné, Léonard savait briller en société. « On voit souvent les plus grands dons pleuvoir naturellement des influences célestes sur les corps humains, et on les voit parfois, surnaturels, s’amonceler sans mesure en un seul, beauté, grâce et vertu », s’enflamme Vasari au sujet de Léonard de Vinci « chez qui, hors la beauté corporelle, jamais assez louée, tout acte était d’une grâce plus qu’infinie ». Le génie sut cependant préserver sa solitude et se dérober poliment quand il en ressentait la nécessité, par exemple face à Isabelle d’Este. « La sociabilité de Léonard n’aurait […] été qu’un masque sous lequel l’artiste se mettait hors d’atteinte et préservait son intériorité », avance Daniel Arasse.
vrai - « Il se trouve que Léonardo, par intelligence de son art, commença un grand nombre de choses et n’en finit jamais aucune, car il lui semblait que la main ne pouvait ajouter à l’art accompli des objets de son imagination, puisqu’il se formait dans la pensée de si prodigieuses difficultés que jamais ses mains, encore qu’elles fussent plus qu’excellentes, n’auraient su les exprimer », écrit Giorgio Vasari. C’est ainsi qu’on peut voir l’artiste passer sur une même feuille d’un croquis artistique à une étude scientifique, sans aucun rapport l’un avec l’autre. Ce perfectionniste peignait également lentement, réalisant ses œuvres durant plusieurs années, et ne se lassant pas de rendre plus parfaites les transitions de l’ombre à la lumière qui font vibrer sa peinture.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°727 du 1 octobre 2019, avec le titre suivant : Vrai ou faux ? 15 questions pour devenir incollable sur Vinci