Murées dans les réserves du Musée des arts décoratifs, à Paris, pendant près de quatre-vingt-dix ans, dix spectaculaires frises espagnoles de la Renaissance, provenant de Vélez Blanco en Andalousie, ont été exhumées lors de récents travaux. À la surprise d’une telle découverte s’ajoute l’intérêt historique de ces œuvres en bois sculpté, dont le caractère profane, très rare dans l’Espagne du Cinquecento, fait tout le prix. Aujourd’hui restaurées, sept d’entre elles sont présentées au public.
PARIS - En 1904, le célèbre collectionneur Émile Peyre lègue sa collection d’objets d’art, de peintures et de sculptures, médiévales et renaissantes, au Musée des arts décoratifs, à Paris ; mais, à aucun moment, ne sont mentionnées les dix frises sculptées provenant du château de Vélez Blanco. “La raison en est la suivante, explique Monique Blanc, conservatrice du département Moyen Âge et Renaissance : quand Émile Peyre a acheté ces œuvres en 1903 à un certain Goldberg, il n’a pas pu les mettre dans son hôtel particulier. Elles ont donc été stockées au pavillon de Marsan qui doit accueillir à terme l’ensemble de sa collection. Or, à cette époque, le pavillon est en pleins travaux. Alors qu’on construit les batteries de chauffage, certains lieux sont murés de façon un peu anarchique ; les frises se retrouvent ainsi emmurées. En 1992, les anciennes batteries de chauffage sont détruites et les murs abattus. Dans un recoin, sont alors découvertes de grandes caisses contenant d’impressionnantes frises en bois sculpté.” Noircies par les ans mais protégées par leur prison de briques, elles ont subi de longues restaurations et peuvent aujourd’hui être présentées au public, avant qu’une partie d’entre elles ne trouve place dans les salles du Moyen Âge et de la Renaissance.
À l’époque de la trouvaille, l’enthousiasme s’était bientôt teinté d’une relative perplexité. “Entrées avant le legs, elles n’ont pas été inventoriées et elles ont été oubliées, raconte la conservatrice. La mention d’Almeria sur les factures d’Émile Peyre m’a donné un point de départ, et l’identification des blasons, de Pedro Fajardo y Chacón et de sa seconde épouse Doña Mencía de la Cueva, a permis de rapporter les frises à Vélez Blanco, en Andalousie.” Ce château n’est pas inconnu des historiens de l’art, puisque le Metropolitan Museum of Art à New York – où les frises seront d’ailleurs exposées l’an prochain – en possède le patio, dans le pur style de la Renaissance italienne.
L’écho de Mantegna
Les reliefs n’étaient pas installés dans ce patio, mais sur les murs de deux salons du deuxième étage, à trois ou quatre mètres de hauteur. Les Travaux d’Hercule se trouvaient dans le Salón de la Mitología, et le Triomphe de César dans le Salón del Triunfo. Cette dernière frise recueille indéniablement l’écho des Triomphes d’Andrea Mantegna, mais c’est grâce aux gravures que le modèle a été connu par les artistes de Vélez Blanco, et plus particulièrement celles de Jacopo da Strasbourg, éditées à Venise en 1503. La source est d’autant plus aisée à déterminer que Jacopo a ajouté nombre de détails iconographiques aux prototypes du peintre padouan. Pour l’histoire d’Hercule, ce sont des estampes de Zoan Andrea Vavassori, publiées entre 1506 et 1510. Malheureusement, le dépouillement d’archives en Espagne n’a pas apporté de précisions sur la date de la commande ni sur l’identité des artistes.
En raison de la rareté des sculptures à caractère profane dans l’Espagne de la Renaissance, les points de comparaison manquent. “En Italie, entre 1508 et 1515, le niveau de sculpture est bien supérieur.” Les reliefs demeurent en effet fortement imprégnés de l’art gothique, dans la conception de l’espace, de l’architecture, de la nature, du corps ou des visages. De plus, “la manière de ceinturer les blasons est caractéristique de l’Espagne”. Les sculpteurs sont incontestablement espagnols, issus de la tradition gothique, et pourraient avoir travaillé sur le chantier de la cathédrale de Murcie. L’observation des reliefs permet toutefois de déceler l’intervention de plusieurs mains, la réalisation d’un tel ensemble ayant vraisemblablement mobilisé tout un atelier. Monique Blanc veut y voir la suite du sculpteur Rodrigo Alemán.
Si les Espagnols ont excellé dans la sculpture sur bois, ils l’ont plus généralement parée de couleurs. Or, “aucune trace de polychromie n’a été décelée sur les reliefs”, souligne la conservatrice. En revanche, au nettoyage de la surface, une couche blanche uniforme a été mise en évidence. Il a été prouvé, grâce à des archives, que ce badigeon avait été selon toute vraisemblance apposé au XVIIe siècle, au cours d’une restauration. “Pour réparer les dommages, on a fait venir beaucoup de plâtre (yeso) et il y a bien eu une couche de gesso sur les sculptures.” Débarrassées de ces agrégats, elles dévoilent le visage tendu de César, le raffinement des armures ou encore la singulière architecture d’un Colisée manifestement anachronique...
7 décembre-26 mars, Musée des arts décoratifs, 107 rue de Rivoli, 75001 Paris, tél. 01 44 55 57 50.
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Vélez Blanco, histoire d’une redécouverte
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°94 du 3 décembre 1999, avec le titre suivant : Vélez Blanco, histoire d’une redécouverte