Pour la première fois depuis la Révolution, des œuvres insignes du Louvre retrouvent leur emplacement à Versailles pour l’exposition « Versailles et l’Antique ». Un événement inimaginable il y a encore peu…
Transformé à la Révolution en Muséum central des arts, le Louvre accapare une multitude d’œuvres saisies dans les collections royales. En réaction, la ville de Versailles pétitionne pour que soient ramenées au château les œuvres qui en ont été distraites ; pour atténuer ses velléités, un Musée spécial de l’École française y est créé. Pendant une dizaine d’années, les écoles étrangères sont ainsi présentées à Paris et l’École française à Versailles, jusqu’à ce que Napoléon ferme le musée versaillais pour s’installer au palais. Il faut attendre l’ouverture du Musée de l’histoire de France, en 1837, pour que Versailles retrouve un rôle muséal et une partie de ses collections.
Ce musée connaît un succès de courte durée et le château retombe dans l’oubli, jusqu’à l’arrivée de conservateurs volontaristes, au début du XXe siècle. Artisan de ce renouveau, Pierre de Nolhac lance d’importants travaux et une entreprise titanesque : remeubler un château pratiquement vide. Malgré ses efforts, seule une poignée d’œuvres regagnent la demeure sous son mandat.
Le mobilier, le nerf de la guerre
À partir des années 1930, le remeublement devient une question plus centrale, car la direction des Musées nationaux incite les établissements possédant des œuvres de Versailles à les restituer. Gaston Brière, conservateur à Versailles, tente de convaincre le Louvre de ne conserver que les pièces exceptionnelles et de lui rendre celles qu’il estime moins importantes. Son homologue aux Objets d’art du Louvre, Pierre Verlet, ne l’entend, évidemment, pas de cette oreille et suggère de recourir à des copies pour restituer le décor disparu.
Mais c’est véritablement au lendemain de la guerre, avec l’arrivée de Gérald Van der Kemp à la tête de Versailles, que les relations entre les deux institutions s’enveniment ; ce dernier faisant du remeublement son cheval de bataille pendant près de trente ans. Fin politique, il obtient en 1961 du Premier ministre, Michel Debré, un décret ordonnant le retour à Versailles du mobilier royal se trouvant dans les administrations et collections publiques, à l’exception des musées nationaux.
Malgré l’exclusion des musées du champ d’application du décret, Van der Kemp réussit, grâce à l’appui de Malraux, à récupérer des œuvres considérables du Louvre. Les tensions atteignent leur paroxysme à l’occasion du retour forcé du tableau Le Repas chez Simon de Véronèse. Au terme d’un bras de fer, le Louvre accepte de rendre le tableau à la condition qu’il ne soit pas roulé. L’œuvre réintègre le château dans des circonstances ubuesques : pour faire entrer le tableau, de près de 10 m de large sur 5 de haut, les montants des fenêtres du salon d’Hercule, fraîchement restauré, doivent être démontés.
Mais les difficultés ont existé dans les deux sens, rappelle Geneviève Bresc-Bautier, directrice du département des Sculptures du Louvre. « Dans les années 1970, le Louvre rend une importante statue à Versailles qui s’empresse d’estamper son numéro dans le bronze, avant de la retourner car elle ne les intéressait finalement pas. Même s’il y a aussi eu de nombreux retours, opérés de façon plus pacifique, il est indéniable qu’au cours des deux dernières décennies les choses se sont nettement améliorées. »
Apaisement, collaboration et pragmatisme
Après le départ des ennemis historiques des deux musées, les tensions se décrispent en effet progressivement. Béatrix Saule, directrice du Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, a ainsi été témoin d’un « réchauffement très net des relations. Nous sommes désormais dans une démarche nouvelle de collaboration et de confiance mutuelle. Nous procédons à des échanges d’œuvres sans avoir la volonté de gagner l’un sur l’autre mais, au contraire, en considérant qu’un bon échange, c’est quand chacun y trouve son compte ».
Au fil des années, les collaborations se sont sensiblement accentuées, notamment via des prêts exceptionnels consentis par les deux parties, à l’instar des expositions « Louis XIV » et prochainement « Le Nôtre » à Versailles ou de la manifestation « Les Tuileries » organisée par le Louvre à Atlanta, fin 2013. Outre les prêts, les musées s’engagent dans des projets communs, à l’image de la réouverture, tant attendue, de la gypsothèque du Louvre. Une prestigieuse collection de moulages, un temps problématique, car propriété du Louvre mais sise dans la Petite Écurie du roi à Versailles, dont le château assure le clos et le couvert.
Cette nouvelle dynamique se matérialise surtout dans des campagnes de dépôts croisés et d’échanges. « Contre des antiques auparavant installés dans la galerie des Glaces, qui ne figuraient pas dans le programme décoratif initial, le Louvre nous a autorisés à mouler trois sculptures qui y étaient originellement présentées : la Vénus d’Arles, la Diane de Versailles et le Germanicus », confie Alexandre Maral, conservateur à Versailles. Dans le même esprit de rationalisation, des collections, des sculptures, installées au XIXe siècle, qui intéressent le Louvre et que Versailles souhaite retirer de ses jardins pour des raisons de conservation préventive, vont être troquées contre les moulages d’œuvres initialement présentées à cet emplacement et aujourd’hui conservées au Louvre.
Enfin, la perspective de la réouverture des salles de mobilier XVIIIe siècle du Louvre a également dopé la politique de dépôts croisés. Paris a largement contribué à remeubler les appartements de Louis XV et, en contrepartie, Versailles a accepté de se défaire de pièces insignes, sans provenance royale, à l’image de la Pendule de la création du monde ou du Cabinet de pierres dures du duc d’Aumont. « Bien sûr nous ne sommes pas tombés d’accord sur tout, il y a encore des pièces pendantes. Mais nous avons envie de travailler ensemble et nous nous informons de nos projets scientifiques et culturels respectifs, afin de nous aider à les réaliser », précise Béatrix Saule.
Cependant, malgré un climat rasséréné, certaines pièces posent encore problème, notamment un lot de peintures. Comme le souligne Geneviève Bresc-Bautier, « plus que sur la question de l’appartenance, les dissensions portent parfois sur le statut des œuvres. Au Louvre, elles sont exposées pour leur valeur intrinsèque alors qu’à Versailles, elles peuvent n’être regardées que comme un élément de décor. »
Informations pratiques. « Versailles et l’antique », jusqu’au 17 mars. Château de Versailles. Ouvert du mardi au dimanche de 9 h à 17 h 30. Tarifs : 15 et 13 €. www.chateauversailles.fr
Exposition. Qualifié de « Nouvelle Rome », Versailles est une référence permanente à l’Antiquité par ses collections, ses décors mythologiques et son architecture. L’exposition « Versailles et l’antique » rassemble plus de deux cents chefs-d’Œuvre de l’Antiquité au Château, issus des collections françaises et principalement du Louvre. Dans les salles d’Afrique et de Crimée, elle évoque les souverains s’identifiant à Apollon, les sculptures en extérieur de Versailles et de Marly, les décors inspirés d’Auguste, de Trajan et de Scipion comme de la mythologie galante et ceux plus éphémères édifiés pour les spectacles et les cérémonies. Elle rassemble pour la première fois les pièces maîtresses des collections royales qui ont tant inspiré les artistes de la cour. [lire L’œil n°653].
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Versailles et le Louvre : deux géants réconciliés
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°654 du 1 février 2013, avec le titre suivant : Versailles et le Louvre : deux géants réconciliés