À Rome, une exposition tente de montrer l’influence durable de Giorgio De Chirico
et des artistes de son entourage sur la peinture moderne.
ROME - Écuries papales transformées en 1999 en vaste espace d’exposition, les Scuderie del Quirinale, à Rome, prêtent leurs cimaises à d’« hermétiques visions carrées », pour reprendre les termes de l’historien de l’art Hans Belting. Grandes places désertes bordées d’arcades, perspectives quattrocentesques où se profilent chemins de fer et statues, associations improbables d’objets et paysages oniriques occupent les deux étages et les dix salles de l’institution, qui tente de montrer en 114 œuvres l’influence exercée par Giorgio De Chirico (1888-1978) et le mouvement « métaphysique » (lire l’encadré) sur la peinture moderne. « De l’Allemagne à la Grande-Bretagne, du dadaïsme à la Nouvelle Objectivité en passant par le Novecento italien, de nombreux artistes, même isolés, trouvèrent dans les images de De Chirico une source d’inspiration », constate Ester Coen, commissaire de l’exposition, dans le catalogue. Pour mieux faire émerger cette filiation, la spécialiste a choisi de rassembler les œuvres par affinités stylistiques ou iconographiques. Sont par exemple réunis des tableaux de Carrà, Morandi ou Magritte reprenant le motif du mannequin cher à De Chirico, ou des compositions de Miró, Picasso et Arshile Gorky lointainement inspirées du maître de la Peinture métaphysique.
Original à défaut d’être toujours intelligible, ce parti pris se heurte toutefois à l’absence totale de discours d’accompagnement. Aucun panneau, cartel explicatif, titre de section ou texte d’introduction ne viennent éclairer une présentation qui finit ainsi par devenir un pur exercice de style. Restent les œuvres, dont la qualité le dispute au pouvoir évocateur. On compte notamment une trentaine de De Chirico des années 1911-1919, poétiques et énigmatiques illustrations des recherches « métaphysiques » du peintre. « Après avoir lu les ouvrages de Nietzsche, je m’aperçus qu’un grand nombre de choses étranges, inconnues, solitaires, pouvaient être traduites en peinture. J’y réfléchis longuement. Je commençai alors à avoir les premières révélations », écrit l’artiste en 1909. Fasciné par la « sereine et incroyable beauté de la matière », comme il l’écrit dans Noi metafisici, et désireux de « se libérer de l’anthropomorphisme » – c’est-à-dire « voir tout, même l’homme, en tant que chose » –, De Chirico invente une peinture où les objets deviennent concepts et sentiments. Deux artichauts et une ligne d’horizon où passe un train évoquent ainsi la Mélancolie d’un après-midi (1913), tandis qu’une pièce ouverte sur un paysage et habitée par deux statues représente L’Énigme de l’oracle (1909). Cette tentative « d’arracher aux choses, à leur silence, leur inertie, leur impassibilité, quelques-uns de leurs secrets surnaturels » (Maurice Reynal) fascinera Savinio, Carrà, De Pisis, et plus brièvement Sironi et Morandi, dont l’exposition présente un bel ensemble de natures mortes d’inspiration métaphysique. Celle-ci fait également la part belle aux surréalistes (Max Ernst, Magritte, Tanguy, Miró, Dalí, Giacometti), avec des toiles inattendues telles que Le Jockey perdu de Magritte (1926, collection particulière), forêt de quilles où s’est égaré un cavalier, ou rarement montrées comme l’Histoire naturelle de Max Ernst (1923, Musée d’art contemporain de Téhéran), sortie pour la première fois d’Iran en 2002 à l’occasion de la « Révolution surréaliste » à Beaubourg.
Jusqu’au 6 janvier 2004, Scuderie del Quirinale, via XXIV Maggio 16, Rome, tlj 10h-20h, vendredi et samedi 10h-22h30, tél. 39 06 69 62 70, www.scuderiequirinale.it. Catogue Electa en italien et anglais, 35 euros.
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Visions métaphysiques
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Abonnez-vous dès 1 €Expression de la crise du futurisme, le courant métaphysique prend forme en 1916, lors de la rencontre fortuite, dans un hôpital militaire de Ferrare, de De Chirico, Savinio, Carrà et De Pisis. À partir de 1920, Morandi y adhère également. Mais le mouvement naît en réalité d’une série de recherches antérieures, menées par Giorgio De Chirico dès les années 1910 et fondées sur la métaphore et le rêve. De 1916 à 1922, cette expérience réunit peintres et écrivains autour de la revue Valori Plastici. Elle prend fin au début des années 1920 avec les derniers tableaux métaphysiques de De Chirico, Morandi et Carrà, mais marquera profondément les surréalistes – De Chirico participe à la première exposition du groupe en 1925 –, et, dans une certaine mesure, les expressionnistes abstraits au premier rang desquels Arschile Gorky, dernier peintre à être accepté par les surréalistes et premier représentant de l’école de New York.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°181 du 21 novembre 2003, avec le titre suivant : Visions métaphysiques